Monster : Kore-Eda place déjà la barre très haut

J’admets que dans ma tête, il en va de Kore-Eda comme du Beaujolais nouveau. C’est plutôt bon, c’est une fois par an, lorsqu’il sort on peut discuter pendant des plombes des notes de banane que celui-ci aurait par rapport au précédent, mais au final l’année suivante on n’est plus bien sûr de « c’était lequel, déjà, celui qui parlait du gamin qui avait un problème avec ses darons, là ? »

On n’y croyait pas

Le positionnement du film dans le planning des projections cannoises en première journée pouvait laisser à penser que Thierry Frémaux avait casé là le Kore-Eda de 2023 comme valeur sûre, truc tiède qui ferait un peu retomber le soufflé après l’épisode Maïwenn et avant celui Corsini (quelle année, mes aïeux !), petit film qui ne ferait pas de vagues et ne justifierait, de fait, pas de deuxième Palme pour son réalisateur. Alors qu’en fait non, c’est vachement bien (message au distrib : vous pouvez garder la punchline pour l’affiche, « c’est vachement bien », Cinématraque), et la salle Debussy ne s’y est pas trompée, réservant de copieux applaudissements au film.

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Le Kore-Eda de 2023 (tourné au Japon) s’appelle Monster, et raconte l’histoire d’un « gamin qui a des problèmes avec sa daronne, là ». Le petiot est persuadé d’avoir un cerveau de cochon dans la tête. Parallèlement, un hôtel prend feu, et ladite daronne livre une guerre sans merci à un professeur de l’établissement de son mioche, persuadée qu’il le maltraite. Il y a aussi des chaussures qui disparaissent, des cheveux par terre dans une salle de bains et du terreau dans une gourde. On est donc au papier sur du Kore-Eda sous coke (du Cokere-Eda), vous direz-vous, mais en fait non, vous répondra-t-on, puisque par des mécanismes que l’on ne dévoilera pas ici histoire de ne pas gâcher votre plaisir, ces morceaux d’histoires vont devenir compréhensibles, s’entrechoquer, se compléter au fur et à mesure de l’avancée du film pour aboutir à un message qui, s’il avait été l’objet de départ, aurait été traité avec des gros sabots (on ne peut pas citer le film nul auquel on pense sans spoiler, mais vous comprendrez quand vous aurez vu Monster).

Un labyrinthe maîtrisé

Mon souci habituel avec ces films-labyrinthes, c’est que je m’agace souvent du côté petit malin des réalisateurs, qui ont tendance à jouer de gimmicks pour montrer combien ils sont fiers d’eux de nous avoir paumés puis retrouvés (genre le film avec la toupie, là). Kore-Eda, lui, dans le genre, n’est pas un gros crâneur ; il use et abuse certes de fausses pistes et autres « bon sang mais c’est bien sûr » dans une sorte de film d’auteur à twists scénaristiques assumés, mais agrémente tout ça de sa douceur et de son tact habituels, bien aidé par la splendide bande-son du récemment disparu Sakamoto Ryuichi.

Pour peu que sa tendresse et l’habileté qu’a Kore-Eda à filmer l’adolescence vous happent assez pour que vous aimiez vous y paumer, ce joli puzzle prendra forme au fur et à mesure sous vos yeux, aboutissant à une conclusion splendide, réel sujet du film. Parce que ouais, le Kore-Eda de 2023, il est très bon mais surtout, il a un sacré goût de reviens-y.

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