Suzume : Prendre son pied (de chaise)

Après le succès interplanétaire de Your Name il y a… *vérifie ses notes* SEPT ANS bordel qu’est-ce qu’on vieillit, on s’était un peu inquiété pour Makoto Shinkai. Le long-métrage qui a suivi, Les Enfants du Temps, avait des airs de déjà-vu ; au point où on a pu douter de la capacité de renouvelement du cinéaste star.

Non pas que certains archétypes n’étaient pas déjà présents dans son travail avant 2016, ou bien en tout cas certaines obsessions. Mais avec Les Enfants du Temps, on avait tout de même le sentiment de voir une tentative maladroite de reproduire un succès sans y croire totalement. Le concept prenait l’eau de toutes parts, et les archétypes du « girl meets boy » manquaient cruellement de saveur. Suzume vient heureusement remettre les pendules à l’heure, tout en confirmant les marottes de Makoto Shinkai.

Car Suzume commence en terrain connu. Dans le Japon contemporain, auprès d’une lycéenne justement nommée Suzume qui vit dans une zone rurale (Kyushu, pour les fans de géographie parmi vous), et qui part hasard tombe sur Sota, un super beau jeune homme aux cheveux longs plein de mystère. Lorsqu’elle le suit dans un bâtiment en ruine, elle découvre une porte magique qui déclenche une catastrophe naturelle… Enfin « naturelle ». Un bien grand mot pour parler de vagues d’effets numériques sombres symbolisant le vers mythologique Namazu qui vient causer des tremblements de terre, mais c’est bien là l’idée encore une fois : allier le fantastique au réalisme pour parler des traumatismes bien actuels du pays et de ses habitants.

Mais si cette base structurelle autour des deux personnages principaux, Suzume et Sota, est attendue et sans vraie surprise, Shinkai parvient à nous surprendre en… Transformant très rapidement le jeune homme en chaise. Si jamais vous n’êtes pas habitué aux dingueries du cinéma d’animation japonais : asseyez-vous (sur une chaise qui est peut-être une personne en vrai…), tout va bien se passer la team. Si jamais vous êtes habitués aux dingueries du cinéma japonais : hé la team, en vrai on mange bien ici on va pas se mentir.

Pictured : une chaise qui vie sa meilleure vie

La majeure partie du récit de Suzume est donc une sorte de road movie à travers le Japon, où l’héroïne tente de rattraper une divinité chat pour déchaisifier (je dépose un brevet sur ce verbe inventé) son nouvel ami. Qui est une chaise. Et pas n’importe laquelle d’ailleurs. Elle n’a que trois pieds, et elle est un objet important de l’enfance de Suzume qui la relie à sa mère décédée, et je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des lecteurs intrépides qui lisent ce texte avant d’aller voir le film (vous êtes mes préféré.e.s, mais chut).

Sur leur trajet, les deux comparses vont tenter d’empêcher les catastrophes naturelles en fermant les portes magiques qui menacent le pays, et rencontrer tout un tas de gens sympathiques qui vont les aider dans leur périple. Et c’est ce dernier point qui fait la grande réussite du film.

Bien sûr, le concept d’une chaise vivante qui parle et se déplace est très fun. Shinkai s’en donne à coeur joie et il parvient à résoudre un véritable problème inhérent au cinéma d’animation puisqu’il donne vie à l’inanimé litteralement dans cette situation. Il s’en sert pour créer de l’humour, évidemment, et même peut-être causer l’apparition de nouveaux kinks chez son public de fans. Car après tout si on s’asseoit sur une chaise, mais qu’elle est vivante, alors… Heu. Bon ! Je ne vais pas vous faire un dessin, puisque Shinkai s’en est chargé pour moi, il y a bien une scène bien chelou où Suzume vient s’asseoir sur le « visage » de Sota-chaise. Le cinéma !

Mais surtout, ce genre de moments aussi drôle que ridicule (dans le bon sens du terme) est contrebalancé par d’autres très émouvants ; réussir à faire pleurer son public à cause d’une chaise, voilà qui devrait gonfler l’ego de n’importe quel artiste. Le potentiel émotionnel du personnage est déjà intégralement compris dans son intelligent design, avec ses vis en formes d’yeux et surtout son pied manquant qui lui donne un côté boiteux, un peu cassé. Et on sent que Shinkai est très vite devenu très attaché à son personnage, puisqu’il se baladait avec une réplique de cette chaise lors de sa promotion à Berlin puis lors de l’avant-première à Paris en début d’année.

Sublime photo prise par mes soins lors de l’avant-première du film avec Makoto Shinkai. Ce genre de photos de qualité, on voit ça nulle part ailleurs que chez Cinématraque.

Mais encore plus que cette belle idée de mise en scène, c’est bien l’identité road movie communautaire qui est la qualité la plus essentielle de Suzume. Si le film utilise un imaginaire visuel très réaliste pour représenter le mal qui se déverse sur le monde lorsque les portes magiques ne sont pas vérouillées, ce n’est pas pour rien : Shinkai parle du tremblement de terre/tsunami de Tohoku qui a causé bien des maux et traumatismes pour le pays en 2011. Traumatismes eux-mêmes intégrés par le cinéma, du Shin Gojira de Hideaki Anno au très beau La Maison des Egarés qui doit sortir plus tard cette année (notre article dessus par ici), et donc par Suzume également. L’intelligence de Shinkai ici est de se pencher autant sur la blessure d’un pays meurtri – et dont le mal est concentré intégralement dans le personnage de Suzume, porteuse de cicatrices profondes sur son coeur d’orpheline – que sur la vie qui continue.

Cette vie est incarnée dans le long-métrage par une galerie formidable de seconds rôles que rencontrent Suzume et sa petite chaise à trois pieds au cours de leur périple. De l’ami de Sota futur professeur qui conduit en réalisant des playlists à l’image de ses passagers à Rumi la super gérante d’un bar, on retrouve une constante sous différentes formes : l’entraide. Très simplement, Makoto Shinkai a décidé de parler d’entraide. Avec autant d’humanisme que d’humour (la meilleure scène du film implique un crash de voiture proprement hilarant), il célèbre la résilience des personnes qui tiennent bon face aux horreurs du monde et qui font penser à cette célèbre phrase du grand philosophe Sam le Brave : « il y a du bon en ce monde, monsieur Frodon. Et il faut se battre pour cela. »

Suzume, un film de Makoto Shinkai. En salles le 12 avril 2023.

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