Misaki No Mayoiga : La maison des égarés

Comme tous les mois de décembre à Paris depuis plusieurs années, Cinématraque se rend au Carrefour de l’animation du Forum des images, qui en est déjà à sa 19ème édition. L’occasion de découvrir le nouveau film du réalisateur japonais Shinya Kawatsura qui sortira en 2023 sous le titre français La Maison des Egarés. Après sa diffusion à Annecy, où Gabin l’avait découvert et apprécié, voici un deuxième avis sur ce long-métrage curieux et surprenant.

Adapté d’un roman (assez librement), Misaki No Mayoiga raconte le quotidien d’une famille recomposée après une série de drames affreux. Yui est une ado qui a fui le comportement toxique et tortionnaire de son père, tandis que Hiyori a perdu sa voix suite à la mort de ses parents dans un tremblement de terre. Toutes deux sont recueillies par la grand-mère de Hiyori, étrange personnage malicieux et mystérieux, et qui semble incapable de ne pas sourire avec bienveillance à chaque instant.

La grand-mère va les inviter à remonter la pente ; de manière très littérale d’abord puisqu’elle les acueille dans la fameuse maison du titre du film au bout d’un chemin de montagne. Une demeure aux propriétés magiques comme l’indique le mot « Mayoiga » en japonais, qui semble comme la mamie entièrement dévouée à la guérison et qui s’exprime par une jolie idée de cinéma : des bruits de vent qui traversent les vieilles parois, comme une voix humaine.

Malgré ses éléments de surnaturel, qui sont d’abord saupoudrés avec parcimonie avant d’envahir totalement l’écran dans son dernier acte, La maison des égarés est un film étonamment calme. « Posay », comme on dirait si on était encore plus ringard qu’on ne l’est déjà. Comment guérir de nos traumatismes, se demande le réalisateur ? La réponse, c’est la banalité du quotidien. Trouver une routine, bien manger. Boire un thé dans le jardin en regardant les hautes herbes pousser. C’est audacieux, d’aborder par le biais de l’animation quelque chose d’aussi statique, aussi internalisé que cette guérison ; au point où dès que le film s’emballe, même s’il le fait très peu, on a très vite le vertige.

En effet, le folklore japonais (et plus précisément de la région où se déroule l’action) est une part essentielle du récit. Si cela commence délicatement avec cette maison et cette curieuse grand-mère, la magie n’opère que dans le hors-champ. Le cadre lui reste très épuré, toujours dans cette quiétude et cette douceur qui semblent être recherchés. Les seuls moments qui viennent briser cette atmosphère sont des récits inscrits dans la diégèse, et qui sont très habilement animés dans un tout autre style avec des lignes fuyantes et un dessin presque liquide par le génial Shinya Ohira (le générique de Ping Pong, pour ne citer qu’une ligne de son CV absurde). Comme si la dramaturgie jusqu’à l’expression même des images animées voulait cloisonner et protéger ses personnages de tout débordement.

C’est aussi en cela que l’arrivée plus frontale du surnaturel est surprenante dans le film : nous découvrons au bout de 45 minutes de film en même temps que Hiyori une bande de kappa, créatures des rivières japonaises qui s’apparentent à des sortes de tortues humanoïdes. Ce ne sont que les premières apparitions d’une longue liste de personnages plus ou moins loufoques, en grande majorité sympathiques, qui sont à la fois empruntés au shintoïsme et au boudhisme. le mélange des deux permettant de mieux donner à voir la diversité des croyances qui font le pays encore aujourd’hui dans ses contrées rurales.

Cet ancrage culturel est essentiel pour le film, puisqu’il s’agit de reconnecter la région à son histoire folklorique pour lui permettre de guérir. Car derrière ces personnages et cette maison mystique, il y a un vrai drame que le film dessine dans les contours colorés de sa fiction réparatrice : le tremblement de terre de 2011 qui a ensuite causé la catastrophe de Fukushima. Le cinéma de genre au Japon, et l’animation en particulier, ne s’est jamais privée de puiser dans le concret. C’est avec une oeuvre comme La maison des égarés que l’on comprend à quel point les lapalissades habituelles sur le Japon comme pays entre « tradition et modernité » sont réductrices, et limite contresensiques : la tradition est la modernité. Lorsque la fiction cinéma s’empare des croyances locales et de faits historiques pour tout mélanger et parler de deuil et de la cicatrisation d’un paysage ou d’un coeur meurtri, on comprend qu’il y a ici un tout qu’il serait absurde de comprendre et copposer par des oppositions cohabitantes.

Puisqu’il faut parler de guérison, et de personnages qui souffrent, il n’est pas surprenant de retrouver Reiko Yoshida au scénario. Cette autrice japonaise, spécialisée dans l’animation sérielle et cinéma, est une de nos chouchous à Cinématraque puisqu’elle a écrit énormément de projets qui nous tiennent à coeur et dont nous avons parlé. Violet Evergarden, A Silent Voice, Liz et l’oiseau bleu, Ride Your Wave, les OAV de Kenshin 3 et 4, Okko et les fantômes… Elle est très forte pour parler de traumatismes, parce qu’elle n’a pas peur de faire souffrir ses personnages sans jamais sombrer dans la cruauté. A la fin du film, grâce à son travail, on a aussi l’impression d’avoir parcouru ce chemin avec les deux jeunes filles, pour que nos coeurs à nous aussi, soit pansés par le cinéma.

La maison des égarés, présenté au Carrefour de l’animation 2022 et au cinéma en 2023

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