James Gunn est devenu un nom central dans les adaptations de comics de super-héros au cinéma. Révélé par une parodie gore du genre, Super, il a explosé en prenant pour le compte de Marvel les rênes de la licence Gardiens de la Galaxie tout en imprimant sa patte, ce qui est un exploit dans ces énormes productions aseptisées.
Alors que le troisième volet des Gardiens s’apprête à sortir sur nos écrans, James Gunn a pourtant déjà quitté le navire Marvel pour rejoindre le rival de toujours DC Comics. Imaginez que Mbappé parte à Marseille mais qu’il revienne jouer un dernier match avec Paris entretemps, contrat oblige. En passant chez DC, James Gunn a eu une belle promotion puisqu’il sera l’architecte du reboot du fameux univers partagé de DC. C’est donc lui qui a entre ses mains l’avenir de Superman et ses copains. Comment s’est-il imposé comme le dernier espoir de Warner pour réussir à faire fonctionner l’univers DC au cinéma après des années d’errance ? Eh bien, pour le comprendre il faut s’attarder sur The Suicide Squad, le premier film qu’il a réalisé pour DC.
En 2018 James Gunn, au sommet de la gloire, se fait virer du projet Gardiens de la Galaxie 3 à cause d’anciens tweets caustiques sur l’Holocauste et la pédophilie récupérés par l’extrême-droite. Il sera réintégré au projet à la suite d’une mobilisation importante d’Hollywood, et notamment de ses acteurs fétiches. Mais entretemps, Warner a sauté sur l’occasion pour attirer le réalisateur tant convoité dans ses filets en lui proposant notamment de prendre la main sur Superman. Mais, prudent, James Gunn choisit d’abord d’adapter The Suicide Squad (il vient d’annoncer qu’il sera bien à la réalisation du reboot de Superman dans son nouvel univers).
The Suicide Squad, l’histoire de vilains de seconde zone forcés de coopérer avec le gouvernement pour accomplir des missions risquées, a pourtant déjà été adaptée de triste mémoire par David Ayer. Catastrophe industrielle malgré un casting haut-de-gamme, le film d’Ayer avait été un bel exemple de l’incapacité de Warner à adapter correctement l’univers DC. Seule Margot Robbie en est sortie indemne, ce qui explique sa présence dans la nouvelle version de Gunn.
Venons-en donc enfin au film. The Suicide Squad repart sur les mêmes bases que son prédécesseur : Viola Davis réunit des vilains et les force à accomplir une mission. Cependant dès la scène introductive, on comprend que contrairement au film d’Ayer, cette version sait exactement où elle va. James Gunn comprend les personnages qu’il utilise et sait jouer avec les attentes du public. Son passage chez la Warner qui semble totalement perdue lui permet d’avoir les mains plus libres que chez Marvel. Le ton est donc plus punk, gore et volontairement débile. On retrouve le ton des premiers films de James Gunn avant qu’il ne se fasse avaler par la machine Marvel. Les personnages choisis pour former l’équipe sont suffisamment écrits pour faire rire de leur stupidité tout en paraissant progressivement sympathiques. L’intrigue est évidemment un prétexte qui ne restera pas longtemps dans les mémoires mais elle permet de mettre en scène de manière ludique ces personnages décalés et offre quelques belles idées.
Il faut également saluer l’audace de James Gunn qui n’a pas peur de l’aspect ridicule que peuvent avoir les comics : les personnages de Starro ou de King Shark n’étaient pas les plus évidents à faire passer sur le grand écran et pourtant ce sont des choix payants qui contrastent avec les aspirations souvent très « dark and gritty » des adaptations DC.
Le casting empile les stars
Si le succès au box-office n’est pas éblouissant, le succès d’estime est pour une fois au rendez-vous et cela a suffi à Gunn pour devenir le nouvel espoir de Warner Bros. Une série dérivée du film, Peacemaker, a depuis vu le jour et Gunn est devenu avec son compère Peter Safran le grand architecte du futur des adaptations DC. Un architecte ambitieux, étant donné que son plan s’étale sur dix ans et sur plusieurs médias (série, animation, films et jeux vidéo).
En ce début d’année 2023, un vent mauvais commence à souffler sur les adaptations super-héroïques et le public se met à bouder les films de l’univers Marvel, qui semble avoir perdu la formule magique depuis Endgame. On peut se demander si tous ces beaux projets n’arrivent pas trop tard… Il sera intéressant de voir la place qu’auront les héros DC (et les autres) dans le Hollywood de 2025-2030, mais en attendant, The Suicide Squad est un bon aperçu de ce qu’on peut en espérer. De toutes façons, il faudra du neuf et des remises en question, si les studios (Marvel chez Disney comme DC chez Warner) ne veulent pas que la vieille prophétie de la fin de cycle des super-héros au cinéma s’accomplisse enfin. Car si les spectateurs ne suivent plus, Hollywood trouvera bien quelque chose d’autre à adapter…
The Suicide Squad, de James Gunn, sorti en 2021 avec Margot Robbie, Idris Elba, John Cena, Daniela Melchior, disponible sur Ciné+