La rentrée ciné des festivals, prélude au rush de fin d’année où vont s’empiler les aspirants césarisables, se fait encore en 2022 dans une ambiance relativement morose, voire résolument fataliste. En cause : les scores d’ensemble désastreux des productions hexagonales, qui subissent de plein fouet la désertion durable des salles post-COVID (malgré des signes d’embellie ponctuels) et la concurrence de blockbusters de plus en plus cannibales dans leur domination outrageuse. Mi-septembre, Kompromat de Jérôme Salle prenait la tête du box-office français, une première pour une production 100% française (on mettra de côté l’exception Les Minions 2, co-production française majoritairement portée par un studio américain filiale d’une major américaine) depuis avril et Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu?, troisième volet de la saga préféré des téléspectateurs de CNEWS.
Longtemps fer de lance du box-office français, pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire, la comédie française a subi de plein fouet la nouvelle donne des lois du box-office. Sa part d’influence est tombée en 2022 à un niveau anormalement bas, derrière quelques succès de façade comme le Bon Dieu 3, Maison de retraite, Super-héros malgré lui ou le quatrième Ducobu (vous pouvez y rajouter En Corps si vous considérez le dernier Klapisch comme une comédie). Et les flops ne cessent de s’accumuler. Bon baromètre de la situation, les films présentés lors de l’édition 2021 de CineComedies ont quasiment tous sous-performé en salles derrière. Si On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé a presque touché les 400.000 entrées, derrière c’est plus dur : Barbaque de Fabrice Éboué a plafonné à 230.000 entrées (soit trois fois mois que Coexister, sans parler de Case départ et Le crocodile du Botswanga, tous les deux largement millionnaires en entrées). Le test avec Alexandra Lamy et Philippe Katerine a laborieusement attiré 300.000 spectateurs et Zaï Zaï Zaï Zaï, tentative de faire découvrir grâce à Jean-Paul Rouve l’art de Fabcaro à tous les gens vivant par-delà le périphérique de la capitale, a été l’un des flops les plus retentissants de l’année en ne réunissant que 93.000 personnes en salles.
Se présentant davantage comme un festival tourné vers la célébration de la comédie populaire de patrimoine (son édition 2022 a célébré entre autres le Splendid, les 50 ans de L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch ou encore le centenaire de la naissance de Blake Edwards), CineComedies possède aussi un label accompagnant la sortie en salles de comédies présentées en avant-première au cours du festival. Une manière de prendre le pouls des comédies qui pourraient rythmer la fin de l’année, du moins du côté des producteurs. Petit tour d’horizon des nouveautés présentées au cours des cinq jours de projections dans la cité nordiste.
Les femmes du square de Julien Rambaldi
C’est un incontournable des festivals de cinéma à travers la France, la comédie sociale a pris ses quartiers à CineComedies avec Les femmes du square, quatrième long-métrage de Julien Rambaldi après Les meilleurs amis du monde (2010), Bienvenue à Marly-Gomont (2016) et la comédie chorale hospitalière C’est la vie, qui avait déjà eu les honneurs de CineComedies en 2020. Cette fois-ci, c’est à la question des assistantes maternelles clandestines que s’intéresse le cinéaste. Angèle (Eye Haïdara) est une jeune immigrée ivoirienne montée sur Paris pour assurer l’avenir de son fils, qu’elle a laissé derrière elle à Abidjan. Vivant de petites combines et de vente à la sauvette porte de Clignancourt, elle se retrouve dans le collimateur de Koffi (Marc Zinga), son fournisseur de contrefaçons cheap à qui elle doit plusieurs centaines d’euros. Pour leur échapper, elle intègre un réseau de nounous clandestines réparties dans les familles des beaux quartiers, souvent sans être déclarées. Angèle, elle, atterrit chez Hélène (Léa Drucker), en instance de divorce, et son fils Arthur (Vidal Arzoni).
Dis comme ça ça a l’air déjà très épuisant j’en suis conscient, et on ne pourra pas reconnaître aux Femmes du square sa faculté à faire autre chose que dérouler son programme de son point A à son point B. Rien ne surprend, rien ne bouscule, car au fond comme souvent dans ces comédies sociales on n’y retrouve pas beaucoup de cinéma. Mais au cœur d’une production pléthorique et souvent très oubliable, Les femmes du square s’en tire assez honorablement, notamment par l’abattage d’Eye Haïdara, révélation à l’époque de l’excellent Le Sens de la fête des Toledano-Nakache, et qui trouve presque là le premier grand premier rôle au cinéma qu’elle mérite. Si vous n’avez pas encore atteint le seuil de saturation maximale de ce genre de films feel-good un peu vains et auto-satisfaits, Les femmes du square pourrait même vous faire passer un moment sympathique.
Habib, la grande aventure de Benoît Mariage
Autre grand classique des festivals de comédie, la « fantaisie venue de Belgique » était représentée par le nouveau long-métrage de Benoît Mariage, compagnon de route de la grande époque de Strip-Tease et auteur notamment des Convoyeurs attendent en 1999. Habib (Bastien Ughetto) est un jeune acteur bruxellois qui peine à percer ailleurs que dans des petits rôles stéréotypés de voyous et de trafiquants. Son rêve, c’est d’incarner sur scène Saint-François d’Assise, ce que ne comprend pas trop sa famille d’origine marocaine. Alors que l’argent manque dans la famille, le retour inopiné de son père à la santé déclinante, plusieurs années après les avoir abandonné, déstabilise encore plus cet équilibre fragile. Heureusement pour Habib, une occasion en or se présente : un rôle pour une scène aux côtés de Catherine Deneuve en personne.
Comme vous pouvez déjà le comprendre à la lecture du synopsis, Habib, la grande aventure est aussi un grand capharnaüm. Crise de foi, précarité, racisme systémique de l’industrie cinématographique et théâtrale, saga familiale… Derrière ses intentions de burlesque poétique, le film de Benoît Mariage veut embrasser énormément de thématiques en même pas 1h28. Le résultat est souvent décousu, incapable de trouver son rythme de croisière, un peu symptomatique de ces films qui veulent en dire beaucoup sans assez approfondir. Bastien Ughetto et le reste du casting sont excellents, mais l’absence de vraie ligne directrice finit par desservir l’ensemble et le rendre très anecdotique.
Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre
Ce compte-rendu commence à devenir un peu long et ça tombe bien, mon camarade Gabin en a déjà très bien parlé dans son compte-rendu à Annecy en juin dernier. Nouvelle collaboration entre les deux festivals (Annecy nous avait permis de découvrir par exemple Lupin III en 2020), la présentation de ce Petit Nicolas version animée, portée par les voix d’Alain Chabat et Laurent Lafitte de la Comédie Française™ était marquée d’une émotion particulière, moins de deux mois après le décès de Jean-Jacques Sempé, auquel le film réserve une notule d’hommage dans son générique. Idéal pour les nostalgiques du Petit Nicolas dont je fais partie, un peu désespéré par ce qu’a donné la série dans ses adaptations en live action, ce Petit Nicolas nouveau joue parfaitement sur la corde du méta, à la fois documentaire sur la gestation artistique du personnage et sur l’amitié entre ses co-créateurs Sempé et Goscinny.
Parfois un peu expéditif sur le premier point (les premières scènes brutalement didactiques retardent un peu l’immersion émotionnelle), Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? retrouve néanmoins vite la magie du trait léger de Sempé, qui tenait plus dans ses doigts que dans son coup de poignet. Par moments dur et mélancolique (quand il évoque la solitude de l’expatrié Goscinny en Argentine face aux rafles dans sa famille sous l’Occupation, ou sa mort brutale en 1977), ce film pour petits et grands enfants parvient à faire en même pas une scène ce que trois adaptations paresseuses n’ont pas su faire.
L’Innocent de Louis Garrel
Gardons le meilleur pour la fin. Pour son quatrième long-métrage, Louis Garrel poursuit la tendance amorcée par son précédent film La Croisade de s’orienter vers une veine plus comique et populaire après deux premiers films considérablement marqués par l’héritage paternel et le patronage de Christophe Honoré (Les deux amis) et du regretté Jean-Claude Carrière (L’homme fidèle). Finis les triangles amoureux et les romances parisiennes, l’acteur-réalisateur se lance pour son quatrième film dans la comédie pure mâtinée de film de casse. Encore marqué par la mort de son épouse, Abel (Garrel) se reconstruit avec l’aide de sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant). Mais un jour, sa mère Sylvie (Anouk Grinberg), qui anime des ateliers théâtre dans une prison lyonnaise, va épouser Michel (Roschdy Zem), détenu depuis cinq ans pour plusieurs braquages. Alors que Michel sort de prison et entame sa nouvelle vie avec sa mère, Abel va vite découvrir que son nouveau beau-père ne s’est pas véritablement rangé…
Co-écrit avec le romancier Tanguy Viel, L’innocent puise ses racines dans l’enfance de Louis Garrel, dont la mère Brigitte Sy, après sa séparation avec Philippe Garrel, avait épousé un homme rencontré en prison dans l’atelier qu’elle animait. La comédienne et réalisatrice en avait à l’époque fait également un film, Les mains libres, en 2010. Sauf qu’ici l’aspect autobiographique s’efface vite au profit d’une comédie pétaradante lorgnant fièrement vers la comédie populaire d’action des années 70/80. Un « film de variétés » selon son auteur qui serait au cinéma ce que les tubes de sa bande-son délicieusement kitschouille (Pour le plaisir d’Herbert Léonard en ouverture, Une autre histoire de Gérard Blanc dans une fabuleuse scène de karaoké) sont à la musique. Bien loin de la coquetterie parisienne qui colle aux clichés qui lui collent encore parfois à la peau, Louis Garrel se réinvente comme réalisateur dans un film explosif qui lui permet de dérouler également, sans jamais se cacher, ses réflexions sur le statut d’acteur.
Structuré en deux grands actes, L’innocent se montre d’abord très tendre avant de devenir très piquant. Quand la joyeuse famille se met à jouer les truands d’opérette, L’innocent se transforme en grande comédie de casse, où les masques finissent tous par tomber. Ce n’est pas toujours très subtil mais toujours gracieusement écrit et surtout, tant mieux parce que c’est pour ça qu’on est là, très drôle. Quoi qu’on pense du film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable avait dévoilé la grande vista comique de Louis Garrel, notamment dans l’exercice auto-dépréciatif. L’innocent confirme cette tendance, qu’on aimerait voir plus souvent encore chez l’acteur comme chez le réalisateur. L’innocent risque d’être le film d’un grand malentendu du fait du nom de son metteur en scène. Car peu de comédies françaises ces dernières années avaient autant les atours du grand divertissement populaire que L’innocent. Faire en sorte que ce genre de projet généreux et exigeant, porté par un casting royal au service d’un film qui a tout pour plaire à tout le monde, ne se ramasse pas sous les 100.000 entrées, ce doit être ça le prochain défi de la « reconquête » des salles du cinéma hexagonal, pour reprendre un thème à la mode ces temps-ci.
Les femmes du square de Julien Rambaldi avec Eye Haïdara, Léa Drucker, Ahmed Sylla…, en salles le 16 novembre
Habib, la grande aventure de Benoît Mariage avec Bastien Ughetto, Catherine Deneuve, Sofia Lesaffre…, sortie en salles encore inconnue
Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, avec les voix d’Alain Chabat, Laurent Lafitte (de la Comédie Française), Simon Faliu, en salles le 12 octobre
L’innocent de et avec Louis Garrel, avec Roschdy Zem, Anouk Grinberg, Noémie Merlant, en salles le 12 octobre