CineComedies 2022 : À L’aventure (c’est l’aventure) avec Claude Lelouch

Son nom porte avec lui plus de soixante ans de cinéma populaire, convoque le souvenir des visages les plus iconiques du septième art et transporte dans son sillage d’éternels Dabadabada… À 84 ans, Claude Lelouch reste inarrêtable malgré près de cinquante longs-métrages. Peu importe qu’il ait prématurément annoncé que L’amour c’est mieux que la vie, sorti en début d’année, serait son dernier. Ce sera finalement le premier volet d’une trilogie, en attendant probablement les projets suivants. Peu importe, tant qu’une caméra sera près de lui, Lelouch ne pourra sans doute pas s’empêcher de l’utiliser.

Il y a cinquante ans, sa caméra capturait l’un de ses plus grands succès populaires : L’aventure c’est l’aventure. Un vrai film de Pieds Nickelés, probablement le plus politiquement engagé d’un auteur plutôt connu pour sa tiédeur dans le domaine. Une galerie de portraits royale et terriblement hétéroclite comme souvent chez Lelouch : Lino Ventura, qu’il filmait pour la première fois, Charles Denner, visage récurrent de son cinéma, Jacques Brel, dont il financera le film suivant Le Far West, Charles Gérard, le perpétuel « ami de » même quand Bébel n’est pas là, et un inconnu du grand public venu d’Italie, dont la démarche chaloupée sera canonisée comme mètre étalon de « La Classe », Aldo Maccione. Un barnum où l’on croise Johnny et Drucker dans leur propre rôle, Nicole Courcel en prostituée syndiquée, et des révolutionnaires paraguayens. Mais aussi un film diablement emblématique du cinéma populaire des années 70 : aventureux, excessif, réflexif, parfois trop plein pour son propre bien.

Massacré à sa sortie par la critique ciné, L’aventure c’est l’aventure reste le deuxième plus gros succès du réalisateur (3,8 millions d’entrées) derrière l’inamovible Un homme et une femme. Un pied de nez malicieux pour un film qui, au fond, avait peut-être juste accompli ce qu’il cherchait à l’époque. Cinquante ans plus tard, c’est dans les salons feutrés d’un hôtel lillois que Claude Lelouch a remonté un demi-siècle en arrière pour évoquer sa radiographie de l’homme post-soixante-huitard.

De bien belles chemises

Il y a quelques mois, vous étiez mis à l’honneur par le festival d’Arras pour la sortie de votre dernier film, L’amour c’est mieux que la vie. Aujourd’hui, c’est au tour de Lille de vous honorer. Comment expliquez-vous cet attachement du Nord à votre cinéma, et quels souvenirs de cinéma en gardez-vous?

Je n’ai jamais vraiment fait la différence avec la Normandie dans laquelle je tournais avant. Je ne sais pas vraiment où commence le Nord en fait, ça regroupe tout ce qui est au nord de Paris, y compris la Belgique. Brel, c’est un mec du Nord, il aurait pu naître à Lille.

Le credo de L’aventure c’est l’aventure tient dans ce mot de Charles Denner pour expliquer son plan à ses acolytes : « trouver la clarté dans la confusion » de l’époque. C’était un sentiment que vous partagiez à l’époque?

Comme beaucoup, j’ai participé aux événements de 68, où j’avais fait partie de ceux qui avaient poussé pour faire arrêter le festival de Cannes. Mais derrière, j’étais fasciné de voir à quel point tout le monde mélangeait tout. Les discours politiques étaient totalement inintéressants et la démagogie avait pris le pas. Mais surtout ce qui me frappait, c’était la faculté des voyous à récupérer les combats politiques pour devenir des martyrs ou des héros. Comme les voyous spéculent toujours sur les bonnes idées et l’air du temps, j’ai trouvé qu’il y avait là un bon sujet de film. J’ai mis dans ce film ce que je ressentais, et le faire par la comédie m’intéressait bien plus que l’idée de faire un film sérieux.

Ce qui me frappait, c’était la faculté des voyous à récupérer les combats politiques pour devenir des martyrs ou des héros. Comme les voyous spéculent toujours sur les bonnes idées et l’air du temps, j’ai trouvé qu’il y avait là un bon sujet de film.

C’est un film qui a très bien vieilli : aujourd’hui encore je croise beaucoup d’hommes politiques qui me disent que c’est l’un des films qu’ils regardent le plus souvent. C’est un film sur l’amitié et sur l’argent avant tout. Il n’y a pas beaucoup d’amour dans L’aventure c’est l’aventure, mais l’amitié est une roue de secours formidable de l’amour. Je fais des films du milieu, où on marche sur un fil, et la politique à l’inverse, c’est toujours une affaire d’extrêmes, assez ingrate envers ceux qui cherchent à rester au centre. Alors que moi en tant que réalisateur, quand je tourne je suis toujours au centre de mon équipe, aussi bien auprès de la star que du machiniste.

Vous êtes au milieu de votre équipe comme vous le dîtes, mais aussi au centre de votre époque : L’aventure aborde la libération sexuelle, les révolutions sud-américaines, l’explosion du terrorisme politique… Sur ce point, il ressemble à beaucoup de films de son temps comme Tout le monde il beau, tout le monde il est gentil de Jean Yanne, qui est sorti exactement en même temps que votre film…

La révolution sexuelle, je l’ai surtout abordé tout de suite après avec La bonne année grâce à Françoise Fabian. Je me suis toujours senti comme le reporter de mon temps. Je n’ai jamais rien filmé d’autre que mes observations, ma curiosité est mon scénariste préféré. La vie vous offre dix scénarios possibles par jour. L’aventure c’est l’aventure, c’est un film d’humeur, cette humeur qui m’a permis de traverser toutes ces années tout en gardant un côté positif. Les trains qui arrivent à l’heure m’intéressent plus que ceux qui sont en retard.

Françoise Fabian dans La Bonne Année

Ces déclinaisons d’humeur passent aussi par les personnages de vos distributions, et celle de L’aventure c’est l’aventure est à l’image de beaucoup de vos films, spectaculaire et hétéroclite. Comment fait-on tenir un tel attelage ensemble?

Il n’y a rien de plus compliqué que de faire un casting. Au départ, tout était construit sur Lino Ventura qui était la colonne vertébrale du film. Trintignant devait jouer le rôle de Brel mais il a refusé. « Tu sais, je suis trop de gauche pour ce rôle, je peux pas dire des choses pareilles dans un film« . Et à l’époque, j’avais été marqué par la figure de Brel, et par ses discours d’une grande générosité et d’une grande tolérance, sans qu’il se sente marqué politiquement. Il a tout de suite accepté. Tapie devait jouer le rôle d’Aldo Maccione mais il était très occupé. Quand j’ai enfin réussi à constituer ma bande avec Charles Gérard et Charles Denner, le solitaire du groupe, j’ai réuni tout ce petit monde à Paris dans mon bureau. On a passé la journée ensemble et on s’est tellement marrés que j’ai compris dès la première heure que je tenais quelque chose avec eux. C’est une sensation inexplicable, comme celle d’entrer dans une pièce avec dix personnes, une d’entre elles se met à parler et d’un coup on ne se met plus qu’à écouter que celle-là.

L’aventure c’est l’aventure marque une époque où les budgets de vos films sont de plus en plus étoffés. Et pourtant le film reste caractéristique de votre approche très libre de l’accident heureux, comme en témoigne la séquence improvisée de la démarche d’Aldo Maccione qui deviendra culte par la suite. Est-ce que c’est plus difficile de concilier cette exigence de liberté avec une telle économie de tournage et les impératifs qu’elle provoque?

Je suis une concierge au fond, tout m’intéresse et tout me passionne. Cette curiosité a nourri tous mes films, parce qu’elle est toujours pleine de bonnes idées. J’observe en permanence les décors, les pays, et je les transforme en fictions. Comme je vous l’ai dit, je suis et j’ai toujours été un reporter de mon époque.

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