Fleur Pâle : Shinoda à bout de souffle

Neuvième film du réalisateur et sorti en salles en 1964, Fleur Pâle est un film de yakuza plus proche de la Nouvelle Vague française que du cinéma populaire nippon. Il met en scène Muraki, gangster qui vient de faire trois ans de prison pour avoir tué un type sur ordre de son supérieur. Le visage fermé, dur et mélancolique du personnage interprété par Ryō Ikebe ne s’illumine que lorsqu’il rencontre une jeune femme surprenante autour d’une table de jeu. Saeko (Mariko Kaga, qui n’a que très peu de rôle à son actif à notre grand désespoir), puisque c’est son nom, est une aristocrate en quête de sensations fortes, et très vite tout le monde la remarque…

Ce qui caractérise un film comme Fleur Pâle, ou comme A bout de souffle avant lui où les films de Kitano après lui (la parenté est plus qu’évidente), c’est de faire un film de yakuza en négatif. Pour faire simple, c’est que la trame qu’on aurait pour habitude de mettre en avant, celle qui raconte des rivalités de clans de yakuzas, d’alliances et de trahisons, n’est qu’une toile de fond. Un décor qui colore une romance jamais consommée entre un homme fasciné et une femme fascinante pour nous dire que tout ne finira pas au mieux. En d’autres termes, nous sommes dans le film noir. On commence à croire que ce bon vieux Shinoda savait vraiment tout faire !

En plus de se plonger dans les codes du genre dans sa narration, le réalisateur laisse ses pincettes à la maison quand il s’agit de penser cadre et lumière avec son chef opérateur : la photographie n’est que teintes de noir et de blanc très contrastées, d’une beauté à tomber par terre puis se relever pour tomber encore plus fort.

C’est aussi son film le plus évident, le moins surprenant. Il n’est pas absurde qu’il ait été autant apprécié à l’étranger, notamment par la critique américaine, parce que son accessibilité et son efficacité le rend beaucoup plus universel que ses oeuvres plus tardives. C’est même ça qui est fort dans le film, car des éléments sont à priori incompréhensibles pour un public occidental, notamment les longues séquences de jeu, et pourtant tout est clair. Pourquoi ? Parce que le montage et le cadrage nous dit tout, et parce que chaque plan sur le visage de Mariko Kaga nous embarque en voyage.

C’est son personnage qui fait le film, autant se le dire. Le reste est solide, on trouve même encore les obsessions de Shinoda pour la jeunesse insouciante et pleine de rage et de passion (Muraki se trouve un apprenti rapidement, qui s’est coupé un doigt parce qu’être yakuza c’est bon délire), mais rien n’est aussi happant que de voir les yeux de cette femme fatale pendant les parties de carte… Dans ce genre de moments, on ne fait que regarder le cinéma. Il nous regarde aussi.

Fleur pâle, un film de Masahiro Shinoda sorti en 1964.

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