Assassinat : Kiyokawa le Vagabond

Ce film a été visionné lors de l’Étrange festival 2022 au Forum des images.

Après quelques articles sur la période « folklore WTF et baisodrome » de Masahiro Shinoda, on revient en arrière : en 1964 il tourne son dixième film et accède au Saint Graal des réalisateurs japonais. Il a enfin le droit de tourner un chambara, soit pour les moins japonisants d’entre vous (aucun jugement, tout le japonais que je connais est limité à l’anime One Piece) un film de sabres. Le nom proviendrait d’après mon meilleur ami Wikipedia d’une onomatopée, à savoir celle qui correspond au bruit des katanas qui s’entrechoquent. Pour s’attaquer à ce genre à la fois spectaculaire et emblématique, avec ses propres codes et ses poncifs, Shinoda dispose d’un budget conséquent. Pour quel résultat ?

Mitigé…. Mais intéressant. On dirait la phrase de Simba quand il bouffe des insectes. Mais expliquons-nous.

Assassinat raconte… Bon, c’est difficile de résumer ce que ça raconte. D’une part parce que la copie projetée au festival était un peu abimée, et surtout parce qu’on avait des sous-titres anglais catastrophiques sur la bobine en plus des français en dessous. Et les deux n’avaient souvent rien à voir. On peut croire que j’exagère mais à un moment le mot « violeur » était le mot « traducteur » de l’autre côté. Incompréhensible.

D’autre part, le sujet qu’adapte Shinoda ici est outrageusement compliqué : nous sommes en 1863, soit le moment où l’Occident vient frapper à la porte du Japon. Dix ans plus tôt, les quatre bateaux noirs du commodore américain Perry viennent forcer l’ouverture des frontières ; l’isolement commercial est rompu et soudain le pays est confronté à la modernité. C’est ainsi qu’arrive la grande scission entre les isolationnistes qui veulent rester bien entre eux peinards, et les partisans de l’ouverture. Le Japon se retrouve vite à feu et à sang entre les différentes factions… Et c’est dans ce contexte qu’Assassinat se déroule.

D’ailleurs, si vous êtes comme moi fan de Kenshin le Vagabond depuis l’enfance et que vous avez saigné la VHS de son passé d’assassin durant la fin de l’ère Edo susmentionnée, vous connaissez tous ces faits historiques par coeur. Tout en étant hyper confus, parce que ça reste hyper compliqué et qu’en plus il n’y a pas de position morale claire qui puisse placer autour d’une ligne claire des – pour schématiser très grossièrement – gentils et des méchants.

Donc, Assassinat est compliqué. On est en grande partie focalisé sur le personnage de Kiyokawa, un roturier qui s’élève au sein de la société japonaise grâce aux bouleversements sociétaux engrangés par le contact avec l’Occident. De nombreux flashbacks nous révèlent son passé et sa rage d’exister, ce qui rajoute à la complexité et la confusion de la narration ; autant le dire clairement, si le film parle du rapport du Japon au monde extérieur, il est difficile de l’apprécier pleinement sans être soi-même japonais. Là où le public s’est senti malmené lors de la séance au Forum des images, beaucoup de spécialistes considèrent Assassinat comme le plus grand film de Shinoda.

Et cela se comprend. La photographie est exceptionnelle, d’une intelligence folle et d’une virtuosité rare, notamment lors des rares scènes de duels à l’épée qui sont toutes magnifiques. Dans son montage, Shinoda se permet des trucs invraisemblables pour un premier film en costumes, comme des arrêts sur images en pleine action. Le mec n’a jamais cessé d’être un punk anar en fait ! Plus dingue encore, toute la fin du film intègre des séquences en point de vue subjectif, où l’on accompagne l’assassin avant son meurtre. On est en 1964 Shinoda-dude ! De la caméra épaule subjective ?? Vraiment ?? C’est dans ce genre de moments que l’on constate à quel point ce cinéaste a été beaucoup trop mis de côté par la critique, il est affolant de se dire que c’est sa première grande rétrospective en Occident.

Mais surtout, il ne perd jamais de vue qu’il parle de sa propre époque. En mettant en scène la jeunesse pleine d’espoir qui construit ses rêves autour de la figure messianique de Kiyokawa, il parle encore des révoltés du Japon d’après la Seconde Guerre, qui veulent changer le pays. Quand il montre un aristocrate fumer un cigare ou porter un uniforme napoléonien, il parle autant de la bascule Edo/Meiji que de l’occupation américaine de la fin des années 40, et de leur impact sur la culture japonaise. Sans jamais réellement prendre parti – c’est peut-être cela le plus déstabilisant, Shinoda se sert donc de son premier jidai-geki (film en costumes) pour faire un constat. Il le fait par sa mise en scène et son sujet : il est impossible d’arrêter le changement que connaît le pays. Même en tentant d’assassiner ceux qui accélèrent la bascule.

Assassinat, un film de Masahiro Shinoda réalisé en 1964.

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