Le Collectionneur des Cerveaux : échec et automate

Ce film a été visionné lors de l’étrange festival 2022 au Forum des images.

Les années 60 sont une période assez mémorable pour la télévision française, pour de multiples raisons. La création de l’ORTF notamment ainsi que de la chaîne UHF… Mais aussi des trucs anecdotiques et plus ou moins révoltants (je vous laisse vous insurger de votre côté comme il se doit, préparez-vous) comme l’apparition d’un carré blanc à l’image pour signifier que le programme est déconseillé aux enfants (non ça c’est pas vraiment scandaleux), où le renvoi d’une présentatrice pour avoir montré ses genoux aux téléspectateurs (mais ça oui).

Surtout, c’est à cette époque que le fantastique, le surnaturel et le mystique s’installe dans le petit écran. A la fois en provenance de l’étranger avec des séries comme L’homme invisible ou Les envahisseurs, mais aussi par des créations françaises comme Belphegor ou le fantôme du Louvre, ou le Tribunal de l’impossible. Cette dernière émission, dont chacun de ses quinze épisodes s’inspirait des légendes et du folklore local et international pour amener de l’étrange à la télévision a été créée par la personne qui nous intéresse ici : Michel Subiela.

Après un passage comme rédacteur chez Positif puis comme homme à tout faire sur les plateaux de cinéma, il fait ses débuts à la télévision en adaptant les Hauts de Hurlevent, s’affirmant déjà comme un spécialiste de tout un univers gothique et horrifique. Il n’est pas surprenant alors de voir celui qui a déclaré « je ne crois pas aux fantômes, mais je crois à ceux qui en ont rencontrés » créer une émission comme Le Tribunal de l’Impossible. La plate-forme numérique de l’INA, qui sauvegarde le patrimoine télévisuel français, nous permet aujourd’hui de redécouvrir ces pépites d’antan, ainsi que le téléfilm qui nous intéresse aujourd’hui : le Collectionneur de cerveaux.

Quelques années après la fin de sa série, Michel Subiela adaptait en 1976 une nouvelle de George Langelann, plus connu pour être l’auteur de La Mouche mais pas assez connu pour s’être fait refaire le visage car avant d’être écrivain c’était un PUTAIN D’ESPION DU MI-6. Cette nouvelle s’appelle les Robots-pensants et parle de mystérieux automates capables de reproduire les capacités des humains…

Tout commence avec la pauvre Penny qui a perdu son mari dans un accident de voiture… Et qui fait la rencontre, alors qu’elle joue merveilleusement bien du piano, d’un étrange personnage. C’est le « comte Saint-Germain, créateur d’automates » qui souhaite travailler avec Penny pour créer un automate qui jouerait du piano comme elle. Afin de prouver qu’il n’est pas un simple charlatan, il invite Penny à venir voir un de ses spectacles où officie un automate joueur d’échecs. Et c’est alors que le mystère et l’effroi s’installe : l’automate joue exactement comme feu le mari de cette pauvre Penny… Et semble même la reconnaître !

Le téléfilm est alors structuré autour de deux narratives. La première, c’est l’ami britannique Lewis Armeight de Penny (qui veut totalement la pécho) qui sur les conseils de la jeune femme, enquête sur ce mystérieux fabricant d’automates. La seconde nous montre Penny tomber en fascination pour le comte de Saint-Germain, jusqu’à finir sous son joug de manipulateur dangereux ! Vous l’aurez compris nous sommes dans une sorte de proto-giallo, avec un antagoniste ésotérique et biscornu, dont les actes horrifiques nous sont spoilés dès le titre.

Et… C’est super bien. Mais vraiment. C’est bluffant. Evidemment cela ressemble tout à fait à un téléfilm, surtout dans le rythme de la narration qui a plus que mal vieilli. Mais malgré cela et un manque de moyens certain, Michel Subiela parvient à tirer de son histoire beaucoup de poésie, de justesse, de tension et même une sacré dose d’humour. Sa maîtrise est évidente dès que l’on fait attention à sa manière de penser la caméra ; malgré le budget réduit, il sur-abuse des zooms et des pivots de caméra pour gagner en virtuosité. Dans le montage, il parvient à jouer avec intelligence sur les regards des personnages : c’est lorsque l’automate joueur d’échec est impliqué que c’est le plus évident. Il faut le voir réagir au jeu de piano de Penny, on se croirait devant du Del Toro avant l’heure. On a déjà une belle réflexion sur le monstrueux face à la vie humaine, sur l’homme sans visage (je rappelle ici que l’auteur de la nouvelle a lui aussi perdu sa figure) et l’identité, sur l’acte de création et autres délires à la Frankenstein… Et tout ça passait à la télévision !

Les photos trouvables sur le net sont pas dingues, mais la photo est plutôt correcte sur le film.

Mieux encore, le téléfilm tient la route même aujourd’hui grâce à l’écriture délicieuse de ses dialogues, et à l’interprétation au pire irréprochable, au mieux jubilatoire, de ses comédiens. Bien sûr on pourra rire de la manière ridicule dont François Dunoyer (plus connu pour avoir joué Arsène Lupin) joue Lewis avec un accent anglais risible (sa manière de prononcer « livres sterling » a fait tombé toute la salle de son siège), ou de l’interprétation un peu trop intense de Thierry Murzeau dans le rôle de Diego, boxeur au sang chaud qui assiste Lewis, mais la qualité des répliques aide énormément à définir des personnages rapidement attachants, et tous très bien définis.

Mais la vraie vedette, c’est André Reybaz. Aujourd’hui encore il s’agit de son rôle le plus célèbre, même si sa très longue carrière au théâtre ne fait que confirmer qu’il avait les épaules nécessaires pour sublimer le rôle du comte machiavélique. C’est bien simple : il a toutes les meilleures répliques du film et il n’en rate pas une seule. A découvrir dans la salle 100 du Forum des images, c’était une merveille : toutes ses interventions étaient ponctués de rires de la salle, parce que l’extravagance maîtrisée de son personnage nous a procuré une euphorie impossible à contenir. C’est une découverte inestimable, qui est donc trouvable sur la plate-forme de streaming de l’INA aujourd’hui. Comme quoi même à propos du passé, on arrête pas le progrès.

Le collectionneur des cerveaux, un film de Michel Subiela sortie en 1976.

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