Baccalaureat, de Cristian Mungiu

On était resté sur un sentiment d’insatisfaction relatif au film des frères Dardenne, La Fille inconnue, l’impression que leur cinéma tournait en rond, n’avançait plus. Le côte thriller, le meurtre, ils l’avaient déjà exploré dans Le Silence de Lorna. La même mise en scène de caméra à l’épaule, les mêmes thématiques sociales et les mêmes préoccupations humanistes. Les Dardenne deviennent progressivement prisonniers de leur style et de leur univers et ne semblent plus pouvoir s’en échapper.

Pourquoi évoquer les Dardenne au sujet de Cristian Mungiu, le cinéaste roumain, déjà lauréat d’une Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours ? Parce que les Dardenne sont ses producteurs et que lui, contrairement à eux, paraît avoir tiré les leçons de leur expérience pour ne pas se répéter et renouveler son œuvre. En effet, de 4 mois, 3 semaines et 2 jours à Au-delà des collines, jusqu’à aujourd’hui Baccalauréat, nous avons trois sujets différents, ainsi que trois styles différents, adaptés à chaque fois au sujet : le plan-séquence fonctionnant en plan fixe pour 4 mois… , un enchaînement de plans fixes pour Au-delà des collines, un mélange des deux pour Baccalauréat, dans un style presque documentaire.

Pour la thématique de ses scénarios, Mungiu va beaucoup plus loin que les Dardenne qui se contente de la mauvaise conscience associée à la culpabilité d’un personnage désigné d’emblée comme « bon ». Dans Baccalauréat, Romeo Aldea, médecin quinquagénaire, qui dévoue presque toute sa vie à la réussite de sa fille, Eliza, brillante étudiante, n’est pas un être foncièrement bon ni mauvais. Il est sans qualités, comme dirait Robert Musil. Un événement, l’agression de sa fille avant le passage de ses épreuves de baccalauréat, va bouleverser cet équilibre instable. Certes, Romeo vivait déjà un adultère avec une prof du lycée de sa fille et trompait donc sa femme. Mais il va encore davantage plonger dans les compromis et les compromissions quand il s’aperçoit que l’existence rêvée qu’il avait conçue pour sa fille, risque de ne pas se réaliser. Désormais il n’a plus de limites ni grand’chose à perdre : soudoyer une personne pour permettre à sa fille de participer à l’examen, se venger de son agresseur, etc. Comme Walter White dans Breaking bad ou Tony Soprano, il est prêt à tout pour assurer l’avenir de son enfant, entrant en contradiction avec les principes qu’il essaie de lui transmettre.

Baccalauréat interroge la société d’aujourd’hui qui érige souvent en héros les menteurs, les voleurs et les meurtriers. Il le fait d’un point de vue bien plus original que les Dardenne, en nous mettant à la place du personnage qui effectue ce parcours vers le Mal et en nous interrogeant sur ce que nous aurions pu faire à sa place. Pour Romeo, le Mal est préférable à l’échec. On s’aperçoit alors que la corruption est un enchaînement de circonstances qui commence au délit minable pour finir au crime assumé. Selon ce point de vue, cet édifice contestable est supérieur à une société de ratés. Pourtant dès qu’on commet une injustice la plus minime soit-elle, c’est déjà la porte ouverte à la déchéance morale. En voyant ce film, nous sommes progressivement conduits à suivre le personnage de Romeo, tout en étant surpris, choqués ou révoltés. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? disait Aragon. Cette société est-elle bien la nôtre ? Comment pouvons-nous accepter un seul instant d’y vivre et de ne pas combattre le Mal et l’injustice ? « Le grand malheur sur terre, c’est que tout le monde a ses raisons » (Jean Renoir).


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
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Le tableau des étoiles de chaque sélection à ce lien


2

Un film de Cristian Mungiu avec Vlad Ivanov et Maria-Victoria Dragus.
Sortie en France pour le moment sans date.

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