Oyez oyez : Cinématraque est de retour au Festival d’Annecy !
Du 8 au 14 juin, la ville redevient la capitale du monde de l’animation, entre quelques tartiflettes, fondues, croziflettes, et dégustations journalières au Glacier des Alpes. Une fourmillière à ciel ouvert, dont les membres grouillent dans les rues de la vieille ville, et d’un lieu à l’autre du festival.
Professionnels du monde de l’animation, du cinéma et de l’audiovisuel, étudiants, presse, mais surtout grand public : le festival d’Annecy continue de mélanger tous les publics, faisant toujours de la proximité sa marque de fabrique. Ce qui se renforcera, à n’en pas douter, avec l’ouverture prévue de la Cité internationale du cinéma d’animation prévue en juin 2026, vaste chantier de réhabilitation des Haras, pile à temps pour le cinquantenaire du festival.
Si le caractère bon vivant du festival fait toujours autant plaisir à voir, les difficultés rencontrées par le monde de l’animation, autant en France qu’à l’international, sont sur toutes les lèvres — et surtout par le monde de la culture en général. En ce sens, le discours introductif du maire d’Annecy, François Astorg (un écologiste, ce n’est pas un hasard), lors de la cérémonie d’ouverture a rappelé le rôle indispensable de l’accès à la culture et l’histoire du festival. Tout en rappelant son esprit profondément ouvert, associant les débuts du festival à ceux du Mois des Fiertés.
Pour son ouverture justement, l’équipe du festival a décidé de mettre à l’honneur une partie des trente-cinq courts métrages sélectionnés en compétition. Cinq propositions représentatives de toute la variété proposée par le festival, autant dans les thématiques, genres brassés et techniques d’animation.
La jeune fille qui pleurait des perles, réalisé par Chris LAVIS et Maciek SZCZERBOWSKI
Nommé aux Oscars pour leur premier court métrage Madame Tutli-Putli, les réalisateurs Chris Lavis et Maciek Szczerbowski mêlent différentes techniques d’animation pour faire naître le monde de leur nouvelle création, La jeune fille qui pleurait des perles. Prises de vues réelles, animation image par image et images de synthèse donnent vie à un conte sur une jeune fille pleine de tristesse, dont tombe amoureux un garçon des rues dans un vieux Montréal. Ses larmes deviennent des perles d’une pureté incomparable, qui poussent les cœurs les plus purs à commettre les actions les plus viles…
Un film qui frappe dès ses premières secondes par sa splendeur technique et visuelle, tant les difficultés du quotidien se voient sur les visages grisâtres et les corps marqués – où plutôt les marionnettes – des personnages. Mais aussi pour son exploration sans détour de la cupidité des hommes : celle d’un prêteur sur gages envers d’un enfant, pris à son propre jeu face à plus fort que lui. L’arroseur arrosé.
Carcassonne-Acapulco, réalisé par Marjorie CAUP et Olivier HÉRAUD
Le point cocorico de cette séance avec un vol entre Carcassonne et Acapulco qui tourne mal. Rien qu’en liant ces deux destinations l’une à l’autre, on se doute déjà qu’il y a quelque chose qui cloche. Mais quand on découvre les deux pilotes moustachus McAndrew et son second Marc-André, ainsi que leur hôtesse de l’air Miss Smith, avec une frange à longueur record, là aussi on se dit qu’on ne va pas être déçus du voyage. Il y a bien un souci : quelqu’un frappe à la porte de l’avion. En plein vol, oui. Et apparemment, c’est pas Tom Cruise. Faut-il le laisser entrer ? Là est la question.
L’autre souci, c’est que McAndrew et Marc-André n’ont (je pense) pas regardé la saison 2 de The Rehearsal. Parce que niveau communication, c’est pas trop ça. Carcassonne-Acapulco devient alors aussi absurde que son titre l’indique, avec des dialogues au cordeau, punchline sur punchline, dont l’esprit rappelle très fortement celui des Nuls. Ou une bonne partie de Kamoulox. Un humour ravageur (en tout cas sur moi, parce que j’ai beaucoup trop ri) qui se traduit tout autant à l’image dans une belle série de gags visuels. Et en plus, ça finit par un karaoké. Que demande le peuple ?
La Vie avec un idiot, réalisé par Theodore USHEV
Que serait un festival d’Annecy sans Theodore Ushev ? Déjà récipiendaire de cinq prix, dont le Cristal du court métrage en 2020 pour Physique de la tristesse, le réalisateur bulgare — et installé au Canada fait son retour en sélection officielle. Adapté d’un opéra russe, La Vie avec un idiot a, lui aussi, un synopsis des plus absurdes. Accusé de ne pas travailler suffisamment, Vladimir reçoit comme punition de vivre avec un idiot du nom de Vova, qui ne communique qu’en prononçant une seule syllabe : ouh. La cohabitation avec sa femme se passe difficilement…
C’est compliqué d’avoir une once d’empathie pour Vladimir. Incarné par Dominique Pinon, le personnage a un chic pour se rendre un peu plus détestable à chaque seconde. Le court métrage épouse pleinement son point de vue : sa (deuxième) femme, pour qui il n’a pas trop l’air de ressentir grand chose, ne s’exprime qu’à travers des chants lyriques (de la soprano Lucy Page). Mais son idiot finit par prendre un peu plus de place chaque jour, et à envahir tout autant les dessins de Theodore Ushev. L’idiotie est contagieuse et devient un mode de vie… étrangement propre à l’homme. Derrière cette idiotie se cachent tous les travers de l’être humain : la cupidité, la violence, le sexisme.
Derrière le film d’Ushev, on peut imaginer un brûlot contre le masculinisme. Mais aussi contre les extrémistes et ceux qui mettent en péril le monde d’aujourd’hui : c’est loin d’être un hasard si le titre du film se cale sur un plan laissant entrevoir les bustes d’Hitler, Macron, Netanyahu, ou encore Donald Trump. Quelques petits noms à qui le réalisateur a rendu un vibrant hommage sur scène, en clamant « Fuck Poutine, Fuck Trump, Fuck Netanyahu » pour conclure la présentation de son court métrage. Ça, c’est fait. Et on va pas se le cacher : ça faisait bien plaisir.
9 Million Colors, réalisé par Bára ANNA
Une crevette-mante, terreur des fonds marins qui passe son temps à trucider tout ce qui l’entoure, se prend d’amitié pour un poisson aveugle. Elle veut alors tout faire pour lui montrer le monde à son image : plein de couleurs et de détails… entre quelques tranchages d’espèces marines.
9 Million Colors est lui aussi un peu fou. Tantôt film musical, tantôt buddy movie façon Monde de Nemo (en plus adulte), le court métrage de Bára Anna est aussi une belle surprise. Pour sa capacité à « dissimuler » une violence qui est ordinaire pour notre petite crevette, qui pense aussi bien faire en greffant des yeux de crabe à son ami. La violence peut-elle vraiment servir à une amitié ? Peut-on changer pour les personnes qu’on aime ? Ce court aborde ces questions de façon simple et efficace, avec une technique là-aussi époustouflante, mélange d’animation 3D et de marionnettes.
Star Wars Visions : Épisode « Black », réalisé par Shinya OHIRA
Peut-être la plus grosse anomalie de cette sélection ? S’il y a bien quelque chose qu’on ne s’attendait pas à retrouver en compétition, c’est bien un épisode de l’anthologie Star Wars Visions. Parce que Disney est tellement control freak qu’on l’aurait plutôt vu en séance événement ou en work in progress, surtout quatre mois avant la sortie de la troisième saison. Et pourtant, l’épisode Black est bien là. Réalisé par Shinya Ohira et le studio David Productions (qui était déjà derrière La Maison des égarées, lui aussi sélectionné à Annecy en 2022), ce court métrage est venu conclure en apothéose cette séance en étant le plus expérimental de tous.
Black aborde le point de vue d’un stormtrooper au bord de la défaite et explore de façon psychédélique des batailles clés de la saga : la lutte pour préserver l’Étoile Noire, les affrontements glaciaux sur la planète Hoth… Quelques points de repère que l’on parvient à trouver, tant l’expérience est déstabilisante. L’épisode est un flux ininterrompu de violence, marqué par les déformations, la vitesse, un rythme quasi-épileptique. Entre le feu et le sang, le bien et le mal s’affrontent, les couleurs verte et rouge cherchant à se dominer l’une l’autre. On ressort de Black complètement lessivé, tant cette expérience n’a aucun équivalent dans la franchise : derrière toute cette violence se joue une musique jazz façon Cantina, soulignant encore un peu plus sa banalité.
Si Black est une anomalie, la série Star Wars Visions en est une encore plus importante : elle semble être définitivement le plus grand espace de liberté et de créativité dans toute la franchise depuis le rachat de Lucasfilm par Disney. Depuis quatre ans, les studios retenus s’en donnent à cœur joie : Science SARU, Colorido, Trigger, La Cachette, Cartoon Saloon, Aardman… C’est à peu près le seul endroit où l’on se retrouve avec des étoiles plein les yeux.