Resurrection : Et la Lumière fut

Il était temps qu’une séance secoue un peu cette édition un peu trop sage du Festival de Cannes. La  petite musique d’une sélection particulièrement faible commençait en effet à se faire entendre chez les festivaliers.  Si à Cinématraque, on se réjouit d’avoir quand même quelques très bons films (voir notre tableau des étoiles), il nous manquait encore une œuvre forte dont on ressort un peu hagards et avec le cerveau en ébullition. Eh bien voilà, c’est fait. Résurrection a frappé un grand coup la veille du dernier jour de la compétition. Et même si c’est un film qui mérite sûrement un second visionnage à tête plus reposée pour le décortiquer voici déjà nos premières impressions à chaud.

Resurrection de Bi Gan s’ouvre sur un encart de cinéma muet pour nous expliquer ce qui pourrait être le concept du film : en ne rêvant plus, les humains sont devenus immortels. Cependant quelques rebelles résistent et continuent de rêver ce qui détraque la linéarité du temps. De ce qui pourrait être le départ d’un horrible épisode de Black Mirror, Bi Gan propose une œuvre à l’ambition démesurée qui rend hommage à l’histoire du cinéma sur un siècle (mais pas vraiment comme Babylon). Après une magnifique séquence puisant dans les classiques du cinéma muet qu’on a déjà envie de revoir en boucle et dont on ne dira pas plus pour vous laisser la magie de la découverte, le film se transforme soudain en polar d’époque mystérieux. On comprend alors que le voyage de Resurrection sera composé d’étapes ayant chacune leur propre identité artistique.

Le risque d’une œuvre aussi fragmentée est de ne pas être aussi réussie dans tous ses segments. C’est le cas de Resurrection qui a quelques moments un peu plus faibles (la séquence du temple notamment). Mais dans ses moments moins réussis, le film propose toujours des idées intéressantes. Quant aux moments réussis… Que dire si ce n’est que c’est une jubilation de chaque instant. Le tour de force du film est un très long plan séquence qui joue en permanence avec ses propres codes. Bi Gan est un amateur de ce genre de séquence qui faisaient déjà le sel de Kaili Blues et Un grand voyage vers la nuit. Mais cette séquence de Resurrection va encore plus loin en se réinventant en permanence. La caméra qui suit les personnages devient ainsi un instant un des personnages du film jusqu’à ce qu’un autre personnage brise le cadre et modifie la photographie du film d’un coup de pied sauté. C’est éblouissant et ça se termine dans une lumière destructrice qui nous laisse pantois.

Oh mon dieu, ils ont tué le cinéma !

La conclusion du film est à la hauteur du chemin qu’il nous a proposé. Bi Gan y détruit le cinéma, et nous avec, tout en lui rendant le plus beau des hommages. Mais ce n’est pas un hommage purement théorique au Cinéma-avec-un-grand-c. Cet hommage s’incarne dans les figures et les monstres qui ont traversé l’histoire du cinéma. Resurrection est aussi un film fantastique qui convoque les ombres du cinéma pour les réenchanter. Bi Gan filme à la fois la silhouette mystérieuse de ces mythes mais aussi le secret de leur fabrication dans une volonté vertigineuse d’englober le cinéma tout entier.

Si les rêves détraquent la réalité, et que le cinéma est le plus grand pourvoyeur de rêves, c’est donc l’essence du cinéma de détruire le réel, et inversement. Bi Gan filme cette lutte dialectique (et violente) et en tire une œuvre renversante qui marquera à coup sûr la 78ème édition du Festival de Cannes. Si Resurrection est peut-être trop radical pour empocher la Palme d’or, il sera forcément quelque part dans le palmarès. Mais après tout, ces considérations sont peut-être dérisoires quand on vient de tuer le cinéma.

Resurrection, un film de Bi Gan avec Jackson Yee et Shu Qi, date de sortie en salles inconnue

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