En 2019, Kleber Mendonça Filho avait secoué le Festival de Cannes en présentant Bacurau, fable brutale sur des parties de chasse à l’homme organisées par des riches. L’Agent secret avec lequel il revient en compétition cette année semble beaucoup plus sage. On y suit le retour à Recife d’un chercheur qui a dû faire profil bas après des histoires que l’on comprend liées à ses principes politiques. Il retourne dans cette ville pour y récupérer son fils. Mais des tueurs à gage sont lancés à ses trousses.
Avec cette idée de base, assez simple, Filho déroule un magnifique thriller d’époque. La somptueuse photographie du film nous plonge avec délice dans le Brésil des années 70. L’intrigue est racontée avec un sens aiguisé du rythme et l’entrecroisement des différentes pistes narratives ne perd jamais le spectateur. On sent ainsi progressivement le piège se refermer sur Marcelo et la tension monte alors que la date de la fuite de Marcelo et de son fils approche.
On est d’accord que nos cabines téléphoniques étaient nettement moins stylées ?
L’agent secret aurait donc pu se contenter d’être un excellent thriller d’époque, portrait d’une dictature corrompue. Mais il dévoile progressivement une toute autre profondeur. D’abord en laissant s’immiscer une touche d’humour absurde presque fantastique en évoquant par petites touches le récit délirant d’une jambe coupée trouvée dans requin et qui va devenir l’événement médiatique du moment. Ensuite, et c’est là son véritable tour de force, en intégrant le présent dans son récit via des étudiants qui consultent des archives pour comprendre ce qu’il s’est passé. Ce qu’on pourrait prendre pour un simple dispositif narratif pour accrocher le spectateur est au final le cœur du film. Ce travail sur la mémoire à travers des dossiers récupéré dans un fonds privé permet au récit du film de se dérouler et à l’histoire de Marcelo d’exister.
Le film conclut son thriller d’une façon extrêmement élégante et audacieuse et démontre l’importance de son dispositif pour comprendre ce que Mendonça Filho voulait filmer. Le lutte contre la dictature brésilienne, et contre toutes les dictatures, passent également par le travail de ceux qui remettent en lumière les effacés de l’histoire, ceux qui ont résisté et dont la voix a été tue. Une des scènes les plus belles du film réunit certains de ces résistants autour d’un dîner anodin où chacun profite de ce moment de communion, rare dans une époque « semée d’embûches ». On peut deviner que la période actuelle n’est pas beaucoup mieux lotie de ce côté-là…
Thriller efficace et film politique d’une intelligence admirable, L’agent secret est l’un des films les plus marquants de la première semaine de compétition cannoise, et donc un prétendant à une prix à sa hauteur.
L’Agent secret, un film de Kleber Mendonça Filho avec Wagner Moura, Gabriel Leone, Maria Fernanda Candido