Il y a trois ans, le paysage de la comédie française découvrait le nom de Martin Jauvat, petit protégé de Benoît Forgeard qui présentait à l’ACID son premier long-métrage, Grand Paris. Un premier film fait de bric et de broc, hommage à la comédie de potes et au stoner movie américain pour lequel nous avions pu nous entretenir avec lui, l’occasion de découvrir un jeune cinéaste au style déjà bien affirmé. Un style qui a valu un Grand Paris un joli bouche-à-oreille chez les cinéphiles fans de comédie hexagonale, mais aussi l’attention de certains producteurs et distributeurs prêts à financer un deuxième film. Ce deuxième film, Baise-en-Ville, a lui aussi les honneurs d’une sélection cannoise, mais cette fois-ci à la Semaine de la Critique, dans le cadre d’une séance spéciale.
Sur bien des points, le héros de Baise-en-Ville est comme un alter ego fictionnel de Jauvat, qui interprète lui-même le rôle principal de ses films. Le Leslie de Grand Paris devient ici Corentin Perrier, alias Sprite. Corentin a 25 ans et glande chez ses parents après sa rupture douloureuse avec son ex petite amie Lola. Pour reprendre sa vie en main, il se met en tête de passer son permis dans l’auto-école de sa ville de Chelles, auprès de Marie-Charlotte, la meilleure monitrice du 77. Mais pour financer son permis, il faut de l’argent. Et pour avoir de l’argent il faut travailler. Et pour travailler, il faut un moyen de transport. En trouvant un travail auprès d’une start-up spécialisée dans le nettoyage de scène de fêtes nocturnes en Île-de-France, Sprite s’engage dans un parcours du combattant presque insoluble.
Pour qui a vu Grand Paris, l’humour de Baise-en-Ville ne sera source d’aucun dépaysement. Le style de Martin Jauvat reste le même, jusque dans sa mise en scène, combinant un grain très naturaliste avec un recours à une lumière très saturée et à des palettes de couleur très artificielles. Un héritage notamment du style Benoît Forgeard, qui demeure une des influences majeures de Jauvat. Tout cet humour se résume dans le titre du film : Baise-en-Ville porte avec lui l’élégance désuète du trait d’esprit un peu démodé, mais aussi le bon rire gras qui accompagne la simple prononciation du mot “baise” (héhé).
Mais son cinéma a néanmoins son originalité propre, particulièrement par son ancrage territorial. Martin Jauvat a grandi et vit encore aujourd’hui à Chelles, et la Grande couronne de la banlieue parisienne, déjà au cœur de Grand Paris, est ici aussi un personnage principal. Les comédies de Jauvat sont aussi d’une certaine manière des comédies d’urbanisme, une ode aux galériens de banlieue désenclavés par rapport à Paris. Par la comédie, le cinéaste parle aussi ici de ces jeunes si proches de la capitale mais pourtant toujours à la merci du dernier bus et RER pour aller n’importe où en-dehors de chez eux. Une manière de mettre en lumière que le malaise générationnel des néo-vingtenaires repose aussi sur une incapacité des territoires locaux à penser leur mobilité, et donc à les enfermer dans le statisme et l’apathie.
Martin Jauvat a suffisamment d’intelligence pour écrire des crétins aussi hilarants que ceux de Baise-en-Ville. Son observation sociologique, il l’englobe de la blague la plus idiote qui soit car le vrai déclencheur de la prise de conscience de Corentin survient quand sa mère décide, pour le motiver, de le priver… de la bonde de baignoire de la salle de bains, dans laquelle il passe parfois des heures à rêvasser en regardant les étoiles, un peu comme Einstein. Cette érudition dans la connerie, savamment référencée, fait encore mouche une fois ici, et permet de conserver un regard doux et empathique sur la galerie de sympathiques losers qui traverse Baise-en-Ville : le copain de sa soeur devenu manager toxique (William Lebghil, comme toujours impeccable), un patron de start-up indécrottablement dévoué à son job (le boss Sébastien Chassagne), une monitrice d’auto-école acariâtre mais empathique (Emmanuelle Bercot, de manière surprenante dans la nuance)…
Le déroulé du casting de Baise-en-Ville (ainsi que l’apparition des logos de France TV et Netflix pendant le générique) permet de comprendre que l’économie de tournage des plateaux de Martin Jauvat a changé : si les habitués Lebghil et Chassagne reprennent du service, on voit défiler à l’écran Emmanuelle Bercot, mais aussi l’incontournable Anaïde Rozam, Annabelle Lengronne (Un petit frère de Léonor Séraille), mais aussi Géraldine Pailhas et Michel Hazanavicius dans le rôle des parents de Corentin. Cette nouvelle ambition se fait peut-être au détriment d’une certaine folie (due aussi à la dissipation de l’effet de surprise), mais au profit d’une écriture plus resserrée, plus concise et plus efficace, notamment dans le registre de l’émotion et de la tendresse. Baise-en-Ville est une comédie de couillons, qui offre ses beaux moments de crétinerie rigolarde (surtout quand une scène impliquant des modèles en carton de notre président de la République est diffusée dans une salle accueillant notre ministre de la Culture et le nouveau patron du CNC), mais c’est une comédie de couillons qui a du coeur. Et quelques kilomètres au compteur de plus.
Baise-en-Ville de et avec Martin Jauvat, Emmanuelle Bercot, Sébastien Chassagne…, date de sortie française encore inconnue