Attendu de longue date, Nouvelle Vague de Richard Linklater marque le retour à Cannes d’un des cinéastes américains les plus appréciés de la cinéphilie française, et l’un des plus prolifiques en la personne de Richard Linklater. L’histoire commune du réalisateur avec le Festival est pourtant très chiche : Linklater n’est venu qu’une fois à Cannes dans sa carrière, en 2006. Certes pour deux films présentés dans deux sélections différentes (Fast Food Nation à l’Officielle, A Scanner Darkly à Un Certain Regard) mais tout de même assez peu pour un cinéaste plus souvent célébré par Venise et surtout Berlin. Mais cette fois-ci, au vu du sujet de ce nouveau long-métrage (son trente-troisième!), difficile d’imaginer meilleur endroit que la Croisette pour découvrir le bien-nommé Nouvelle Vague.
Comme son nom l’indique, le film de Linklater se penche sur la genèse d’une des plus célèbres générations de cinéastes de l’histoire, et plus particulièrement sur celle du film le plus emblématique du mouvement : A bout de souffle de Jean-Luc Godard, sorti dans les salles obscures il y a 65 ans. Linklater ici s’emploie à retranscrire, à reconstituer même, le tournage devenu légendaire d’un film qui l’est encore plus. Que l’on adhère ou soit réfractaire au style Godard, et même si on ne l’a pas vu, tout le monde connaît A bout de souffle. Que reste-t-il encore à dire sur un film et des répliques qui ont fait le tour du monde?
Pas mal de choses selon Linklater, qui pour s’y atteler décide de tourner son film dans la langue de Molière et avec un casting intégralement composé d’acteurs francophones méconnus, avec pour seule exception Zoey Deutch (déjà inoubliable dans l’encore mésestimé Everybody Wants Some! du même Linklater) dans le rôle de Jean Seberg. Au scénario, la journaliste et productrice Michèle Halberstadt et la scénariste Laëtitia Masson sont venus apporter leur expertise pour essayer de faire revivre ce qui fut à l’époque une véritable révolution dans le septième art, et dans la culture dans son ensemble.
Noir et blanc, format 4:3 et techniques d’époque (Linklater utilise par la même occasion la même type de pellicule utilisée par Godard à l’époque), Nouvelle Vague entend nous renvoyer plus de six décennies en arrière, dans l’effervescence provoquée par la sortie tapageuse (déjà à Cannes) des 400 Coups de François Truffaut. A cette époque, toute la fameuse “bande des Cahiers” a sauté le pas vers la réalisation : Truffaut évidemment, Chabrol, Rivette, Rohmer, ils sont venus, ils sont tous là. Seul un d’entre eux met plus de temps que d’autres à s’y mettre : Jean-Luc Godard (Guillaume Marbeck), 29 ans à l’époque. Mais son heure arrive : son script, co-écrit avec Truffaut (Adrien Rouyard), et avec Chabrol (Antoine Besson) dans les coulisses, a reçu l’aval du producteur Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst), surnommé “Beau-Beau”. Déjà à l’affiche de son court Charlotte et son Jules, le jeune Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin) reprend du service. Reste cependant à convaincre Jean Seberg, l’actrice Américaine qui monte en France grâce à ses succès dans Sainte Jeanne et Bonjour Tristesse d’Otto Preminger, de se lancer dans l’aventure.
Une vingtaine de jours (le tournage dura en réalité près d’un mois) pour écrire et réaliser l’Histoire. Voilà le défi que se lance Godard, avec sa méthode, ou son anti-méthode, qui fera son succès, ainsi que le régal de nombreux imitateurs. Linklater ne se prive pas d’ailleurs de mettre en scène le “personnage Godard”, parlant davantage par aphorismes que par phrases articulées. L’effort de reconstitution est on le sent méticuleux, richement documenté, et appuyé par une direction d’acteurs remarquable. Guillaume Marbeck, le parfait inconnu pour jouer ce rôle, livre un Godard extrêmement convaincant, ne surjouant jamais ni ses rictus, ni son phrasé si célèbre, dans une composition plus premier degré et moins sardonique que celle, délicieuse également, de Louis Garrel dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius.
Diriger une troupe d’acteurs méconnus et nous les rendre immédiatement sympathiques, Richard Linklater sait faire, c’est même l’une de ses plus grandes forces. Que ce soit pour évoquer l’effusion artistique autour des jeunes loups de la Nouvelle Vague, de leurs compagnons de route (Pierre Rissient, Suzanne Schiffman, Raoul Coutard…) et de leurs maîtres à penser (Roberto Rossellini, Jean-Pierre Melville, Robert Bresson…), Nouvelle Vague déclenche un plaisir immédiat de nostalgie. Pur crowd pleaser pour cinéphiles compulsifs, le film remplit de ce côté parfaitement son office : on le suit avec un plaisir non dissimulé, et on a toujours un petit pincement quand vient le moment de dire au revoir à ce petit monde devant la caméra, comme toujours dans le cinéma chaleureux de Richard Linklater.
Cependant, Nouvelle Vague n’est rien d’autre que cette petite sucrerie fétichiste destinée avant tout à ceux qui postent religieusement leur Year in Review de Letterboxd chaque fin décembre sur leurs réseaux sociaux, catégorie de gens dont fait partie l’auteur de ces lignes. Car il ne s’agit principalement que d’une collection d’anecdotes liée sous la forme d’un journal de bord (tristement) chronologique du tournage et recréé avec un souci du détail monomaniaque. Mais derrière la patine vintage, Nouvelle Vague reste un film totalement linéaire et empreint d’une certaine vanité, l’hommage le moins godardien possible au cinéma de Jean-Luc Godard. “Faîtes attention à ce que le cinéma ne devienne pas une affaire de mystique”, conseille dans une scène Roberto Rossellini à la rédaction des Cahiers réunie pour lui rendre hommage. Le sentiment qui ressort de Nouvelle Vague, c’est pourtant que c’est la mystique godardienne qu’aborde Linklater plutôt que la nature même de son cinéma. Pour aborder un cinéma si libre, si anticonformiste que celui d’A bout de souffle, que de classicisme et d’académisme!
Il est fort probable que c’est avant tout le sujet de Nouvelle Vague qui lui vaut sa sélection cannoise davantage que son contenu. Jean-Luc Godard lui-même aurait probablement détesté Nouvelle Vague s’il l’avait vu de son vivant, agacé d’une telle révérence. Il n’empêche qu’après un tiers de festival à suivre une compétition certes de qualité, mais comme souvent assez chiche en légèreté, se voir offrir une petite madeleine de Proust cinéphile, savamment cuisinée par un chef pâtissier qui ne manque certainement ni de talent ni de générosité, est un plaisir qu’on ne saura bouder. Parce que ça, c’est tout sauf dégueulasse.
Nouvelle Vague de Richard Linklater avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin, date de sortie française prévue le 8 octobre