Bong Joon-ho a pris son temps pour revenir sur nos écrans après avoir été consacré par la Palme d’or et les Oscars pour Parasite. Six ans plus tard, son nouveau projet Mickey 17 peut donner une impression de déjà vu : un film d’aventure et de science-fiction tourné en anglais, avec des acteurs anglo-saxons… Comme Snowpiercer et Okja, ses deux autres réalisations « américanisées ». Celles-ci n’ont pas fait l’unanimité, la distribution de la première ayant été affectée par nul autre que Harvey Weinstein tandis que la seconde a été co-optée par Netflix, et d’aucuns ont pu regretter son choix de collaborer à nouveau avec un studio américain – une inquiétude que les délais successifs et des rumeurs de désaccord sur le montage avec la Warner n’ont fait qu’accroître. Le metteur en scène coréen le plus populaire et primé du monde a-t-il commis un faux pas pour son grand retour ?
Cette adaptation d’un roman de 2022 voit un homme aux abois, le Mickey éponyme, contraint d’accepter des clauses particulièrement cruelles pour pouvoir quitter une Terre en pleine implosion. La mission de colonisation spatiale en partance pour une lointaine planète glacée n’a que faire d’un loser sans compétences en son genre, aussi doit-il céder les droits de son ADN pour devenir un cobaye clonable à l’envi, et donc remplaçable, et donc… Sacrifiable. Une technologie d’impression 3D de matière organique, et de sauvegarde de la mémoire, permet de recréer un nouveau Mickey – mais seulement quand le précédent décède. Des débats éthiques et religieux ont en effet tranché contre la co-existence de plusieurs clones. Ce postulat n’est pas sans rappeler celui de la série Altered Carbon, une autre adaptation d’un roman de science-fiction où le fait de pouvoir télécharger la conscience d’un individu sur un disque dur altère (eh eh) profondément les notions de corps, d’âme, et le caractère sacré de la vie humaine. Ici, le fait de devenir Remplaçable équivaut à une sérieuse dégringolade dans la pyramide des strates sociales, où Mickey n’était pourtant déjà pas bien haut, alors que les rapports entre les différentes classes présentes sur le vaisseau sont plus inégalitaires et corrompus que jamais.
Lors d’une des avant-premières parisiennes, Bong Joon-ho a affirmé qu’il n’a d’abord pas eu conscience de la charge critique, voire du message anticapitaliste, embusqués dans son film. Ils sont pourtant des échos directs de ses films précédents, et on retrouve nombre de ses motifs et thèmes de prédilection tissés dans l’intrigue, entre antispécisme et satire des élites. Le vaisseau spatial dans lequel Mickey tente de tirer son épingle du jeu a plein de points communs avec le train Transperceneige, tandis que la forme de vie extraterrestre croisée lors de ses dangereuses pérégrinations fait immanquablement penser au cochon-hippopotame Okja (bien que son design eût apparemment été inspiré au réalisateur par un… croissant). À la place de Tilda Swinton, on retrouve un couple d’acteurs pour cabotiner dans le rôle de despotes ridicules : Mark Ruffalo dans une parodie explicite de Donald Trump, et la toujours excellente Toni Collette à ses côtés en tant qu’épouse azimutée, obsédée par la concoction de la sauce parfaite. Car là encore, la nourriture occupe évidemment une place surprenante dans le récit. De fait, le réalisateur creuse son sillon et n’a pas peur des redites… Mais peut-être que c’est tant mieux, au fond.
En effet, ce n’est pas comme si les blockbusters iconoclastes se bousculaient au portillon de nos jours. Dans le cauchemar ultralibéral de 2025, c’est salutaire de voir un réalisateur en vogue et son film mainstream pousser tous les curseurs au maximum, répéter, souligner, surligner des valeurs (morales, écologiques, sociales) piétinées de toutes parts. Le tout en ayant le luxe d’avoir un casting de stars, des moyens conséquents et une campagne promotionnelle au diapason. Bong Joon-ho ne se renouvelle pas, mais met tout son savoir-faire de metteur en scène brillant, grand habitué de faire passer ses idées à travers des films de genre, au service d’un divertissement féroce. Comme une somme de ses influences et intentions, il compile à un rythme effréné scènes d’action virevoltantes (avec une Naomi Ackie qui impressionne dans ses propres cascades), romance effrontée et gags dignes de cartoons sans jamais perdre de vue une rage jouissive. La question du clonage est un terreau fertile de la science-fiction. Mais les préoccupations philosophiques ou psychologiques que pourrait faire naître le personnage de Mickey sont à peine évoquées – quand d’autres personnages lui demandent ce que ça fait de mourir, quand on voit les différences qui apparaissent d’un clone à l’autre – au profit d’une vision politique. Bong Joon-ho est un cinéaste du matériel et du concret, qui utilise la violence comme miroir : on a beau ne pas littéralement sortir d’une imprimante à viscères, ne souffre-t-on pas comme Mickey au cœur d’un système truqué et implacable ? N’est-il pas envisageable de remettre en cause les mécaniques inhumaines de l’exploitation, à travers le processus démocratique… Ou l’action directe ? Sous couvert d’une aventure de science-fiction fun, la question est pour ainsi dire vite répondue.
Mickey 17, un film de Bong Joon-ho. Avec Robert Pattinson, Naomi Ackie, Steven Yeun, Toni Collette, Mark Ruffalo… En salles le 5 mars 2025.
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