L’an dernier, la compétition du festival de Cannes ouvrait ses portes à Karim Aïnouz, cinéaste brésilien d’origine algérienne, déjà consacré en 2019 par le prix Un certain regard pour La vie invisible d’Euridice Gusmao. Film en costumes en anglais porté par un casting hollywoodien anglophone (notamment un Jude Law assez saisissant en Henri VIII répugnant), Firebrand ou Le jeu de la reine dans nos contrées semblait un choix un peu étrange pour un galop d’essai tant malgré ses qualités le film reflétait assez peu au final la patte de Karim Aïnouz. Un an plus tard, rebelote : le réalisateur fait son retour en compétition avec un film aux antipodes de son précédent.
Le Motel Destino, où se déroule la quasi-totalité de l’action du film éponyme, est un motel de l’État de Ceará au nord-est du Brésil. C’est un hôtel de passe, à la décoration restée dans un jus très eighties, néons blafards et équipement sommaire en prime, essentiellement fréquenté par des locaux de passage pour venir tirer un coup sans poser trop de questions. C’est aussi là qu’après un coup qui tourne mal se réfugie Heraldo (Iago Xavier), un jeune délinquant poursuivi par les hommes de main de la Bambina, une caïd de la région. Le jeune homme est alors pris sous son aile par Dayana (Nataly Rocha), la patronne du motel, et par son mari Elias (Fabio Assunçao), avant que la situation ne finisse par dégénérer.
Sur le papier, il y avait en Motel Destino le potentiel d’offrir au festivalier cannois le potentiel de s’encanailler un peu, surtout celui qui avait déjà passé plus d’une semaine loin de son ou sa partenaire à s’enfiler des tunnels de films entrecoupés par des nuits de cinq heures maximum. La promesse d’un thriller érotique est dans l’ensemble relativement tenue par Karim Aïnouz, qui livre un film sensuel où la sexualité est omniprésente. Car au Motel Destino, ça baise tout le temps, ça baise jour et nuit, ça baise à deux, trois ou plus, ça baise avec les sextoys vendus par les patrons, même les ânes dans le jardin baisent sous le cagnard infernal des après-midis brésiliens. Les râles orgasmiques aussi bien masculins et féminins sont comme la seconde bande-son du film, qui enveloppe l’action au point d’en devenir un bruit de fond, comme le cri d’un animal au loin. Sauf que là on aurait pu s’attendre à un thriller érotique poisseux, vénéneux et psychédélique (comme nous l’annonçait le trigger warning épilepsie) en début de séance, Motel Destino s’avère au final assez sage.
La faute en grande partie à une scénario pas à la hauteur des enjeux, un banal triangle amoureux cousu de fil blanc qui semble avancer sur des rails jusqu’à une explosion d’affects dans sa dernière ligne droit. Même ses effets stroboscopiques s’avèrent assez tièdes alors que le décor blafard du Motel Destino semblait offrir un terrain de jeu idéal aux effets les plus extrêmes. Si dans le rôle-titre le jeune Iago Xavier se montre parfois un peu falot (pas aidé par une écriture qui n’exploite pas toujours le potentiel du personnage), le film repose surtout sur la dynamique complexe et vénéneuse que forment Danaya et Elias, et particulièrement ce dernier, prototype du macho pervers toujours sur la brèche avec ses faux airs de Klaus Kinski.
Motel Destino n’est pas en soi un mauvais film, même si ses 115 minutes peinent parfois à se justifier pleinement. Cette relecture lointaine du Facteur sonne toujours deux fois fait dans l’ensemble mouche, mais quand on voit toutes les possibilités offertes par ce décor de cinéma fabuleux, on se dit qu’il y avait dans le film de Karim Aïnouz de quoi faire mijoter un thriller lubrique beaucoup plus fiévreux (et queer, une direction que le film ébauche mais n’emprunte quasiment jamais) que celui qui nous tombe dans les bras. Ni vraiment politique, ni vraiment scandaleux, Motel Destino est juste une aimable récréation, une distraction polie dont on aurait aimé qu’elle nous secoue davantage, à l’image de son générique de fin qui nous a au moins permis de sortir de la salle Debussy en se déhanchant le popotin. Qui a dit que les soirées cannoises n’étaient plus ce qu’elles étaient?
Motel Destino de Karim Aïnouz avec Iago Xavier, Nataly Rocha, Fabio Assunçao, date de sortie française encore inconnue