En juin 2023, nous avons découvert par hasard le long-métrage d’animation Adam change lentement au festival d’Annecy. Le coup de cœur fut immédiat, grâce à une approche esthétique et narrative particulièrement réussie, où une simple idée de mise en scène fait le génie du tout : Adam est un adolescent mal dans sa peau, qui voit son corps évoluer en réponse aux remarques désagréables de son entourage. Sur son lit de mort sa grand-mère lui dit qu’elle a toujours trouvé qu’il avait un long tronc, et bim son torse s’allonge. Ce petit bijou d’humour absurde, au ton décalé typique d’un certain esprit québécois, trouve enfin le chemin de nos salles obscures. Pour l’occasion, nous vous proposons de lire un entretien réalisé avec son réalisateur lors du festival d’Annecy 2023.
Cinématraque : Est ce que vous vous souvenez de votre premier amour d’animation ?
Joël : C’est une bonne question. Je pense que les premiers films d’animation que j’ai vus que j’ai aimés, c’est les Astérix. C’était un truc récurrent au Québec, dans le temps de Noël il y avait une émission qui passait avec toujours les mêmes films d’animation année après année. Je pense que c’est mon premier contact avec l’animation… Et c’était souvent des films Astérix. Cléopâtre, les 12 Travaux. Mais je les appréciais tous !
On est ici en plein festival, est-ce que vous avez un dernier amour d’animation ?
Oui, en fait, j’ai vu Art collège 1994 (de Liu Jian). Je suis allé le voir sans savoir ce que c’était, et j’ai compris que j’avais vu le précédent du réalisateur auparavant. J’aime beaucoup les films d’animation où il y a des dialogues. Je trouve que souvent, tu sais comme dans les courts métrages, je sais pas si c’est pour un but de plaire facilement à l’international, il y a beaucoup de films qui y vont muets. Je trouve que pour le long métrage, des fois ça peut être un bémol de ne pas en avoir. Et donc j’aime beaucoup les films où il y en a qui sont bien écrits, ça apporte quelque chose en plus. Dans Art College 1994 les dialogues sont supers.
On va y revenir à cette question des dialogues, je pense que c’est une des plus belles qualités de votre film. Est-ce que vous voudriez bien nous raconter votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
Oui. En fait… L’animation a été un accident pour moi. Je n’ai pas fait d’études pour ça. J’ai essayé de faire des films en prises de vues réelles quand j’étais plus jeune, et à 25 ans une fois je suis allé dans un festival d’animation, et j’ai vu un court métrage adapté d’une nouvelle de Bukowski, Son of Satan. Je crois que c’était en 2005. Et ça a changé ma vie, j’ai laissé tomber tous mes projets. C’était un film étudiant où la technique était très punk et c’est ce qui m’a permis de comprendre que l’animation était accessible pour des petits budgets, si on veut bien être créatif. A partir de ce moment-là, je me suis mis à faire beaucoup d’animations seul, avec les moyens que j’avais. C’est ça, mon école. J’ai fait beaucoup de courts métrages, puis des vidéo clips aussi. J’ai rencontré mes producteurs actuels parce qu’ils m’ont remis un prix pour un de mes films fait avec les moyens du bord, et ils m’ont aidé à voir plus grand. J’ai fait 3 courts avec eux, puis on a développé un long qui ne s’est pas fait et en fait il y a eu Adam. Et maintenant ça fait dix ans que je travaille avec mes producteurs, notre relation est plus qu’une simple relation professionnelle. On est amis, et je trouve ça bien. La plupart des gens avec qui je travaille, c’est des relations qui sont plus que professionnelles. C’est en faisant la fête ensemble qu’on sait qui sont vraiment les gens ! C’est très familial donc comme ambiance et c’est ce que je recherche parce que faire des films c’est stressant. Et le fait de le faire avec des gens en qui on a confiance dans toutes les sphères de notre vie, ça, ça solidifie le projet. C’est complètement vrai.
Vous dessiniez déjà avant de faire des films ?
Oui, mais comme un loisir. J’écrivais, je dessinais, je faisais de la musique, un peu de montage, mais c’était pour le plaisir. Et quand j’ai découvert que l’animation c’était une sorte de rencontre, la tempête parfaite qui conjugue tous ces éléments, je suis tombé en amour.
Et pour Adam change lentement, qu’elle a été la première idée, le point de départ ?
J’ai fait beaucoup de courts métrages sur le malaise adolescent, l’époque où c’est le début des réputations. J’étais très intrigué par le moment où on te colle un surnom qui reste par exemple, et à 25 ans on t’appelle encore en référence à un événément de quand t’avais 8, 12 ans. Pour le long-métrage, je suis parti d’émotions similaires. Des souvenirs d’émotions adolescentes. Au lieu de trouver une quête à mon personnage, j’ai essayer d’écrire une histoire qui pouvait me permettre d’explorer ces émotions dont je me souviens. Quand je pense à mon adolescence je pense à ces moments de malaise, où on a l’impression d’un manque de contrôle. Ouais c’est ça qui m’intéressait, et puis c’était un vrai défi scénaristique aussi.
Pour cette écriture justement, vous commencez par dessiner ou bien vous écrivez d’abord ? Ou les deux en même temps ?
Oui c’est plutôt les deux en même temps, mais à différents niveaux. C’est comme des leviers. Par exemple, j’écris un truc. Quand je me demande ce que la personne pourrait dire j’ai envie de voir son visage, alors je le dessine. Et le croquis va nourrir le texte ensuite. Parfois le texte me donne des idées d’ambiance sonore alors je travaille aussi la musique à l’étape de l’écriture. Le tout dans une sorte de symbiose qui m’évite de tomber trop facilement dans le syndrome de la page blanche. Quand j’ai un blocage, je change de direction. Et j’ai toujours travaillé comme ça, je n’ai rien appris de manière académique de toute façon !
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit pendant la présentation du film. Vous avez parlé d’un d’un triple fantasme pour le film. Le premier c’était un fantasme de spectateur.
Les films pour adolescents, ou quand les sujets sont la vie adolescente, c’est souvent très énergique. Stroboscopique, avec des montages ultra serrés, des personnages qui crient, qui sont mus par leurs désirs… Moi en tant que spectateur, j’avais envie de voir un film calme. Avec un rythme plus lent et surtout des personnages qui sont moins frondeurs. Aller dans l’introspectif. Donc un protagoniste qui ne parle pas tout le temps, qui ne crée pas des situations, mais qui est plus observateur. C’est comme si en tant que spectateur on assistait aux situations avec lui, plutôt que de le regarder agir. Je pense que je suis aussi influencé pour ce genre de choses par mon autre métier, qui est monteur vidéo dans le documentaire. C’est quelque chose qui m’aide beaucoup pour l’écriture, parce que je travaille sur le rythme sans cesse. Et puis de la même manière dans la mise en scène, je voulais quelque chose de très sobre, pas de caméras qui tournent, pas de poudre aux yeux… Je voulais que ça soit sincère.
Le deuxième fantasme que vous avez cité, c’était celui de pouvoir travailler sur un format long, notamment pour les personnages secondaires.
Oui, lorsque on scénarise un court métrage, c’est souvent une espèce de situation simple qui amène à un punch assez rapide. Et le long me permet d’éviter ça également. Tiens par exemple dans le film il y a un personnage qui s’appelle Pierrot et qu’on voit plusieurs fois dans le film, mais il n’a presque pas de dialogue. Cinq répliques je dirais. Dans un court-métrage il ne pourrait pas exister parce que sa présence, son poids vient de sa récurrence ponctuelle, sur la durée. Pour faire comprendre sur un format plus court l’aspect répétitif de ses apparitions, j’aurais dû jouer sur une accélération, et ça m’aurait éloigné de ce que je veux faire. Le format du long ouvre les portes parce que ça permet d’éviter de tomber dans la recette.
Et le troisième et dernier fantasme, travailler avec vos amis et vos idoles sur ce film.
Oui, parce que ce sont les mêmes, mes amis sont mes idoles. La musique par exemple, je l’ai composée et je l’ai donnée à des amis qui sont des artistes que je respecte énormément, que je vais voir en spectacle. Il y a une sorte de plaisir à composer une chanson, la donner à des amis qui font les arrangements et te la redonnent en ayant amené le morceau dans une direction pas forcément prévue. C’est pareil avec les comédiens et les répliques. J’ai beaucoup d’admiration pour mes amis et pour tous les gens qui ont accepté de travailler sur ce film. Ça fait en sorte que quand je regarde le film je suis très ému en fait là juste de savoir ce qu’il y a derrière.
Vous pensez exprimer une nostalgie pour la jeunesse dans votre film ?
Je suis pas très nostalgique. Je pense qu’un des trucs qui m’a attiré vers ce sujet-là sur l’adolescence, c’est vraiment d’entendre des adultes me dire quand j’étais adolescent et que c’était une période difficile, « c’est la plus belle période de ta vie ! ». ça crée une tension… Et puis j’espère bien que c’est pas la plus belle période ! Cela se veut encourageant mais je pense que c’est la pire chose à dire à un ado. J’avais envie de jouer avec ça.
Mais à partir de ce mal-être, vous faîtes un film extrêmement drôle. Même si certains éléments sont foncièrement tragiques, c’est une comédie.
Oui, pour moi c’est absolument une comédie. Et c’est ça l’humour que j’aime. Pas quand c’est criard, mais que ça vient d’une situation. Ce que je disais juste avant, dire à un ado que c’est la plus belle période de sa vie, c’est très drôle même si c’est une sorte de violence. Je trouve ça drôle quand quelqu’un veut dire quelque chose de gentil et le résultat est exactement l’inverse. Une fois quelqu’un m’a dit en festival « j’adore ce que tu fais, j’aimerais beaucoup voir un vrai film de toi ».
Un vrai film ? C’est-à-dire… Pas de l’animation ?
Oui ! ça m’a tellement fait rire. Tu sais que la personne elle veut te montrer qu’elle est intéressée mais en même temps, ce qu’elle dit est terrible.
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Adam change lentement, un film de Joël Vaudreuil, au cinéma le 29 mai 2024.