Parthenope : Les soupirs de la sainte et les cris de la fée

Dans la mythologie grecque, Parthénope est une sirène, créature à l’origine mi-femme mi-oiseau (rappelons que les queues de poisson viennent de la mythologie nordique) qui se distingue de ses soeurs Leucosie et Ligée par sa voix virginale. Elle est aussi fondamentalement liée à la ville de Naples, dont elle est la divinité attirée. Son image charrie avec elle la beauté de la jeune femme, mais aussi des prémisses de mort, la mort des voyageurs qui viennent s’échouer sur ses côtes paradisiaques.

Parthenope, c’est aussi le nom de l’héroïne et du nouveau long-métrage de Paolo Sorrentino, le cinéaste italien coqueluche des festivals. Historiquement associé à Cannes, c’est pourtant à Venise que le réalisateur d’Il Divo et La Grande Bellezza avait emmené son précédent long-métrage, La main de Dieu, notamment pour cause d’incompatibilité avec la politique cannoise concernant Netflix, distributeur du film qui rendait hommage en filigrane au légendaire Diego Maradona.

Passionné par sa ville de Naples (impossible évidemment pour lui de ne pas refermer au passage son Parthenope sans y insérer des images de l’historique Scudetto remporté l’année dernière par les joueurs du Napoli, surnommés au passage… les Partenopei), c’est encore sur elle qu’il se penche en long, en large et en travers pour ce nouveau film. Naples la lumineuse, Naples la romantique, Naples la vénéneuse, Sorrentino décide de l’incarner à travers une jeune femme, Parthenope. Pour ainsi dire, Parthenope est la plus belle femme du monde. Née dans une bonne famille, elle fait tourner la tête de tous les hommes qui l’approchent à travers les plus belles demeures de la cité napolitaine. Sauf que comme la virginale sirène, Parthenope traîne derrière elle le spleen de la mort qui rôde. Le seul qui arrive vraiment à la comprendre et la conforter, c’est son grand frère et protecteur, tout aussi virginalement beau que tourmenté, avec lequel elle noue une relation fusionnelle et quasi incestueuse.

Parthenope ne va en réalité pas faire grand chose de plus que relater la vie, les joies et les malheurs de son héroïne éponyme, documentant la trace indélébile qu’elle laissa chez tous les hommes qu’elle croise. Dit comme ça ça a l’air assez juste et à l’écran ça l’est un peu aussi. Parthenope est en réalité l’expérience la plus radicale de la fascination de Sorrentino pour la beauté, une beauté si belle qu’elle en devient divine, inaccessible, irréelle. Iconisant le personnage de Parthenope, il la pare de toutes les qualités : d’une beauté absolument subjuguante, elle est aussi une anthropologue accomplie, dotée d’une qualité d’écoute et d’une répartie fine, probablement en plus qu’elle ne transpire pas quand elle court. Bref, Parthenope est la femme la plus absurdement conforme aux canons de beauté les plus standard qui soient, et le seul but de Sorrentino, c’est de la filmer pendant 2h15 regardant droit dans la caméra, de préférence dans des tenues divinement luxueuses (pas un hasard si ce film est l’un des trois films de ce Cannes a bénéficier d’un apport de co-production de la toute nouvelle société de production montée par la maison Saint-Laurent).

Ce soir, c’est la male gaze Parthe

L’auteur de ces lignes étant un représentant de cette banale catégorie d’individus des trentenaires cisgenres ayant des accointances affectives principalement envers la gente féminine, il serait d’une hypocrisie totale de dire que le visionnage de Parthenope ne relève pas de la plus traumatisante des expériences de ce cru cannois 2024. Mais le cinéma dans tout ça? Du cinéma il y en a. Il y en a déjà chez l’interprète de Parthenope, la méconnue (mais pas pour très longtemps) Celeste Dalla Porta, qui arrive à insuffler une personnalité à un personnage qui, sur le papier, aurait dû n’en avoir aucune. Elle est une actrice qui existe, irradie l’écran et qui parvient à captiver pendant deux heures et quart le regard de n’importe quel spectateur. Si l’on ne peut évidemment empêcher de constater que le personnage de Parthenope représente une forme de consécration presque outrancièrement caricaturale du male gaze au cinéma (le film ne fait que passer son temps à filmer des hommes médiocres la dévorant des yeux), il serait en revanche contre-productif, voire de mauvaise foi, de la réduire à cette simple raison d’être.

Non content de sublimer Parthenope, Sorrentino de toute évidence se projette sur elle pour analyser le lien si profond et intense qui le lie à sa ville de toujours. Les riches conversations qu’elle noue avec les figures qui croisent sa vie comme l’écrivain John Cheever (incarné par un Gary Oldman s’offrant un numéro de cabotin XXL), un professeur d’université, une vieille gloire décatie du cinéma ou un cardinal aspirant pape sont autant d’échos à la vie de Sorrentino qu’à sa propre filmographie, le film regorgeant d’échos à La Grande Bellezza, Old ou même ses séries The Young Pope et The New Pope. Certaines de ces rencontres font plouf, mais d’autres arrivent à recréer ce qui fait, pour ses défenseurs, la force du cinéma de Paolo Sorrentino : sa naïveté qui confine pour ses détracteurs à de la simple bêtise. Le segment le plus touchant du film est d’ailleurs celui qui a l’air en apparence le plus bébête, à savoir la seule relation platonique de la vie de Parthenope avec son professeur d’anthropologie à l’université, incarné par Silvio Orlando.

A travers Parthenope, Paolo Sorrentino auto-analyse son amour mélancolique avec Naples et ressasse ses obsessions de cinéma au point de largement dépasser le stade de la caricature. Si d’une certaine manière, il donne toujours plus de grain à moudre à ses détracteurs (et on ne leur en tiendra pas rigueur tant le film peut se vautrer par séquences dans la vacuité ridicule et auto-satisfaite), on peut aussi y voir l’expression la plus pure du style Sorrentino, de son outrance d’affèteries qui confine à l’indécence, mais dont parvient toujours à surgir çà et là une décharge émotionnelle inattendue. Le filon a beau commencer à sérieusement se tarir dans le cinéma sorrentinien, il y a toujours quelque chose qui finit par nous ramener sur ses rivages. Le chant d’une sirène sans doute.

Parthenope de Paolo Sorrentino avec Celeste dalla Porta, Silvio Orlando, Stefania Sandrelli, date de sortie française encore inconnue

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