The Apprentice : Orange, ô désespoir

Proposer un biopic, ou du moins un film directement lié au nom et à l’image de Donald Trump est une proposition en or pour un festival, qui s’offre à coup sûr la promesse d’un petit boost d’exposition gratuit grâce à l’aura d’une des personnalités (malheureusement) les plus connues de la planète. C’est aussi, dans le contexte d’une année 2024 qui peut (tout aussi malheureusement) déboucher sur son retour à la tête de la plus grande puissance mondiale, une idée très douteuse sur le papier. L’ascension politique de Trump nous l’a montré plus que tout autre, même la pire des publicités est une bonne publicité, alors remettre une pièce dans l’engrenage médiatique apparaissait au premier abord assez malheureux. Et si en plus cette pièce prend la forme d’un long-métrage en compétition réalisé par Ali Abbasi, pas reconnu pour être l’un des cinéastes les plus subtils du monde, il y avait tous les motifs d’être un peu inquiet.

The Apprentice, qui tire son nom de l’émission de télévision populaire qu’il anima pendant plusieurs années à la télévision américaine, se concentre sur les premières années de succès de Donald Trump (incarné par Sebastian Stan), et sur l’homme derrière sa fulgurante ascension, l’avocat Roy Cohn (Jeremy Strong). Mentor en affaires du magnat de l’immobilier, Cohn était un homme d’affaires redouté, prêt à toutes les bassesses, conservateur assumé qui, comme beaucoup de conservateurs, avait pas mal de cadavres dans son tiroir. C’est aussi celui qui a appris à faire de Trump le carnassier sans cœur et mégalomane que l’on connaît aujourd’hui. Et comme le disait le célèbre philosophe Ric Flair (autre bad guy platiné à la coloration de peau étrangement orangée), “To be the man, you’ve got to beat the man”. Pour Trump, ce fut en terrassant son maître à penser, en le battant avec ses propres armes.

The Art of the Dull

Sur le papier, il y a évidemment une dimension quasi shakespearienne à creuser entre le docteur Frankenstein Cohn et sa créature Trump. C’est peut-être ce qui a pu attirer au départ Abbasi dans ce projet mais ce n’est pas forcément toujours ce qu’il en reste. The Apprentice reste en effet bien trop souvent un biopic sage et conventionnel, se contentant de réciter les grandes balises biographiques de la vie professionnelle et intimes de l’Orange One. L’influence tyrannique de son père Fred Trump, ses débuts quasi avortés pour des histoires de discrimination raciale au logement, sa rencontre avec sa première épouse Ivana (Maria Bakalova)… Tout y passe par le menu.

Et on comprend bien vite que ce qui accroche l’intérêt du réalisateur, c’est de simplement s’amuser comme un petit garnement à singer Trump, le titiller sur des événements peu glorieux de sa vie ou encore certaines de ses insécurités physiques. Au niveau de l’analyse politique, on repassera. Le pacte faustien noué par Cohn et Trump reste bien présent dans le film, mais n’est jamais aussi développé qu’il ne l’aurait fallu. Pire encore, il en devient contre-productif : Trump devient un gentil couillon dont la célébrité lui est montée à la tête, tandis que Cohn, dont les méthodes et la brutalité sont à la fondation même du trumpisme, devient une sorte de victime sacrificielle dont la chute devrait nous inspirer une part de compassion.

Là est la limite rédhibitoire qui fait de The Apprentice un triste échec. La vie et les agissements de Trump et Cohn nous ont prouvé que la compassion est le dernier des sentiments que l’on devrait avoir à éprouver devant deux personnages dont l’œuvre devrait sans doute dynamiter pour de bon la démocratie américaine. Au-delà d’aller sonder les racines du mal, Abbasi se contente de diriger un petit théâtre de banalité, une kermesse un peu toc d’effets VHS (la copie présentée, probablement terminée récemment, souffrait par ailleurs de problèmes de mixage sonore pendant les séquences musicales) dans laquelle Sebastian Stan essaie de se débattre pour un essayer de proposer une interprétation un peu plus nuancée de Trump. Sa manière de s’approprier progressivement ses gimmicks gestuels et verbaux, cette syntaxe trumpienne si ridicule et pourtant si efficace chez ses partisans, voilà peut-être l’un des seuls points d’intérêt du film.

Tristes Trumpiques

La présence de Jeremy Strong (qui fait du Jeremy Strong, intense parfois jusqu’à l’excès) au casting d’un film évoquant en creux des luttes de pouvoir fratricides dans un empire politico-médiatique fait forcément planer l’ombre pesante de Succession, le hit générationnel de HBO au-dessus de The Apprentice, la comparaison s’avérant rarement flatteuse pour le film d’Ali Abbasi. Restant trop souvent en surface, éludant la plupart des pistes qu’il ouvre, le film est diablement, irrémédiablement lisse, rendant l’entreprise plus vaine encore. Abbasi est un bon faiseur c’est certain, mais après la grosse déception qu’avait déjà été Les nuits de Mashhad il y a deux ans, on commence un peu à se demander si son cinéma ne commence pas à suinter le cinéma de petit malin qui pense pouvoir aller plus loin qu’il ne le peut.

En fin de compte, on sort de The Apprentice avec l’impression désagréable de “tout ça pour ça?”. Avait-on vraiment besoin d’un film de deux heures pour savoir que Trump est une crapule raciste, sexiste et mégalomane? Le seul temps fort du film se situe dans ses vingt dernières minutes, qui évoquent les dernières années de Roy Cohn, homosexuel dans le placard emporté en 1989 par le SIDA. Le temps de dernières retrouvailles, toute la monstruosité trumpienne se fait alors jour, son egoïsme surdimensionné se doublant alors d’une cruauté gratuite, celle de la brute qui se complaît à humilier le plus faible par simple plaisir d’étaler sa domination, même aux yeux de celui qui fut son ami jusqu’au bout. Un vrai moment de tragédie noyé au milieu de deux heures de pantomime. Trop peu, trop tard.

The Apprentice d’Ali Abbasi avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, date de sortie française encore inconnue.

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