Christmas Eve in Miller’s Point : Douce nuit, folle nuit

Le nom de Tyler Taormina n’est peut-être pas inconnu des suiveurs les plus assidus du cinéma indépendant américain. Le réalisateur s’était notamment fait remarquer par son premier long-métrage, Ham on Rye, qui avait écumé les festivals comme Locarno et Deauville avant de sortir en France via MUBI. Imparfait mais affirmé dans son style, Ham on Rye avait la beauté fragile du cinéma des débuts, quelque part entre Virgin Suicides, le stone movie et le très beau The Myth of the American Sleepover de David Robert Mitchell. Trois ans plus tard, Tyler Taormina a les honneurs de la Quinzaine des cinéastes, et plutôt deux fois qu’une. Par un hasard qui est probablement tout sauf un hasard, Taormina est aussi crédité à la production d’un autre film de la Quinzaine, l’Eephus de Carson Lund, qui n’est autre que le chef opérateur de ses propres films.

Alors que les beaux jours reviennent sur la Croisette après un début de festival gris et pluvieux, Taormina décide de nous entraîner, en plein mois de mai, dans son interprétation d’un sous-genre en soi du cinéma américain : le Christmas movie. Assez peu étonnant au fond venant du pays de Hallmark Channel, la chaîne câblée préférée des grilles de programmes des après-midis de TF1 et M6, habituée à lancer ses premiers téléfilms de Noël dès le mois de juillet au fond. Sauf qu’ici, le réalisateur décide de jouer la carte autobiographique en dépeignant une veille de Noël dans une famille italo-américaine de Long Island, le borough new yorkais dans lequel il a grandi, pour ce qui pourrait être leur dernier Noël où la famille est réunie au complet).

Difficile de résumer véritablement l’intrigue de Christmas Eve in Miller’s Point, tant le film se présente davantage comme une succession de micro-saynètes que comme un ensemble véritablement linéaire. Par leur causticité et leur variété de tons, ces tranches de vie ressemblent plus à une collection de comic strips sortis de vieux journaux américains qu’à autre chose. Le film est en soi est à l’image de son casting mêlant darlings du cinéma et de la télé indé comme Michael Cera (également co-producteur du film), Gregg Turkington (comique de stand-up underground bénéficiant de son petit culte notamment grâce au tandem qu’il forme avec Tim Heidecker sur la web-série/podcast On Cinema) ou Elsie Fisher (du magnifique Eighth Grade de Bo Burnham), gueules semblant sorties toute droit d’un spin-off des Soprano et même son petit quota de nepo babies dont Francesca Scorsese (peut-être plus connue de la génération TikTok que son propre grand-père) et Sawyer Spielberg.

Christmas Eve in Miller’s Point adopte cependant une structure en diptyque assez proche de celle de Ham on Rye, qui procédait déjà par une brutale rupture thématique à mi-parcours. Si l’on suit dans un premier temps le réveillon haut en couleur de toute la famille, le film prend à un moment la poudre d’escampette avec l’une des ados de la famille, la jeune Emily (Mathilda Fleming, chouette révélation) accompagnée de sa cousine Michelle (Francesca Scorsese). Le film prend alors une tournure plus mélancolique : pendant que les adultes s’envirent pour se cacher leurs tracas, les ados s’encanaillent en allant chercher de l’alcool et se séduisant les uns les autres. 

C’est peut-être le moment où Christmas Eve in Miller’s Point atteint son meilleur : par les allers-retours entre un monde des adultes qui semblent fermer un chapitre (c’est le dernier Noël dans la maison familiale historique, qui s’apprête à être vendue) et les aventures des ados qui s’apprêtent à en ouvrir un autre, le film de Tyler Taormina créée un joli patchwork d’émotions entre la bizarrerie et la tendresse, cherchant avant tout à décortiquer le sentiment que lui inspire un cérémonial de groupe comme les fêtes de Noël qu’à véritablement entrer dans la case conventionnelle du Christmas movie.

Dommage que tout cela intervienne un peu tard dans un film qui s’éternise par moments dans des redites qui flirtent parfois avec l’inconsistence. Le film ne tient pas toujours le fragile équilibre que son ambition chorale fait naître et certaines tentatives d’humour tombent parfois à plat en n’allant pas jusqu’au bout de la folie embryonnaire à la Adult Swim qui parcourt le film (le tandem de policiers joué par Cera et Turkington ne fonctionne jamais vraiment comme on souhaiterait qu’il fonctionne). Mais on se laissera tout de même volontiers séduire par cette carte postale de famille sincère et authentique, qui sans doute bien plus que de nombreux téléfilms de Noël arrive à cerner l’attachement que certains d’entre nous portent à des événements comme celui-ci.

Christmas Eve in Miller’s Point de Tyler Taormina avec Mathilda Fleming, Michael Cera, Francesca Scorsese, date de sortie française encore inconnue

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