FFCP 2023 : « Peafowl », la haine est dans le pré

L’an dernier, la projection de I Am More, documentaire consacré à la drag queen Mo Jimin, était l’un de mes grands coups de cœur du FFCP. Outre les différents blockbusters, la sélection du festival fait la part belle à d’autres longs métrages qui se veulent être un miroir de la société coréenne. Dans la section Paysage de cette année, c’est du côté de la fiction que l’on trouve un autre aperçu de la communauté queer en Corée du Sud avec Peafowl, qui partage quelques points communs avec I Am More.

Peafowl suit la trajectoire de Myung, une danseuse de waacking (une danse semblable au voguing, davantage centrée sur le mouvement des mains) contrainte de revenir dans son village natal à la mort de son père. Quand on lui propose d’accomplir un rite funéraire, Myung hésite. Car rester, cela veut dire se confronter à son passé, mais aussi à sa famille et à des proches qui ne tolèrent pas sa transidentité…

 

Le premier long métrage de Byun Sung-bin, Peafowl pourrait presque brouiller les frontières entre le documentaire et la fiction. Le début du film nous entraîne au beau milieu de la finale d’une compétition de waacking, où Myung affronte un artiste taïwanais. Contre toute attente, Myung échoue, le jury lui reprochant de ne pas dégager d’identité propre à travers sa danse. La danse et la musique seront des éléments clés du film et le moyen d’expression de son personnage principal, d’ailleurs incarné par Hae-jun, une véritable star du waacking.

Peafowl est l’histoire d’une quête de sens, de toutes les façons. Myung doit réussir à trouver son identité à travers la danse (le rite funéraire qu’on lui demande d’effectuer en est une), mais aussi en redécouvrant ses racines qu’elle aurait préféré laisser profondément enfouies. Le format 4:3 de l’image choisi par Byun Sung-bin exprime bien des choses : l’étouffement d’un personnage qui ne s’est pas encore trouvée elle-même et l’oppression d’un village qui ne veut pas de sa présence. Pour autant, la haine n’est pas forcément là où on le croit.

 

Myung se confronte au rejet virulent de son oncle et aux rumeurs colportées à son sujet. L’intolérance autant hyper frontale que latente. Ça passe par du mégenrage (le fait d’utiliser les mauvais pronoms ou de désigner une personne par une identité de genre qui n’est pas la sienne) ou encore des regards désapprobateurs en gros plans lorsque Myung est accusée d’avoir bafoué le temple du village. D’autres fois, ce sera de l’ignorance pure et simple, la solitude de Myung à travers les vastes plaines, ou tous les non-dits du village. Peafowl parvient à imposer ce climat de tension grandissante autour d’un dilemme : Myung doit-elle céder à ce rejet ou bien rester la tête haute ?

Habitée par les visions d’un paon, Myung ne sera elle-même que lorsqu’elle déploiera ses plumes. Et la haine, elle la combat par la danse. Le waacking habite le film à travers différentes séquences. Elles s’imposent comme de grandes respirations et permettent d’évacuer tout le malheur. À ce moment, le temps s’arrête et la caméra de Byun Sung-bin épouse à merveille les mouvements de son héroïne. Les premiers pas de Myung à travers le rite funéraire sont hésitants, mais elle trouve et impose son rythme. À travers ces scènes hyper stylisées et émouvantes, le film finit par faire cohabiter la tradition et la modernité de la plus belle des manières.

Si Hae-jun est une star du waacking, elle est aussi une actrice qui crève l’écran à chaque instant. Pas seulement parce qu’elle dispose d’une inépuisable garde-robe et de tenues extraordinaires à chacune de ses apparitions (même pour aller courir, Myung a des vêtements fantastiques), mais aussi pour la spontanéité et la résistance de son personnage. Danser, c’est utiliser son corps pour faire passer un message. C’est aussi savoir dissimuler la souffrance, mentale comme corporelle. La souffrance que Myung contient depuis des années jusqu’à ce qu’elle craque et évacue ses larmes. La souffrance dont elle se nourrit pourtant pour parvenir à se construire et à devenir une toute autre personne dans une danse finale qu’on aimerait ne jamais voir se terminer.

Peafowl, un film de Byun Sung-bin, avec Hae-jun, Kim U-gyeom, Hwang Jung-min… Présenté en Première française lors du 18e Festival du Film Coréen à Paris. Date de sortie française inconnue.

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