Terreur de cinéma : celui qui avait été voir Massacre à la tronçonneuse sans se méfier

Pour Halloween, on a cette année demandé aux chroniqueurs.euses de Cinématraque de nous raconter leur plus grosse flippe de cinéma. Ce peut être dedans l’écran, dedans la salle, etc. L’exercice d’écriture est libre, la question ouverte. Ici, c’est Renaud qui y répond. Pour lire tous les articles de ce cycle Halloween, cliquez ici.

L’histoire se passe en l’an 2011. A l’époque, j’étudiais à l’Université de Chicago, et la vie était franchement… Pas si mal. C’était encore le premier mandat de Barack Obama et on pensait qu’il allait changer le monde. De l’autre côté de l’Atlantique on s’apprêtait à se réjouir de l’élection de François Hollande après les 5 années cauchemardesques de Nicolas Sarkozy, on pensait encore que JK Rowling était une meuf sympa, et nos plus grandes inquiétudes n’avaient rien à voir avec le Covid, la guerre ou la déchéance de la démocratie partout dans le monde mais avec la supposée fin du calendrier Maya.

Si j’avais déjà commencé à m’intéresser au cinéma avant de partir aux Etats-Unis, ce n’est que là-bas que j’ai véritablement découvert ma cinéphilie, suivant des cours brillants dans cette prestigieuse université et réalisant des courts-métrages bien moins brillants qui néanmoins m’ont valu quelques prix dans des festivals étudiants (en Roumanie notamment, me demandez pas pourquoi). L’affirmation de ma passion pour le septième art est en grande partie due au cinéma de quartier géré par l’université qui se trouvait non loin de mon appartement, qui s’appelle Doc Films. Une salle unique où les projections sont toutes en 35mm, et où on a pu voir du Sergio Leone, du Tarkovsky, Godard, Tarantino, Fincher, Busby Berkeley, Wes Anderson, Ozu… La programmation fonctionne par cycles trimestriels : deux films par soir, avec des thématiques évolutives. Les nouveautés le samedi, et les autres jours sont consacrés à des cinéastes où des périodes/genres.

Autour de la période de Halloween 2011, on a évidemment eu droit à quelques films d’horreur… Et comme j’étais aussi au début de ma cinéphilie, je ne savais pas encore que j’aimais ça. Je n’avais vu presque aucun des grands classiques et j’avais très peur « d’avoir peur ». Mais j’étais quand même allé à la projection du bien nommé Halloween de John Carpenter, présentée par un journaliste qui avait travaillé sur la promo de fac de Carpenter et retrouvé un film de fin d’études d’un de ses camarades de classe dont certains motifs préfiguraient le célèbre slasher : le téléphone, la babysitter, une vue subjective du tueur (joué d’ailleurs par Dan O’Bannon). Et là, excellente surprise : non seulement Halloween était génial, mais en plus je résistais super bien à la peur ! Franchement c’était pépouze, pas de quoi en faire tout un foin !

Alors, tout fier de moi, je suis allé la semaine suivante à la projection de Massacre à la tronçonneuse.

C’est un peu comme si, après avoir goûté un plat salé pour la première fois, je m’étais dit « OK le piment n’a pas de secret pour moi ! » et que j’avais croqué dans un ghost pepper.

Le film était projeté dans un 35mm dégueulasse, ajoutant au côté poisseux de l’image. Le son aussi était mal travaillé, trop stridant et agressif. Dès le début, je me sentais super mal. Deux rangs devant moi, il y a un pote américain dont la présence me rassure un peu. Au bout de vingt minutes de film, alors que l’arrivée de l’autostoppeur avait commencé à me faire descendre jusqu’en enfer, je tourne vers la tête vers lui : il était parti. Et merde.

Et là, c’est le début du cauchemar. C’est simple : je suis traumatisé par le film. J’ai l’impression d’assister, totalement impuissant, à ma propre exécution. Tous les squelettes d’animaux qu’on aperçoit dans la maison, c’est comme s’ils avaient été fabriqués avec mes propres os. Quand on arrive à la première apparition de Leatherface, tout est si rapide que mon cerveau n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive. Tous les indices sont autour du personnage masculin, Kirk, qui traverse l’entrée de la maison, et pouf : Leatherface apparaît et moi je comprends que ça y est, je ne vais donc plus jamais dormir de ma vie. Quand le gérant de la station essence révèle faire partie du délire aussi, je comprends également qu’absolument tout est pourri en ce monde, que je ne dois jamais faire confiance à personne et que tout le monde absolument partout veut ma mort, accompagnée si possible d’atroces souffrances.

La scène la plus mémorable du film, qui arrive un peu après, est celle du dîner. Un moment de cinéma absolument indescriptible, qui a réussi à me faire vivre quelque chose que la 4DX n’aura jamais réussi à faire : me donner le sentiment sincère et profond d’être moi-même dans le film, attablé avec la famille de Leatherface, et totalement à leur merci. A ce moment, je ne savais même plus que je regardais un film, j’avais totalement oublié l’existence d’un projectionniste en cabine (qui si on y pense bien était mon véritable tortionnaire), je ne voyais même plus les sièges autour de moi ni l’écran en face, rien d’autre n’existait en dehors de ce salon de l’horreur.

Je ne me souviens absolument pas de comment l’héroïne fait pour s’enfuir, et d’ailleurs je n’ai jamais réussi à revoir le film en entier depuis cette séance, mais lorsqu’elle s’enfuit finalement dans la camionnette et qu’on voit la silhouette de Leatherface s’éloigner, mon cerveau n’arrive pas à y croire. Il y avait tellement de faux espoirs d’échappées avant cela que je m’imaginais la camionnette tomber en panne immédiatement.

Le générique de fin arrive, il ne reste presque personne dans la salle et surtout, aucun bruit. On n’ose pas parler. On sort du cinéma et ma copine de l’époque, avec qui j’avais vu le film, commence soudain à marcher comme si elle s’entraînait pour les Jeux Olympiques. Elle me dit qu’elle veut s’éloigner du cinéma le plus vite possible pour fuir le danger.

Elle a entièrement raison, je fais pareil.

Une fois rentrés, on se dit qu’on est sains et saufs. Mais cette nuit-là, et toutes les nuits qui ont suivi pendant trois semaines environ, au moment de fermer les yeux, je me retrouvais toujours attaché dans le salon de la maison de Leatherface. Je n’ai jamais retrouvé d’autre film capable de me terroriser à ce point depuis, et très honnêtement si le cinéma d’horreur n’est pas loin d’être mon genre préféré… Je ne veux SURTOUT pas trouver expérience plus traumatisante que celle-ci.

Massacre à la tronçonneuse, un film de Tobe Hooper.

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