Le Village des Géants : le cinéma d’exploitation de Bert I. Gordon

Lors de cette édition 2023 de l’étrange Festival, le cinéaste Bert I. Gordon est mis à l’honneur avec une sélection variée de six films de sa longue carrière qui s’étend sur soixante ans, de 1954 à 2014. Un cinéaste qui nous permet d’évoquer ensemble le principe du cinéma d’exploitation, dont l’existence se fait de plus en plus marginale et effacée.

L’idée du cinéma d’exploitation est de produire vite, avec peu de moyens, et de vendre du sensationalisme. Ce qui était d’abord des B-movies produits par les petits studios hollywoodiens se sont ensuite largement développés dans les années 50, à la fois pour fournir les drive-in et la télévision, sous l’impulsion de personnes comme Roger Corman. Parce qu’il faut savoir attirer un public, et le plus souvent un public adolescent, cette industrie cinématographique populaire joue sur toutes les cordes sensibles : les monstres (avec les moyens du bord), le sexe (avec les limites imposées par la bienséance et la censure), la bonne musique et des héros et héroïnes jeunes comme eux.

Bert I. Gordon s’est fait remarquer dans le cinéma d’exploitation pour une certaine tendance au gigantisme. Des dinosaures, un cyclope, une araignée géante ou tout simplement des géants humains, voilà le bestiaire qui s’agite devant sa caméra, et qui permet bien sûr de réaliser des posters ultra tape-à-l’oeil et excitants. Bien plus que les films eux-mêmes qui sont fabriqués avec trois bouts de ficelle et un scénario écrit en une après-midi au bord de la piscine.

Le Village des Géants est un très belle représentation de l’essence de sa filmographie, qui ressemble à la fois à de la teensploitation, qui met en scène des adolescents et leurs fêtes, et à un film de monstres. Tout commence avec une bande de voyous qui plante leur bagnole dans le décor. Sous une averse de studio, ils décident alors de se battre dans la boue pendant cinq bonnes minutes sur une super chanson de rock qui passe à la radio. Puis une fois qu’ils en ont marre, ils décident de rejoindre une petite bourgade nommée Hainesville à 5km de là pour y passer du bon temps. Il investisse illégalement le théâtre de Hainesville, puis c’est direction la salle de bal pour plus de danse !

Vous l’aurez compris, il y a beaucoup de musique. Et même des apparitions d’artistes célèbres de l’époque comme The Beau Brummels (des sous Beatles de San Francisco, c’est pas mal du tout) ou encore Freddy Cannon (lui j’avoue je connais pas). Mais où sont les géants du fameux village ? Patience.

Car pendant ce temps à Hainesville, les ados Mike et Nancy se bécotent sur le canapé, avant d’être interrompu par le petit frère de Nancy. Genius (il se fait appeler comme ça, il a maximum 10 ans et aussi il est joué par le réalisateur Ron Howard, comme quoi tout arrive) vient de faire une expérience scientifique dangereuse dans son labo et a créé par accident une sort de gomme à macher qui agrandit tous ceux qui la mangent ! On a d’abord droit à un chat géant, puis à des canards (les meilleurs persos du film) et enfin à un chien.

Les canards viennent danser le rock dans la salle de bal où sont réunis tous les jeunes dont les mauvais garnements du début du film, et tout le monde s’émerveille de voir des colvert gigantesques swinger sur la piste de danse. Et ils ont bien raison. Mais les voyous comprennent que quelqu’un a causé ce gigantisme soudain, et ils dérobent la gomme de Genius pour devenir géants à leur tour et terroriser la ville.

Les voyous, désormais vétus de draps et décors trouvés dans le théâtre qui les font ressembler à des personnages issus de la mythologie grecque, imposent un couvre-feu à tous les adultes et dirigent désormais la ville en tyrans, exigeant sans cesse des buckets de poulet et du soda.

Si on devait trouver une illustration pour un film d’exploitationt tout public, ce serait difficile de trouver mieux. Entre la scène d’affrontement avec une araignée géante, la scène où l’une des filles géantes s’amuse à accrocher un mec à son soutien gorge en dansant, le forçant à rester accroché de peur de tomber et se cacher une jambe, et d’une scène ahurissante où les jeunes héros utilisent des voitures et des cordes pour attacher et faire tomber le chef des méchants géants (15 ans avant que George Lucas en fasse sa version spatiale dans l’Empire contre attaque), on coche à peu près toutes les cases.

Mais en dehors de ces scènes-là, le film est à peine regardable. Et c’est d’ailleurs bien normal, il n’a jamais été pensé pour un public de cinéma classique. Les diffusions télé, ou dans les drive-ins sont faites pour un public peu attentif, qui ne fera pas trop attention au fait que les scènes de danse sont beaucoup trop longues, que les dialogues ont tous l’air d’avoir été écrits par un extraterrestre, ou que la moitié du casting semble découvrir les répliques au moment de les prononcer. Tout ce qu’ils verront entre deux roulages de pelle dans leur voiture ou sur leur canapé, c’est des jolis corps et des jolis minois qui dansent, et quelques trucs un peu barrés avec des effets spéciaux douteux.

De fait, ce genre de film bas du front et sans grande ambition aura réussi à avoir un impact culturel (relatif) qu’il n’aurait jamais aujourd’hui. Le thème musical du film évoquera justement quelque chose aux adeptes de Quentin Tarantino et de Robert Rodriguez, puisqu’ils l’ont réutilisé pour leur double feature en hommage aux films de drive-in : Grindhouse (Planète Terreur et Boulevard de la Mort).

Le village des géants, un film sans village et où les géants sont des étrangers mais c’est quand même le titre, réalisé par Bert I. Gordon, avec Beau Bridges qui se la croyait grave à l’époque et qui ensuite a eu assez honte du film, Ron Howard, et le chat qui jouait déjà un chat géant dans L’homme qui rétrécit. Sorti en 1965, diffusé à l’étrange festival en 2023.

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