Gran Turismo : Gaming is life

Les adaptations de jeux vidéo au cinéma, ça n’a jamais vraiment été le grand amour. À part quelques exceptions telles le premier Silent Hill de Christophe Gans (d’ailleurs en cours de tournage de son Retour à Silent Hill), beaucoup de projets ont marqué l’histoire pour leur foirage complet. On ne parlera pas plus des films d’Uwe Boll (Alone in the Dark, Postal, Far Cry…) ou des films Resident Evil de Paul WS Anderson qui, même s’ils comptent parmi mes plus gros plaisirs coupables, sont quand même une bonne grosse insulte au matériel de base, malgré un reboot plus proche de l’esprit de la franchise.

Et aujourd’hui, quel sens peut-il bien y avoir à toujours vouloir adapter des jeux qui sont eux-mêmes de plus en plus photoréalistes ? Des jeux qui empruntent aux codes de la mise en scène cinématographique, avec le développement de la motion capture et du star talent ?

Ça n’empêche rien : Ubisoft a plein de projets, Nintendo a cartonné avec l’adaptation de Super Mario Bros… et Sony (Playstation) a aussi taillé son bout de gras. Après le succès de la série The Last of Us vient le film Gran Turismo : ouais, on va adapter un jeu de courses. Pardon, un simulateur de conduite (le personnage principal me corrigerait s’il le pouvait, et il aurait bien raison). À son annonce, le projet avait très honnêtement l’air foireux : on annonce au casting David Harbour qu’on a vu un peu partout, Orlando Bloom qui ne brille pas non plus pas ses choix de carrière récents… et la réalisation est confiée à Neill Blomkamp huit ans après Chappie, mais aussi après ses déboires sur RoboCop et sa suite avortée à Aliens.

Et pourtant…

C’est un film de bagnoles, alors je vous ai mis une photo avec des bagnoles qui font vroom vroom…

Need for Speed (ah pardon, mauvaise franchise)

Depuis vingt-cinq ans, Gran Turismo compte parmi les franchises vidéoludiques les plus lucratives. Moins que l’une de ses grandes rivales Need For Speed d’Electronic Arts, mais les deux ont chacune leur identité propre. Need For Speed jongle entre l’arcade et la simulation et tente tant bien que mal de se réinventer à chaque épisode, sauf qu’elle est en perte de vitesse depuis un bout de temps. Elle a aussi donné lieu à un film atroce (et pas parce qu’on y voit Rami Malek se balader à oilpé dans des bureaux). Gran Turismo s’est rivée quant à elle sur un créneau bien spécifique : un simulateur de conduite qui se veut être le plus réaliste possible. Avec sept épisodes au compteur, la franchise a pu compter sur les diverses révolutions technologiques pour remplir son objectif et devenir une référence du genre, que Microsoft a tenté de concurrencer de son côté avec Forza Motorsport.

Pour donner davantage de consistance à son scénario, le film Gran Turismo s’inspire d’une histoire vraie. Celle de Jann Mardenborough, un joueur de dix-neuf ans chevronné devenu véritable pilote de courses grâce à la GT Academy, un challenge lancé en collaboration avec Nissan et Sony. Propulser des gamers sur un circuit, c’est peut-être finalement la meilleure analogie de ce que doit être l’adaptation d’un jeu vidéo : passer d’un médium à un autre et le rendre encore plus réel et palpable qu’il ne l’était déjà.

C’est tout l’enjeu du film qui, passé son introduction un peu poussive de ses personnages et des mécaniques de la GT Academy, ne lâche plus le point de vue de Jann ni le spectateur. Il fait corps avec le personnage et partage toutes ses sensations. En mettant la caméra au plus près de son conducteur lors des scènes de conduite, en faisant ressentir son angoisse de la route, en faisant ressentir le moindre vrombissement du moteur, Neill Blomkamp fait de ce Gran Turismo une véritable expérience immersive et sensorielle.

« Si jamais on te propose de faire un reboot d’Hellboy, franchement… barre-toi en courant mec. »

Une simulation comme le jeu, qui frappe par son authenticité : enfin un film de courses où on se trouve bel et bien sur de vrais circuits, où des plans au drone nous plongent au cœur de la compétition. Dans le cockpit, la caméra préfère se concentrer sur le visage et les mouvements du conducteur plutôt que de montrer ce qui se passe à l’extérieur (et donc éviter des fonds verts disgracieux, où l’on comprend tout de suite que l’acteur ne conduit pas réellement). On se concentre donc sur le ressenti, la sensation. L’image ralentit pour souligner les détails des carrosseries et des mécanismes, les bordures des circuits. Elle traduit l’état d’esprit de Jann, pour qui rien d’autre que lui et la voiture n’existent, comme il le dit à de multiples reprises pendant le film.

D’où la façon dont Blomkamp fait aussi coexister le jeu et la réalité : quand Jann joue à Gran Turismo dans sa chambre ou dans une salle d’arcade, sa voiture et le circuit apparaissent autour de lui. La capture de mouvements se met en parallèle avec matérialisation virtuelle, où Jann modifie en temps réel chaque pièce de son véhicule et navigue dans les menus avant de se retrouver au volant. Et inversement, pour dédramatiser la véritable course, il se dit que ce n’est qu’un jeu. Derrière le slogan du jeu, « the real driving simulator« , se cachent ainsi toutes les parties que Jann a accumulées. Le film adopte les gimmicks du jeu vidéo avec certains bruitages incontournables, mais aussi des angles de vues (la caméra fixe derrière le véhicule) qui vous donneraient l’impression d’être en pleine partie. Comme dans cette séquence où il profite de ses talents de conducteur pour échapper à la police : l’affichage tête haute (ATH) du jeu s’interface avec le réel et un plan aérien vu de dessus donnent même à cette poursuite des aspects de Grand Theft Auto, dans ses deux premiers volets. Les tracés au sol sont les parcours que Jann a effectué, encore et encore, sont finalement les siens et non pas ceux que le jeu lui suggère. C’est en s’appropriant le jeu, puis la route, qu’il s’oriente vers la victoire.

Archie Madekwe, jeune acteur aperçu dans la série Apple See ou dans le Midsommar d’Ari Aster, était un choix parfait pour le film. Le fait que ce soit son premier grand rôle au cinéma et qu’il ne soit pas encore très connu correspond parfaitement à la trajectoire de son personnage, passant de l’inconnu à la surexposition médiatique. Le scénario traite autant la relation conflictuelle de Jann avec sa famille (Djimon Hounsou, toujours autant sous-exploité au cinéma, m’a foutu des larmes) qu’avec son entraîneur Jack Salter, un pilote déchu et pas très convaincu à l’idée que des gamers puissent revenir racers. Étrangement, j’ai assimilé le personnage de David Harbour à la nemesis de Ted Lasso : l’homme bourru qui ne voulait pas admettre que des gamers puissent connaître l’univers des courses est forcé de reconnaître ses erreurs… et de s’ouvrir un peu. Quand « football is life« , « gaming is life » aussi (et ça me fait oublier qu’Orlando Bloom est, quant à lui, en roue libre totale ohohoh une vanne sur l’automobile j’en crève de rire OHOHOH double vanne !).

Tout n’est pas parfait, car Gran Turismo s’embarrasse de quelques longueurs, de personnages secondaires pas super utiles et d’une romance superflue. Pour autant, le film n’édulcore pas l’histoire de Mardenborough (producteur au même titre que Kazunori Yamauchi, créateur du jeu, et doublure d’Archie Madekwe sur les circuits) : il évoque les rivalités d’un milieu craintif d’une nouvelle concurrence, mais aussi les drames. Gran Turismo est un full simulator : quand on est sur le circuit, on a juste envie d’y rester… et de repartir pour un tour.

Gran Turismo, un film de Neill Blomkamp. Avec David Harbour, Orlando Bloom et Archie Madekwe. Sortie en salles le 9 août 2023.

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.