The Driver : le post-Western comme cinéma archétypal

Il est difficile de trouver un genre cinématographique plus emblématique, riche et janussien que le western. D’abord pensé comme une série de variations sur le grand mythe Américain, il a permis – à travers des cow-boys chanteurs et souriants d’abord puis grimaçants et francs-tireurs ensuite – d’installer au cinéma une Histoire fantasmée du pays. Lorsque les autres pays du monde se sont inspirés du western, le faisant dialoguer avec des histoires de gangsters, de vengeance, de rédemption, d’amour et de conquêtes, le genre du western est devenu international, et finalement archétypal. Pour parler salement, c’est-à-dire parler post-modernisme, le western devient décorellé d’un contexte national et se rapproche de la pensée jungienne, celle qui présuppose des grandes lignes et des similitudes à différentes échelles dans toutes les histoires humaines.

Le western est le genre cinéma par excellence, donc. Et le héros du western ne peut être qu’un personnage de cinéma. Le film The Driver de Walter Hill en est un exemple à la fois emblématique et instructif, sur lequel il convient de s’arrêter un instant.

A première vue, ce film à petit budget de Walter Hill, qui fut un échec commercial et critique à sa sortie en 1978 et qui depuis a été revu à la hausse par des gens un peu moins obtus, est plus proche d’un film de gangster que du western. Et s’il est vrai que les deux genres sont souvent voisins, voire en colocation, il faut ici comprendre que le gangster n’est qu’un habillage ici. Les personnages sont tous des archétypes, au point qu’ils n’ont pas de noms : le flic joué par Bruce Dern qui poursuit le driver joué par Ryan O’Neal, la parieuse jouée par Adjani… On est en territoire monolithique. Le driver est appelé cow-boy tout au long du film et écoute de la country, des indices plutôt grossier quand on pouvait déjà comprendre qu’il a tout d’un personnage de western : peu causeur, trop sauvage pour la civilisation et doté d’un code moral qui ne correspond qu’à ses propres valeurs individiduelles, ses lunettes de soleil viennent remplacer l’évidence du Stetson à la John Wayne.

Si le western est le cinéma dans son essence même, c’est-à-dire un genre qui fonctionne par le regard, alors le Driver est lui aussi un personnage de cinéma essentiel. Pour clarifier, c’est-à-dire que par sa nature visuelle, et de par le montage dynamique, le cinéma appelle le regard de spectateur et le dédouble dans sa diégèse, à travers les personnages. On peut parler du tout début du film pour le comprendre en se posant la question suivante : qui regarde le Driver ?

C’est d’abord la parieuse qui le voit, alors qu’il attend les braqueurs qu’il doit récupérer. Elle n’est pas censée le voir, car ces derniers ont pris du retard mais tout de suite le fait que cette femme à l’air fascinant et mystérieux s’attarde sur cet homme dirige notre propre regard sur lui. Puis nos yeux de spectateurs se superposent à ceux des braqueurs, embarqués dans la voiture du Driver. Impuissants mais impliqués, ils observent le Driver dans sa tentative d’échapper à la police lors d’une course poursuite haletante, afin de sauver leurs culs. Eux comme nous sommes impuissants et nous ne pouvons que regarder ce personnage surhumain, au sang-froid hors du commun, bref ce héros plus grand que nature, fait pour la toile des grands écrans.

Mais là où le cinéma se fait génial, c’est qu’il ne confond jamais impuissance et inaction. Si nous n’avons aucun moyen d’impacter la course-poursuite, à la merci que nous sommes de la conduite du Driver, celle-ci n’est possible que parce que nous le regardons. Le spectateur est, à l’image du personnage d’Adjani qui dévisage le protagoniste au début, toujours actif. Pour confirmer cela, la scène suivante montre la parieuse au commissariat face à un line-up de suspects. Parmi eux, le Driver, qu’elle reconnaît mais choisit de ne pas dénoncer ; toute l’intrigue du film découlera de ce moment qui symbolise parfaitement ce cinéma post-western, où le cheval et son soleil couchant sont remplacés par la voiture et l’asphalte brûlante de la ville de la côte Ouest américaine.

The Driver, un film de Walter Hill sorti en 1978, disponible sur Ciné +

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