Pour son premier long-métrage, Stéphan Castang a frappé fort : sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes cette année avant d’arriver sur les rivages du fleuve St Laurent à Fantasia, Vincent doit mourir a pour têtes d’affiche rien de moins que les formidables Karim Leklou et Vimala Pons.
Vincent (Karim Leklou) se retrouve soudainement victime d’attaques violentes, de la part de gens qu’il connaît ou d’inconnus, sans explication ni préambule. Acculé, il doit fuir de plus en plus loin pour survivre et rencontrera Margaux (Vimala Pons) dans sa cavale. Efficace et maitrisé, le film n’oublie pas d’être drôle même en étant très anxiogène, et rencontrer Stéphan Castang nous a permis d’éclairer notre compréhension du film. Attention, petits spoilers à prévoir !
En voyant le film, on ne peut pas s’empêcher de se demander si l’idée t’est venue pendant le covid, puisque les personnages qui s’entretuent au moindre regard ne peuvent, de fait, plus vivre en société ?
Pas du tout, en fait le script original m’a été proposé avant le Covid. Mathieu Naert, qui a imaginé le concept de départ et écrit le scénario, avait déjà cette idée de partir à la campagne, bien avant les confinements. C’était logique finalement, puisque les personnages vivent un exode. J’ai reçu le projet trois mois avant le Covid, mais on a dû travailler sur le film et la réécriture par Zoom. Le défi était donc plutôt de ne pas trop coller à l’actualité même si c’est forcément un vœu pieu, on ne peut pas ne pas être influencé par ce qui se passe.
C’était bizarre, cette mise en abyme de la réalité sur la fiction et vice-versa ?
Au début oui, c’était étrange, surtout de travailler à distance. Mais bon de toute façon, toute la période était dingue… On avait l’impression de vivre un épisode de Black Mirror.
D’autant plus qu’il y a clairement un côté apocalyptique dans ce film.
Pré-apocalyptique, oui ! Au moment du tournage, je disais à l’équipe de ne pas mettre les curseurs trop hauts, par exemple sur le maquillage, parce qu’on est juste avant l’apocalypse. Un peu ce qu’on est en train de vivre, finalement.
Tu viens du théâtre, tu enseignes, comment avec ce parcours on arrive à un premier long-métrage qui est un film de genre ?
J’ai toujours voulu écrire et réaliser des films, ça a toujours été mon but ultime. La vie a fait que j’ai commencé à travailler très jeune, mais comme je ne voulais pas faire un métier qui allait m’emmerder, j’ai commencé à passer des auditions. Coup de chance, j’ai été pris, j’ai pu commencer à me faire un réseau, travailler dans le milieu, mais l’envie de réaliser et d’écrire ne m’a jamais lâché. Je me suis mis relativement tard à réaliser mes courts-métrages, j’avais 37-38 ans, et ils ont bien tourné en festival. Puis en faisant de la consultation pour des scénarios, j’ai rencontré Claire Bonnefoy et Thierry Lounas, les producteurs de Vincent doit mourir, qui m’ont proposé de réaliser ce script, que je pensais refuser au départ.
Pourquoi ?!
Je pensais refuser mais c’était avant de le lire ! J’étais dans l’idée bien française qu’on ne filme que ce qu’on écrit, mais quand j’ai lu le scenario de Mathieu, j’aimais beaucoup la promesse de cinéma qu’il recelait, le mélange de différents genres. C’est déjà ce que je propose dans mes cours, et ce film était en outre une bonne manière de parler de la violence sans psychologie, sans explication. Pour moi, à partir du moment où tu expliques la violence, en tout cas dans un film de genre, tu passes à côté de quelque chose de l’ordre du cinéma, qui va passer par les corps.
Ensuite, j’ai vu que je pouvais ajouter au scénario mes petites névroses, mes petites fantaisies.
Passer par les corps, ça renvoie au spectacle vivant et au théâtre justement non ?
Pas forcément, ça peut blablater beaucoup au théâtre, ça dépend du type de théâtre que l’on va voir… et du type de cinéma aussi ! Ça peut être très bien comme ça peut être très chiant.
Revenons au scénario que tu n’as pas écrit. As-tu pu ajouter tes touches personnelles ?
Ah oui, à un moment donné il fallait que ça devienne mon film, j’avais besoin de me l’approprier, ça me semble bien naturel. C’est un processus qui continue pendant le tournage, et ensuite bien sûr au montage.
J’ai trouvé le film assez drôle malgré son sujet d’ailleurs, est-ce que ça vient de toi ?
Il y avait clairement de l’humour dans les situations inventées par Mathieu, mais pour moi c’était fondamental de rajouter ma propre forme d’humour, qui consistait à pousser encore plus loin l’absurde. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai accepté le projet, je voyais que je pouvais mettre l’humour à mon goût.
Quand tu vois un McDo au loin et que t’as pas mangé depuis 3 jours
Cet humour qui est d’ailleurs parfaitement interprété par Karim Leklou, on imagine facilement que le choisir participait de cette volonté ?
Complètement ! Choisir Karim donnait déjà au film une tonalité très singulière, et j’y tenais beaucoup parce qu’on pouvait imaginer en lisant le script d’autres acteurs, qui auraient été plus évidents dans les scènes d’action par exemple. Mais ça ne m’intéressait pas beaucoup, ça aurait pu être le sujet mais ce n’était pas le mien. Pour moi ça ne pouvait pas être un autre acteur que Karim, parce que ça me mettait à l’endroit qui me plaisait du film. Je trouve que c’est un des acteurs les plus merveilleux de notre époque, il a une dualité, une singularité… Une infinie douceur mais pouvant faire preuve d’une incroyable brutalité. Et ça m’intéressait qu’on expérimente ensemble son tempérament d’acteur burlesque. Comme un Buster Keaton, ce n’est pas tant ce qu’il fait plutôt ce qu’il subit, et ce à quoi il tente de s’adapter, avec un corps assez gauche et un visage plutôt impassible.
En fait il nous fait rire malgré lui, plutôt que de lui.
Oui on rit avec lui, je tenais à ce que jamais on ne soit dans la moquerie, cette chose bourgeoise de rire contre quelqu’un ou contre un groupe. Même les personnages les plus égoïstes, il faut quand même qu’on puisse deviner leurs raisons.
En parlant de ça, est-ce que placer le début du film et donc le début des ennuis du personnage de Karim Leklou dans son environnement de travail, était un commentaire sur l’individualisme de ces milieux ? Ses managers sont assez inhumains, et le policier qui prend sa déposition suggère même que c’est la compétition qui y règne qui a déclenché ces accès de violence…
C’est une lecture qui est là, elle n’est pas innocente mais elle n’est pas non plus primordiale. Ce qui m’intéressait c’est que ça parte d’un personnage ni sympathique ni antipathique, mais qui est content de lui après sa mauvaise blague (Vincent demande à un stagiaire de lui amener un café, NDLR), et très vite il se prend un pain dans la gueule. Mais il l’a un peu cherché !
Punir les mauvaises blagues me paraît effectivement être une bonne idée (je vois certains de mes collègues pâlir d’ici, NDLR) !
Ça dépend lesquelles, mais certaines le mériteraient ! Les blagues sexistes, racistes ou de classe… ça remettrait les pendules à l’heure (rires).
On peut établir une liste sommaire des moyens d’échapper à la violence proposés dans le film : l’humour donc, avoir un chien (Sultan on t’aime, NDLR), et l’amour/le compagnonnage. Même si on peut avoir du mal à croire à des gens qui tombent aussi vite amoureux, résister à la violence du monde est plus facile à plusieurs…
Pour le chien, oui ! Sinon je pense qu’on peut tomber amoureux comme ça, mais je suis quand même d’accord avec ce que tu dis. L’histoire du héros c’est l’histoire d’un déplacement : Vincent fait partie de ces gens qui pensent être à leur place. Il est obligé de partir de son travail, puis de chez lui, même chez son père il n’a plus sa chambre, il se retrouve de plus en plus vers la marge. Au moment où il rencontre le personnage de Joachim qui est SDF, c’est-à-dire quelqu’un à qui d’habitude on ne parle pas, il lui parle parce qu’il se reconnaît déjà en lui et voit un miroir de ce qu’il peut devenir. Et ce déplacement à la marge lui permet en fait de rencontrer Margaux, qu’il va regarder comme il n’a peut-être jamais regardé une autre femme auparavant.
Et sur le compagnonnage, il y a aussi cette envie soudaine de se prendre dans les bras, ce qu’il fait avec son père et qu’il n’avait probablement jamais fait avant, et aussi à la fin entre Margaux et lui, avec le bandeau. C’était très important pour moi d’inverser les rôles et de rajouter ce détail, dans lequel on peut voir une dimension mythologique, en tout cas selon ses propres névroses…
L’amour est un moment de répit pourvu qu’on ne soit pas aveugles à sa propre violence.
J’admets qu’à la fin, je me suis surprise à espérer que Margaux s’en aille seule.
Elle lui donne le choix. Il y avait tout un dialogue que j’ai fini par supprimer parce que c’était superflu, il fallait que ça passe par le regard. J’aimais bien aussi l’idée que Margaux prenne un peu le lead, à la fin. Le danger avec son personnage c’est qu’elle soit la femme dans l’ombre, mais ça ne me plaisait pas du tout. Ce que j’ai dit aux acteurs, c’est que c’était deux films qui se rencontrent. Elle, elle a vécu son propre film avant d’arriver à la moitié de celui-ci, et elle est tout aussi importante. C’est valable aussi pour les deux motards, eux je leur ai dit qu’ils venaient tout droit d’un film des frères Coen !
Et pour finir, des plans pour un second long-métrage ?
On réfléchit, on réfléchit !
Vincent doit mourir, un film de Stéphan Castang. 1h50. Avec Karim Leklou, Vimala Pons… Sortie française prévue le 15 novembre 2023.