The First Slam Dunk : quand le basket donne chaud au cul

J’ai découvert le manga Slam Dunk dans la chambre de mon cousin. J’avais dix ans, je m’ennuyais comme pas permis lors d’un déjeuner de famille, et mes yeux ont été instantanément attirés par le titre sur la tranche du premier tome, et sa police un peu vieillotte mais qui me paraissait classe à l’époque. C’était comme trouver le Graal, pour le moi du passé : un manga et qui en plus parle de mon obsession ultime sur cette terre, le basketball ? Était-ce réellement possible ?

Si c’était nul, j’aurais quand même dévoré le tome de bout en bout. Mais heureusement, ça n’était pas nul. C’était même un des meilleurs mangas de tous les temps, que j’ai continué à lire religieusement jusqu’à la fin de sa publication française, en 2004. Et que je relis tous les ans au moins une fois, caché dans ma chambre d’adolescent dans la maison de mes parents. Un pur plaisir solitaire, que je ne partage avec personne ; tel est là le paradoxe d’un manga sur quelque chose d’aussi collectif et communicatif que le sport.

Les surpris et surprises étaient nombreux à l’annonce du long métrage The First Slam Dunk. Voilà qu’Inoue ressort des placards son vieux manga après avoir refusé d’y toucher (en dehors d’un bref épilogue post-publication) pendant deux décennies et qu’il passe à la réalisation lui-même. Le résultat est un film à la fois étrange, déroutant, et saisissant.

Moi quand je tente de slalomer entre les touristes pour attraper mon RER

Décryptage

The First Slam Dunk raconte le dernier match du manga, qui oppose les héros de l’équipe peu cotée de Shohoku (je rêvais d’avoir un maillot quand j’étais gosse mais c’est dur à assumer en France phonétiquement…) aux champions en titre de Sannoh, que personne n’arrive jamais à battre. Un David contre Goliath donc, soit le récit archétypal le plus efficace dans le genre du film de sport. L’intégralité ou presque du match est tirée des pages du manga, à l’action près. Je veux dire par là que chaque pivot dramatique, chaque retournement de situation, mais aussi chaque geste de basketteur exact est repris et traduit d’un art plastique fixe à un art basé sur le mouvement.

L’action est entrecoupée de flashbacks, et c’est là que le film commence à interroger. En effet le manga Slam Dunk est l’histoire de Hanamichi Sakuragi, un loubard violent et romantique qui fait croire à une fille qu’il joue au basket pour lui plaire. Puis il tombe amoureux du sport. Si la galerie de personnages est large et variée, il s’agit avant toute chose de son récit à lui. Et pourtant, Inoue a fait le choix dans son film de raconter en flashbacks le parcours d’un autre personnage : Ryota Miyagi, le meneur de jeu de l’équipe de Shohoku.

Quand on connaît le déroulé du match, qui je le rappelle est transposé à l’identique, on ne peut qu’être franchement perplexe face à un choix aussi inattendu. Ryota Miyagi est le personnage de l’équipe qui a le moins d’impact direct sur l’action, et un récit classique aurait eu beaucoup plus de cohérence narrative en se focalisant sur n’importe lequel de ses quatre coéquipiers. Le résultat est un film hybride, entre un récit sportif très efficace mais conventionnel avec de l’héroïsme à foison et des exploits individuels à toutes les sauces… Et un deuxième récit à la mécanique beaucoup plus naturaliste, qui vise l’anti-climatique et le déceptif.

Cinéma hybride : be REAL

Que nous révèlent les nombreuses séquences de flashback ? Que Ryota Miyagi a appris le basket auprès de son grand frère, souvent qualifié de génie pour ce sport. Que suite au décès de ce frère, Ryota n’a fait qu’exister dans l’ombre gigantesque d’un fantôme que sa petite silhouette (c’est toujours le plus petit joueur de son équipe) ne saurait dépasser. Sa relation avec sa mère, qui dans son apathie regarde des compilations vidéos de son fils défunt jouant au basket, est catastrophique et déchirante. Là où le film devient donc naturaliste, c’est qu’à aucun moment Ryota n’est montré comme le héros véritable. Celui dont le génie leur apportera la victoire. Au contraire, on insistera sur sa persévérance et son travail acharné, mais sans que tout cela soit forcément récompensé.

La dissonance cognitive avec le match au déroulement beaucoup plus classique est difficile à ignorer. Comment expliquer qu’au moment où Inoue replonge dans le manga qui l’a rendu célèbre, il décide faire un tel pas de côté ? L’explication est à trouver dans une autre de ses œuvres, qu’il publie de manière sporadique depuis la fin de Slam Dunk : le manga REAL. Aussi centré sur le basket et plus particulièrement le handi-basket, il s’agit d’un récit plus anarchiste et moins enfantin. Dans REAL, certains obstacles ne seront jamais surmontés. Dans REAL, travailler dur ne suffit pas toujours et le monde est injuste.

On retrouve cette âpreté dans ce premier long-métrage de Takehiko Inoue. Une envie de montrer que l’intérêt n’a jamais été de répondre à la question « Qui est le plus fort ? » mais plutôt de répondre à l’éternelle interrogation : « Qui suis-je vraiment ? ».

« Vous allez voir, on va vous donner chaud au cul ! »
(j’arrêterai jamais avec cette vanne)

Le pouvoir du cinéma d’animation

La distance surprenante entre le récit sportif classique et le récit naturaliste est matérialisée à la perfection par l’animation du film, qui utilise la 3D par ordinateur pour imiter le style de dessin de Inoue. Ce genre de procédé commence à se démocratiser dans la japanimation ; on pense par exemple au dernier film Dragon Ball Super qui avait aussi opté pour cette approche. Ici la 2D/3D hybride vient à la fois permettre des scènes de basket parfaitement réalistes (et très probablement réalisées à l’aide de la technique de la rotoscopie en utilisant des vrais joueurs dirigés par Inoue), et de conserver la mise en scène folle de « l’action basket » par Inoue.

Car c’est sa plus grande force, et c’est là qu’il est encore inégalé dans le domaine : il sait représenter la subjectivité de l’écoulement du temps dans l’action sportive. Dilatation, compression, fragmentation… Tous les moyens sont bons pour représenter le viscéral. Est-ce que cela fonctionnera sur tout le monde, une telle emphase dans la mise en scène ? Impossible à dire, mais voici un élément de réponse. Lors de la projection presse, j’étais assis à côté d’une journaliste japonaise qui réagissait discrètement à chaque action comme si c’était un véritable match de basket. Et soudain, mon plaisir solitaire de lecture de Slam Dunk était devenu cinéma, c’est-à-dire une expérience collective.

The First Slam Dunk, un film de Takehiko Inoue. Diffusé au Festival d’Annecy 2023 et au cinéma le 26 juillet 2023.

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