[Annecy 2023] Journal de Bord Day 1 : Du Mexique au Japon, en passant par le pays queer

Ce n’est pas vraiment l’esprit serein qu’on rejoint le joli lac d’Annecy et ses montagnes reposantes (à regarder, à grimper je suppose que c’est fatiguant) en ce mois de juin 2023. Le monde de l’animation et celui de la création artistique de manière générale sont en plein bouleversements pareils à aucun connus à ce jour du fait du développement terrifiant des IA. Terrifiant par sa rapidité d’une part, mais surtout par ses implications : si le cinéma d’animation a toujours été le fruit d’une tension nécessaire entre un art et une industrie, un des deux camps semble bien parti pour écraser l’autre sans la moindre once de pitié.

Ajoutons à cela l’atmosphère de tension qui règne dans la ville d’Annecy, quelques jours à peine après une horrible attaque meurtrière qui non seulement a failli ôter la vie à des enfants, mais qui a aussi donné une belle excuse à une manifestation sauvage de l’extrême droite dans les rues de la vieille cité. Ajoutons aussi la grève des scénaristes de l’autre côté de l’Atlantique à Hollywood (qui ne concerne pas l’animation puisque cette dernière a des syndicats différents et des situations encore plus précarisées, ce qui fait partie du problème), et on comprend bien pourquoi le temps est orageux.

Mais ce n’est pas parce que l’esprit n’est pas serein que nous nous y rendons (Gabin et Jim, ndlr) défaitistes ou inquiets, au contraire. Le festival est une occasion de rencontrer les personnes qui font l’art, qui se battent pour faire exister un medium et ses possibles au milieu d’un monde capitaliste de plus en plus étouffant. Le festival d’Annecy n’est pas qu’un lieu, il est surtout des personnes. En premier lieu les étudiants qui viennent avec leurs CV et leurs portfolio pour rencontrer leurs idoles et offrir à ce medium leur talent, leur voix unique et personnelle. A Annecy comme ailleurs, l’art sera toujours une réponse pertinente et engagée.

Tous les jours durant le festival, vous trouverez des critiques ainsi qu’un journal de bord informel qui reviendra à la fois sur les films visionnés mais aussi sur toute la vie autour du cinéma. Alors, on y va pour le plus beau des festivaux ?

Nouvelles voix (Hommage à l’animation mexicaine)

Une fois arrivé devant le centre Bonlieu, après un passage rigolo par la salle presse pour retirer mon accréditation (le réseau Internet a explosé quand je suis entré, tout le monde me considère responsable de la panne et il a fallu 35 minutes avant que ça reparte), direction la petite salle du centre pour une séance ouverte aux accrédités et au public autour de l’animation mexicaine.

Le pays à l’honneur cette année est en effet le Mexique, ce qui explique la présence de Jorge Gutierrez et de Guillermo Del Toro (qui viennent déjà presque tous les ans… La bouffe locale et la vue très certainement) dans les invités de cette édition. La période est d’autant plus intéressante pour le pays que le Pinocchio du même GDT vient de remporter un Oscar du meilleur film d’animation, et une partie du travail de stop motion a été réalisé au Mexique. L’objectif étant de développer une industrie locale et ouvrir des portes aux artistes du coin.

La première séance du festival, ponctuée comme d’habitude par des lancers d’avions en papier, des bruits de bulle et la chasse au lapin traditionnelle façon où est Charlie proposait une sélection très variée de onze courts-métrages mexicains, récents pour la majorité. De cette sélection éclectique on retiendra la douceur d’Adelina de Gabriela Orozco, qui raconte l’éveil d’une enfant à son âme d’artiste lors de la visite d’un musée, mais aussi La Frontière de Christian Arredondo Narvaez qui utilise l’image bien connue des mirages pour parler d’une des obsessions de son pays, l’immigration clandestine vers les Etats-Unis. Mais le plus réussi des films est certainement Transtierro de Susana Arrazola, qui raconte un personnage de femme peintre piégée dans ses souvenirs pour une proposition aux limites du fantastique et de l’épouvante.

Animations queers : les Couleurs éclatantes des diversités

Pour cette deuxième projection ouverte au public, le festival s’est associé à la Cinémathèque Québecoise pour proposer un programme de huit films courts tous relativement récents qui traitent de questions et réalités LGTBQ+. Encore une fois les propositions sont diverses et très originales, d’un collage de badges queer en animation musicale (Button OUT! de Kathleen Mullen) à un pastiche de cartoon façon années 1930 qui se risque à en conserver tous les stéréotypes graphiques (Happy & Gay de Lorelei PEPI), mais si on devait retenir seulement quelques œuvres de cette programmation, voici lesquelles.

Sve te senzacije u mom trbuhu, de Marko Djeska. Qui raconte sous forme d’interview animée la vie d’une femme trans, de l’école à son premier véritable amour. Le choix du récit permet une authenticité particulièrement touchante, et le style de dessin très rudimentaire est sublimé par des choix de mise en scène très inventifs. C’est un exemple parfait de ce que seul le medium de l’animation peut faire.

Au placard, de Vivian Forsans, qui propose de revenir en dessin et avec un décalage comique inattendu sur l’impact de la Manif pour tous sur un jeune qui découvre sa sexualité. On rit donc, tout en ayant « envie de dead » comme disent les jeunes, et rien que pour ça c’est très fort.

J’aime les filles, de la canadienne Diane OBOMSAWIN, exceptionnelle série de témoignages de premiers amours par plusieurs lesbiennes dont les mésaventures sont rendues rigolotes par le recul et le dessin. C’est terriblement mignon et c’est déjà un grand coup de cœur. Apparemment Diane Obomsawin est plutôt connue au Québec, il va falloir rapidement se renseigner sur elle chez Cinématraque, parce que cet aperçu si bref de son travail est merveilleux.

Projection exceptionnelle : Détective Conan et le Sous-Marin Noir

C’est la troisième fois qu’on écrit sur la saga du célèbre Détective Conan sur Cinématraque, de quoi faire de nous de véritables experts sur le sujet (c’est faux, à chaque article on reçoit des commentaires de fans en colère parce qu’on n’a pas compris un élément de la mythologie, désolé on fait ce qu’on peut c’est le VINGT-SIXIEME FILM les gars, on a tous des zones d’ombre mais promis on essaie), pour autant de fois que des longs métrages du faux-gamin à lunettes sont sortis depuis 2021 sous l’impulsion d’Eurozoom.

Et cette fois, le film va taper dur dans le lore de l’univers Conan puisque les figures centrales sont « les hommes en noir » de l’Organisation, soit l’antagoniste le plus direct du héros. Pour rappel, Conan Edogawa est un pseudonyme (inspiré d’Edogawa Ranpo, célèbre auteur de nouvelles criminelles et fantastiques dont le nom est aussi un pseudonyme correspondant à une prononciation japonisante d’Edgar Allan Poe) qu’utilise Shinichi Kudo, un jeune homme empoisonné par les hommes en noir et condamné à être piégé dans un corps d’enfant. Au cour du (très long) manga a été ajouté un deuxième personnage condamné comme lui à vivre ainsi : Ai Habara, qui a fui l’Organisation qui la croit morte, et qui cherche activement un antidote pour les guérir tous les deux.

C’est elle qui est au cœur de ce vingt-sixième film, puisqu’elle est capturée par l’Organisation en même temps qu’une ancienne amie (nommée Naomi Argento, un des meilleurs noms de fiction jamais créés à mes yeux). Le film oppose Conan et ses alliés (le FBI, les espions au sein de l’Organisation) à ses ennemis de toujours et les poussent à enquêter sur les membres de l’organisation Europol (qui contre toute attente existe vraiment, je recommande la lecture de la page Wikipedia) pour trouver qui pourrait être un traître parmi eux.

Le sous-marin noir est un film très sombre, avec moins de digressions humoristiques dans les deux films précédents, et qui se regarde avec plaisir en dehors d’un twist un peu trop maladroit quant à l’identité du traître d’Europol. Le plus intéressant, comme souvent avec cette longue saga, c’est de voir comment elle s’ancre dans le monde réel. Entre les mers japonaises et la ville allemande de Francfort, le petit héros se retrouve confronté à une nouvelle technologie de surveillance particulièrement controversée : des caméras déployées dans le monde entier, qui permettent la reconnaissance faciale instantanée. Le hasard aura voulu que le film sorte au moment où la France déploie une technologie similaire pour (officiellement) puisse gérer la sécurité pendant les JO 2024. Difficile de ne pas voir dans la critique faite de cette technologie par le film (l’idée est qu’à trop se reposer sur les images sans admettre qu’elles ne sont que représentations partiales et faussées, surtout pour de la reconnaissance faciale) une volonté du cinéaste Yuzuru Tachikawa d’exprimer un vrai point de vue politique. Si les caméras de surveillance du futur sont liberticides, on peut encore compter sur le cinéma pour nous rappeler que toute image est politique.

Soirée d’ouverture : Disney + Sirocco et le royaume des courants d’air

J’ai retrouvé dans la grande salle de Bonlieu les camarades Océane et Gabin pour découvrir le film d’ouverture de ce festival, également intégré à la compétition officielle. Mais avant ce gros morceau qui marque le véritable début des festivités, quelques mises en bouches. Des discours notamment qui ont étrangement fait écho à ce que j’écrivais ici en guise d’introduction alors que j’étais dans le train à 7h du matin, comme quoi je ne me trompais pas quant aux inquiétudes du moment.

Je vais me permettre d’être mièvre et gnangnan un instant, mais très rapidement lors de la présentation du directeur artistique du festival, Marcel Jean, on s’est souvenus de ce qui fait d’Annecy un lieu si cher pour le cinéma. C’est qu’il y a un semblant (je ne m’avance pas davantage) de passion véritable pour le septième art, sans fioritures ni bling bling. C’est le seul grand festival international au monde je pense où une salle applaudit à tout rompre un animateur vétéran, et où les cinéastes sont presque gênés de prendre la responsabilité pour un film en lieu et place de leurs équipes.

Ainsi, la bonne humeur était de rigueur dans la grande salle, la faute aux équipes mexicaines bien bruyantes qui avaient à coeur de faire savoir qu’ils et elles sont contents d’être là. Parmi les petites exclusivités de la soirée, nous avons la chance de découvrir un court-métrage célébrant les 100 ans du studio Disney. Un projet né sous l’impulsion d’un animateur et d’un story artist, Trent Correy et Dan Abraham, qui ont oeuvré sur leur temps libre pour proposer cela aux pontes qui n’avaient absolument pas réfléchi à faire une célébration de ce genre, on adore le travail gratuit. Et bordel dieu sait que c’est facile de détester Disney ces dernières décennies et particulièrement en ce moment avec le retrait de programmes sur Disney + pour économiser des impôts et le renvoi de 75 animateurs chez Pixar, mais quand ils veulent faire marcher la magie de Mickey ils savent faire et c’en est rageant. Je n’en dirais pas trop sur le film parce qu’ils ont encore bien insisté sur le côté exclusif et donc l’interdiction d’en parler, mais en gros il s’agit d’une sorte de moment magique où les personnages de tous les films d’animation viennent faire une photo de groupe pour fêter les 100 ans. Pour l’occasion les deux artistes sont allés chercher des animateurs vétérans pour faire de la 2D sur papier à l’ancienne ensuite cleanée par ordinateur, et le résultat est saisissant. Je les déteste mais putain qu’est-ce qu’ils sont forts.

Puis est venu le temps du film d’ouverture, sur lequel je ne m’attarderais pas puisque Gabin écrit un article dessus (et il est dispo ici). Le long métrage de Benoit Chieux a mis dix ans à se faire, et a connu de nombreux échecs notamment du côté financement avant d’arriver au bout du chemin, mais le résultat en valait la chandelle. A la croisée d’un Claude Ponti et d’un Ghibli avec une touche de Leiji Matsumoto, Sirocco et le royaume des courants d’air raconte l’histoire de deux jeunes filles qui se perdent dans l’univers des livres qu’écrit une amie de leur mère. C’est une proposition magnifique, extrêmement riche à la fois visuellement et musicalement, comme on en voit très rarement en France. Qui ose à la fois être très enfantine et aborder des sujets sérieux comme le deuil, en le traitant à hauteur d’enfant. Une réussite surprenante qui lance le festival sur la bonne note.

Après ce joli moment, on a fait un tour à la fête ultra select d’ouverture du festival dans un bar classieux privatisé. J’étais moi-même habillé en minion (enfin, en salopette bleue avec un t-shirt jaune quoi) donc parfaitement dans mon élément. Ce fut l’occasion de croiser le programmateur de la sélection queer et de lui dire tout le bien qu’on pensait de ses choix, les camarades de chez Eurozoom qui ont dit plein de trucs que je ne répéterai pas parce que je suis réglo (comme ça on dirait que j’ai entendu des trucs grave mais pas du tout), et les amis de chez Cloneweb. Comme quoi même dans un bar privé trop classe on peut réussir à se sentir chez soi quand on est bien entouré. Il ne me restait plus qu’à rentrer dormir…

Puis je me suis souvenu que je ne connaissais pas du tout l’adresse de l’appartement où je suis gracieusement invité par une amie. Allais-je dormir dans la rue ? Suis-je en train de rédiger cet article dans un parking souterrain à l’abri des regards haineux des coyotes affamés (je suis loin de Paris, je sais pas qu’il y a comme bêtes ici). Heureusement j’ai désormais une très bonne connaissance visuelle de la ville, et j’ai pu rapidement retrouver mon chemin. J’espère que vous vous êtes inquiétés pour moi pendant une demi-seconde. La suite, demain !

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