Le château solitaire dans le miroir : Alice au pays des harcelés

On s’était quittés fâchés avec Keiichi Hara. Après avoir signé son meilleur film avec Miss Hokusai en 2015, il était revenu au festival avec Wonderland le royaume sans pluie, un sous Ghibli sans âme fade et peu inspiré. On le retrouve bien plus en forme avec cette adaptation très sympathique et touchante d’un roman japonais à succès : Le Château solitaire dans le Miroir. Et ça fait bien plaisir.

Tout commence, comme souvent, avec du harcèlement. La jeune collégienne Kokoro décide de ne plus retourner à l’école à cause de ce qu’elle subit, lorsqu’un beau jour… Enfin c’est pas un beau jour du tout à cause du harcèlement, donc lorsqu’un… Jour, son miroir se met à briller comme jamais dans sa chambre. Et comme Alice et Neo avant elle, Kokoro va alors passer de l’autre côté du miroir pour découvrir un bien étrange château. Assez austère et à la décoration très enfantine, comme celle d’une maison de poupée. Ici, elle va rencontrer six autres collégiens tous plus déprimés/traumatisés/solitaires les uns que les autres.

Ils sont ensuite rejoints par une petite fille en robe rouge façon petit chaperon, qui porte un masque de loup et qui va leur expliquer ce qui leur arrive. Parce que c’est quand même sacrément bizarre comme aventure, enfin je sais pas vous mais moi quand je me faisais harceler au collège et que je voulais plus y aller mon miroir s’est pas mis à briller pour m’emmener dans un monde parallèle magique. Après j’avais pas de miroir dans ma chambre aussi… Est-ce que j’ai raté mon enfance ? Mais je digresse.

Moi quand j’arrive à la soirée mais que personne m’a dit que c’était pas costumé

Le film s’appuie très largement sur le principe de la mystery box, un concept popularisé par JJ Abrams qui signifie qu’au coeur de l’intrigue est installé un mystère, et que le plaisir du spectateur repose sur la zone d’ombre qui se rétrécit au fur et à mesure de l’avancée dans le récit. Qu’est-ce que c’est que ce château dans le miroir ? Pourquoi est-ce que ces collégiens s’y retrouvent ? Pourquoi est-ce que ce lieu magique leur propose de résoudre une énigme pour pouvoir exaucer un voeu ? Et pourquoi aucun des collégiens n’arrive à se croiser dans le vrai monde, comme s’ils venaient de dimensions parallèles ?

Le plaisir du visionnage ne repose uniquement pas sur ce mystère, bien heureusement. S’il suffit à susciter une curiosité, c’est la qualité d’écriture des personnages qui nous permet de rester impliqués jusqu’au bout. La touche de fantastique et d’imaginaire est une excuse pour Keiichi Hara, qui reprend là le coeur du roman, pour parler encore une fois de la souffrance de la jeunesse.

On retrouve dans le Château solitaire dans le Miroir la noirceur de son très bon Colorful, ce qui en fait un cinéma véritablement pensé pour un public adolescent. C’est-à-dire avec un concept et une patte graphique susceptibles d’attirer un public relativement jeune, et une réflexion sur la cruauté de « l’autre » (tout ce qui n’est pas moi, en gros) particulièrement dure. Sur la fin du film notamment, lorsqu’on accompagne Kokoro dans ses découvertes sur les traumatismes de ses camarades de miroir magique, le récit montre frontalement des choses qu’on ne s’attendait pas forcément à voir au vu de l’étrange atmosphère de légéreté qui entoure la noirceur de l’histoire.

On pourra reprocher à Keiichi Hara une approche trop classiciste dans sa mise en scène, qui manque de folies, mais cela permet aussi à la composition musicale très baroque de la musicienne Harumi Fuuki (Miss Hokusai, Le Roi Cerf…) d’enrichir le cadre avec une puissance mélodramatique très appréciable, sans que cela verse dans le mauvais goût. Surtout, le film fonctionne parce qu’il évite le piège du larmoyant, ou du moralisateur. En son coeur, on y voit surtout un amour sincère pour sa grande galerie de personnages, et ça, franchement, ça fait bien zizir comme on dit quand on s’exprime n’importe comment.

Le château solitaire dans le miroir, un film de Keiichi Hara. Diffusé au festival d’Annecy 2023. Sortie au cinéma le 13 septembre 2023.

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