Killers of the Flower Moon : Osages, ô désespoir, ô vieillesse ennemie

Depuis l’annonce de ce projet, il est nécessaire en préambule de préciser que l’auteur de ces lignes attendait ce Killers of the Flower Moon comme le Messie cinématographique de l’année 2023. Non seulement parce qu’il s’agissait du dernier film en date d’un grand maître du cinéma américain, Martin Scorsese en personne, mais parce que ce dernier se frottait pour son vingt-septième long-métrage à l’un des plus grands livres de ces dernières années : Killers of the Flower Moon de David Grann, succès d’édition dans nos contrées sous le nom de La note américaine. David Grann, dont l’œuvre journalistique notamment au sein du New Yorker a inspiré de nombreux best-sellers, a aussi fait les beaux jours du cinéma hollywoodien au cours des dernières années. Outre les scénarios de L’épreuve du feu d’Edward Zwick et de The Old Man and the Gun de David Lowery, c’est aussi à David Grann que l’on doit le livre à l’origine d’un des plus grands films américains de la dernière décennie : The Lost City of Z de James Gray.

Killers of the Flower Moon nous envoie dans le début des années 1920 au beau milieu des terres de l’Oklahoma où vit l’Osage Nation. La tribu des Osages, qui n’est pas une tribu ancestrale des nations autochtones, a historiquement vécu sur des terres très peu fertiles, mais qui ont révélé à la fin du XIXe siècle un trésor inopiné : de larges nappes de pétrole dont l’exploitation leur a permis de s’enrichir extrêmement rapidement. En effet, dans le comté d’Osage au début des années 1920, les familles natives américaines sont pour la plupart extrêmement riches grâce au développement rapide de l’industrie pétrolière. C’est le cas de la famille de Mollie (Lily Gladstone), où tous les enfants de la famille sont des filles, et qui toutes épousent des hommes blancs. L’homme blanc en question pour Mollie, c’est Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio), neveu de William Hale (Robert de Niro), un des entrepreneurs les plus influents de la ville de Fairfax, et allié de longue date des riches familles amérindiennes. Sauf que depuis quelques temps, des meurtres se multiplient dans le comté. Tous touchent des Osages, et pour la plupart des femmes, au profit de leur mari veuf. Peu à peu, l’homme blanc prend la main sur le territoire, et les richesses des Osages. Et la famille de Mollie est particulièrement touchée.

En bonus, une image inédite du film, jamais diffusée jusqu’ici

Le principal défi pour Martin Scorsese avec ce Killers of the Flower Moon est de s’emparer d’un roman à l’origine très touffu en termes de détails journalistiques, certains passages du roman n’étant plus ou moins que des notules documentaires de contextualisation au beau milieu d’une histoire traitée comme une enquête historique. Pour se frotter à la profusion de noms, d’histoires, de meurtres et de familles, Scorsese le fait de la seule façon possible (avec l’aide d’Eric Roth au scénario, une première collaboration entre les deux hommes) : en signant le film le plus scorsesien qui soit. Car très rapidement, on comprend parfaitement ce qui séduit le réalisateur dans cette histoire dans laquelle il voit un proto-film de gangsters qu’il peut traiter à sa sauce.

There will be blood

On est alors saisi de voir à quel point Killers of the Flower Moon s’insère le plus naturellement possible dans la généalogie scorsesienne de l’Amérique, logée dans la continuité de Gangs of New York et à une époque quasi contemporaine de Boardwalk Empire. Outre la présence de visages plus que familiers dans l’univers du réalisateur, on pourrait totalement se méprendre et ne pas se rendre compte qu’il s’agit d’une adaptation, quoi que celle-ci reste fidèle aux événements narrés par Grann à l’époque. C’est un film de gangsters qui n’en porte pas le nom, mais en tous points les oripeaux.

Peut-être est-ce pour cela que Robert de Niro trouve avec ce film l’un de ses plus beaux rôles récents, loin de certains cabotinages indignes de sa colossale filmographie. Dans la peau de William Hale, il rayonne en parrain charismatique et faussement bienveillant, habile marionnettiste de sa communauté, et surtout de son idiot de neveu. DiCaprio, accent sudiste taillé à la serpe, se débat parfaitement d’un rôle qui aurait pu être caricatural. Mais surtout, Killers of the Flower Moon nous offre le régal de retrouver la formidable Lily Gladstone, notamment adorée dans le très beau Certain Women de Lily Reichardt, et dont on avait failli perdre la trace jusqu’à ce que Scorsese ne fasse appel à elle pour incarner Mollie, le destin le plus tragique du film à coup sûr. Merci Marty.

Il se dégage de Killers of the Flower Moon une sérénité rassurante, radicalement à l’opposé du Scorsese de The Irishman, du fait peut-être de la différence de financements derrière les deux projets. A l’inverse du premier, feuilletonnant et trivial (dans le bon sens du terme) comme pour mieux être saucissonné en plusieurs épisodes par Netflix, Killers of the Flower Moon, financé par Apple, fut dès le départ pensé pour la salle, en cette période où les acteurs du streaming et de la SVOD semble redécouvrir les atouts du bon vieux grand écran. Lyrique et tragique, le film multiplie les plans de grâce (on retrouve le Rodrigo Prieto de Silence par moments), supportés par une BO encore au top du toujours fidèle Robbie Robertson.

Mais ce qui frappe plus encore dans Killers of the Flower Moon, c’est devoir la façon dont il s’inscrit dans la trajectoire récente de la filmographie de Scorsese. Si la mort a toujours été présente dans l’oeuvre du réalisateur new yorkais, celle-ci semble de plus en plus présente au cours de la dernière décennie. Celle-ci infusait déjà dans le très stoïcien Silence, et suintait de partout dans le mal aimé The Irishman, avec ses vieilles carcasses de mobsters fatigués, qui se terminait sur le spectacle presque impudique de la décrépitude physique et émotionnelle de Frank Sheeran.

La mort est encore une fois partout dans Killers of the Flower Moon, tant elle semble empreinte d’une forme de malédiction qui touche le peuple Osage. Si l’on ne meurt pas violemment chez les Osages, on meurt jeune, et en mauvaise santé. Le drame des Osages est celui d’un crépuscule collectif, d’un peuple entier qui semble voué à l’éradication et l’asservissement. Scorsese en magnifie la tragédie, l’injustice, tout en conservant une finesse totale dans la création de ses personnages, à l’image d’Ernest dont la dualité d’allégeance, à sa femme et à sa famille, ne dévie jamais jusqu’à l’écartèlement. Killers of the Flower Moon donne l’impression d’un crépuscule permanent, qui confère au film cette empreinte désespérée qui transparaissait déjà du livre de Grann.

Film scorsesien en diable, Killers of the Flower Moon franchit une nouvelle étape dans son épilogue, que l’on ne dévoilera pas évidemment, mais qui donne au film une dimension quasi testamentaire supplémentaire. Un geste de cinéma qui ne manquera pas de diviser et de hérisser le poil de certains, mais qui offre une note personnelle, presque intime à l’œuvre d’un cinéaste qui ne cesse de parler depuis des années de la mort qui rôde et du temps qui lui reste. Un geste qui n’est pas sans rappeler d’une certaine manière le dernier souffle cinématographique d’un autre géant du cinéma américain, Robert Altman, avec son A Prairie Home Companion en 2006. Dieu merci, Killers of the Flower Moon ne devrait pas être, croisons les doigts, le dernier long-métrage de Martin Scorsese, qui devrait normalement entre autres plancher à nouveau avec Leonardo DiCaprio sur l’adaptation d’un autre ouvrage de David Grann, The Wager. Puisse-t-il nous donner un autre film de l’ampleur de celui qu’il nous a été donné de voir.

https://www.youtube.com/watch?v=F2VPw3iFdQk

Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese (Hors compétition) avec Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Robert de Niro, sortie en salles françaises prévue le 18 octobre

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