Le procès Goldman : A nos actes manqués

Si aujourd’hui le nom de Goldman évoque irrémédiablement quelques-uns des refrains les plus entêtants de la variété française, au début des années 70, bien avant que Jean-Jacques ne s’envole loin de cette fatalité qui collait à sa peau, le patronyme était associé à une figure médiatique bien différente : celui de Pierre Goldman, demi-frère aîné du chanteur dont l’histoire est aujourd’hui méconnue des nouvelles générations. Et pourtant, il y a de cela un demi-siècle, impossible d’ouvrir un journal sans passer à côté de son nom.

Pierre Goldman, tout comme Jean-Jacques, est le fils d’Alter Goldman, commerçant lyonnais originaire de Pologne, qui avait fui en 1927 les pogroms contre les juifs. En France, il est devenu un héros de la Résistance, tout comme sa première épouse, Janine Sochaczewska, qui dirige une cellule de résistants communistes dans la région lyonnaise. Le petit Pierre Goldman naît dans les derniers mois de la Seconde guerre mondiale, le 22 juin 1944. A la fin de la guerre, le couple se déchire : Janine veut rentrer dans sa Pologne natale mener la révolution, ce que refuse Alter. Alors qu’elle veut emmener Pierre avec elle, le père du petit décide alors de l’enlever avec des camarades anciens résistants pour le faire rester en France. Des années plus tard, Alter Goldman épouse Ruth Ambrunn, qui reconnaît Pierre comme son fils, l’élevant au sein de la famille des quatre enfants Goldman, dont Jean-Jacques.

De ses parents, et plus encore de sa mère biologique, Pierre Goldman a hérité d’un goût prononcé pour la lutte révolutionnaire. Actif dans les milieux étudiants du Quartier latin, dont la Sorbonne où il étudie, il embrasse le désir de suivre les guérillas marxistes cubaines et d’Amérique latine, tout comme ses camarades Régis Debray et Alain Krivine. Pour lui, l’engagement communiste n’est que le prolongement du combat de résistance antifasciste entrepris par ses parents. Il part pour le Vénézuela où il se lie d’amitié avec un certain Oswaldo Barreto, mais son retour en France sera compliqué : ruiné, flambeur, dépressif, Pierre Goldman sombre progressivement dans le banditisme pour essuyer ses dettes. A la fin des années 60, il commet plusieurs braquages à l’arme à feu, qui lui vaudront une condamnation à douze ans de prison. C’est à cette époque qu’explose l’”affaire Goldman”.

Le 19 décembre 1969, une pharmacie du boulevard Richard-Lenoir, à deux pas de la place de la Bastille, est victime d’un braquage qui tourne mal. Deux pharmaciennes sont abattues de plusieurs balles et deux autres personnes sont gravement blessées. Rapidement, les témoignages sur place et la présence de certaines armes font remonter les enquêteurs sur la piste de Pierre Goldman. Si Goldman avoue sa participation à plusieurs braquages, il nie farouchement les assassinats de la pharmacie. Au terme d’un premier procès, il est pourtant condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il faudra une longue campagne médiatique menée par de nombreuses personnalités de la gauche culturelle (dont Simone Signoret, le couple Sartre-Beauvoir ou encore Maxime le Forestier, qui composa une chanson pour le défendre) pour obtenir que Goldman soit de nouveau jugé face aux incohérences du dossier. C’est à l’histoire de ce second procès que s’est intéressé Cédric Kahn dans ce Procès Goldman qui ouvre en fanfare la sélection de la Quinzaine des cinéastes de ce festival de Cannes 2023.

Le Procès Goldman porte d’ailleurs particulièrement bien son nom puisqu’il ne se concentre que sur le procès, ne quittant jamais les murs de la cour d’assises d’Amiens. Ce huis clos classieux, filmé dans un format 4/3 ne faisant que resserrer le regard presque entomologiste du cinéaste, ne s’embarrasse d’aucun artifice de mise en scène. Il faut dire que le procès, suivi de très près par l’intelligentsia parisienne et par tout le circuit médiatique, est aussi un duel de ténors du barreau : l’accusation est représentée par Henri-René Garaud (Nicolas Briançon), l’avocat de Christine Villemin dans l’affaire du petit Grégory et des policiers à l’origine de la mort de Malik Oussekine. En face, le camp Goldman est mené par nul autre que le très médiatique Georges Kiejman,récemment décédé (joué par Arthur Harari, aussi génial comme acteur que comme réalisateur, en témoigne son splendide Onoda : 10.000 nuits dans la jungle).

La grande force du Procès Goldman, c’est la croyance qu’a Cédric Kahn dans la simplicité de son dispositif. A l’inverse du film de procès hollywoodien, son film refuse tout procédé spectaculaire, même lors des grands moments de bravoure de ses plaidoiries. Sa mise en scène à l’os n’en est que plus maligne car elle est avant tout un écrin pour les fantastiques numéros d’acteur que le film met en scène. La scène d’ouverture, la seule se déroulant en-dehors des murs du procès, pose en un seul long dialogue tous les enjeux humains du film. Cette simple discussion de bureau entre Kiejman et son confrère maître Francis Chouraqui (Jeremy Lewin), parvient à résumer le “mythe” Goldman sans même qu’il ne soit présent.

Mais c’est lorsqu’apparaît Pierre Goldman, sous les traits de l’acteur franco-belge Arieh Worthalter que le film parvient à prendre son envol. Dans un grand numéro de funambulisme, Worthalter donne corps au volubile Pierre Goldman, tour à tour tribun séduisant et petit garçon égaré, incapable du moindre compromis ni de la moindre pensée qui dépasse son code d’honneur. Loin de se borner au simple classicisme du champ/contre-champ, la caméra de Cédric Kahn s’infuse de l’atmosphère du procès et laisse au spectateur le temps de voyager dans l’image, de comprendre par lui-même l’impact de certaines paroles ou de certains actes. Du simple regard catastrophé des avocats de Goldman à chacune de ses “sorties de route” aux cliffhangers déconstruits par la mise en scène et reconstitués par l’attention du spectateur (un policier qui “vend” les mensonges de la police, Kiejman qui démonte le tapissage raté des enquêteurs…), Le Procès Goldman fascine parce qu’il n’explique rien mais convainc toujours.

C’est au fond cette espèce de radicalité sereine qui fait du Procès Goldman un savant film politique, dans cette capacité à présenter froidement les excès de Goldman sans nier ses exactions, mais en allant chercher l’homme derrière l’image médiatique (le film ne cherche d’ailleurs même pas vraiment à cultiver la ressemblance physique entre ses acteurs et leurs modèles), sans en faire ni un saint, ni un martyr, ni une victime expiatoire. Après tout, c’est aussi un film où un système policier se paraît en permanence de la vertu des hommes qui “savent se tenir” face aux “extravagances outrancières” de ces salauds de gauchistes. Un demi-siècle, ce n’est parfois pas grand-chose quand on y réfléchit.

Le procès Goldman (Quinzaine des cinéastes) de Cédric Kahn avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Nicolas Briançon…, sortie en salles prévue le 27 septembre

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