Onoda, 10 000 nuits dans la jungle de Arthur Harari, c’est d’abord une histoire vraie incroyable. Celle de Hiro Onada, soldat japonais missionné sur une île du Pacifique pendant la seconde guerre mondiale et qui n’a jamais cru à la fin de la guerre. Il a donc continué à lutter sur son île, s’attaquant régulièrement aux habitants qui devaient se demander qui était ce drôle de passager clandestin.
Arthur Harari s’est emparé de cette histoire unique pour la porter sur le grand écran. C’était un pari audacieux et ambitieux, surtout pour un réalisateur français dont c’est seulement le deuxième long-métrage. Mais le résultat est à la hauteur des attentes. Arthur Harari réussit à embrasser l’ampleur d’un tel projet. Le film suit le destin de Onada sur plusieurs périodes entre son départ en 1944 et sa rencontre avec un jeune étudiant en 1974. Cette fresque de long cours est également ambitieuse par la géographie dans laquelle elle s’installe. Le film prend progressivement possession de l’île sur laquelle les soldats s’auto-emprisonnent. À travers les péripéties de cette petite troupe, la caméra de Harari nous donne à voir cette jungle qui donne son sous-titre au film. Entre les fruits empoisonnés, les grottes salvatrices et les plages de sable fin, on parcourt nous aussi la topographie et on comprend comment ces soldats ont fini par y perdre la raison.
Car le déni est aussi au cœur de Onoda. La réalité semble tellement incroyable, qu’il fallait que le cinéaste passe du temps à nous faire voir l’évolution de ces soldats vers la folie. D’abord, leur recrutement et leur formation, notamment au sein de l’élite spéciale, puis leur arrivée sur l’île qui engendrera la seule véritable scène de guerre du film. Enfin, la vie du groupe de survivants qui se réduit petit à petit. Ne reste plus alors que le noyau dur des convaincus, ceux qui prennent toutes les preuves qu’on pourrait leur avancer comme des arguments supplémentaires d’un complot visant à les piéger. On pourrait trouver cela ridicule ou impossible à croire si on n’avait pas inventé Internet et l’année 2020 depuis. On accompagne donc le parcours de ces soldats qui, en vieillissant, ressemblent de plus en plus à de vieux fous totalement perdus. Attention, on est loin d’Apocalypse Now même si le film de Coppola est dans la tête de tous les spectateurs. La folie n’est pas ici la spirale destructrice et explosive du colonel Kurtz. Il s’agit simplement d’un décalage grandissant avec la vérité. Et pourtant, il y a en eux, et notamment chez Onada quelque chose qui force le respect. Une détermination et un courage devant lesquels même la réalité est obligée de plier. En changeant d’acteur en cours de route pour marquer le changement d’époque, Arthur Harari parvient à nous faire voir deux interprétations aussi superbes que différentes l’une de l’autre. La fougue et le pouvoir de persuasion sans faille joués par Yûya Endô laissent la place à la sagesse mélancolique et solennelle de Kanji Tsuda.
La dernière scène toute en pudeur et en sobriété rend parfaitement compte du morceau d’histoire qui est en train de se jouer devant nous. L’histoire de cet homme méritait d’être contée, et Arthur Harari peut se féliciter d’en avoir été un si bon porteur.
Onoda de Arthur Harari avec Yuya Endo et Kanji Tsuda, sortie en salles le 21 juillet