L’école des facteurs : les débuts de Jacques Tati

Preuve incontestable de la richesse folle du cinéma français (n’en déplaise aux rageux sur Twitter), on a souvent tendance à oublier quelques noms quand on liste nos plus grands cinéastes tricolores. Pas parce que ces oubliés (et oubliées) seraient moins méritants, mais simplement parce qu’il y en a tellement de géniaux qu’il est presque inévitable d’en passer un à la trappe.

Jacques Tati fait partie de ces noms qu’on ne cite pas assez souvent dans les conversations sur notre panthéon francophone du septième art, et qui pourtant à chaque fois qu’il arrive sur la table a la capacité de mettre tout le monde d’accord. Et ça tombe bien qu’on en parle, car en ce moment sur Ciné+, on peut voir non seulement ses quatre premiers longs métrages, mais aussi certains de ses travaux antérieurs.

On peut ainsi y voir l’époque où l’ancien sportif se contentait d’écrire des scénarios et de jouer la comédie : Soigne ton gauche par exemple est un court-métrage réalisé par René Clément en 1936, dans lequel Jacques Tati interprète un quidam qui se retrouve à boxer un sportif professionnel. L’ensemble n’est pas très réussi, trop lent à démarrer et surtout pas adapté au style de celui qui deviendra un grand réalisateur français à son tour, mais pourtant malgré cela Jacques Tati impressionne déjà avec sa carrure de grand dadais et l’élasticité incroyable de son corps. Le film vaut le détour rien que pour les quelques minutes où le personnage de Tati apprend la boxe avec un manuel dans le ring et singe les illustrations très guindées qu’il découvre en plein combat.

C’est quand Tati passe véritablement derrière la caméra que cela devient génial. Quelques années plus tard, il écrit, joue et réalise L’école des facteurs (qui devait être signé par René Clément encore une fois, mais qui a dû refuser à cause d’un conflit d’emploi du temps ) sous l’égide de Cady Films. A noter que tout n’est pas clair sur la date de création de cette boîte de production, puisqu’elle est censée avoir été fondée en 1946 mais son logo et son générique musical apparaît aussi sur la copie de Soigne ton gauche qui date de 1936. Il est probable que le film de René Clément ait été récupéré a posteriori par la boîte de Tati, puisque le générique d’ouverture le met lui en avant ce qui n’a du sens que si on connaît le personnage…

Même si L’école des facteurs est largement considéré comme le brouillon de ce qui deviendra Jour de fête, premier long de Jacques Tati, on aurait tort de ne pas s’y attarder tant on y trouve déjà tout ce qu’il y a de savoureux chez le cinéaste burlesque. Tout commence avec trois facteurs en formation et un instructeur qui les briefe sur la technique parfaite pour faire sa ronde et livrer le courrier. Parmi les trois apprentis, Jacques Tati, dont on va suivre le parcours semé d’embuches et de cascades en tous genres, à la fois spectaculaires et drôles.

Il y a de nombreux plaisirs en compétition dans nos cœurs et nos crânes lorsqu’on découvre un film de Jacques Tati. Il y a d’abord bien sûr celui de rire de ses mésaventures à vélo, mais aussi celui qu’on aura plus tard devant les cascades folles d’un Jackie Chan : de l’admiration pour des mouvements dangereux et d’une précision folle. La corpulence si particulière de Jacques Tati et sa manière extravagante d’utiliser son corps fin et plus long qu’un second mandat de Macron en ressenti lui donnent un côté sympathique et chaleureux qui donne envie de croire à tout ce qu’il y a de bien en ce monde.

Il est déjà aisé de voir une portée politique dans son œuvre, dès ce court-métrage. Elle n’est pas virulente ou engagée, mais elle est indéniable : il y a très tôt chez Jacques Tati une envie de célébrer le vivre ensemble. A travers ce personnage de facteur, on découvre tout un village et sa communauté souriante et enjoué. Même l’instructeur de la poste qui apparaît ridicule n’est pas non plus moqué autrement qu’avec bienveillance…

Comme pour confirmer ce sentiment très fort d’humanité, cette envie de montrer la vie peu de temps après la fin de la guerre, une scène frappe notamment : celle où le facteur passe par le bistrot et se laisse séduire non pas par un verre d’alcool mais par la piste de danse. Voir Jacques Tati incapable de ne pas se dandiner sur l’air entraînant au milieu des couples dansants, il n’y a pas le moindre doute : c’est ça le cinéma.

L’école des facteurs, un film de Jacques Tati disponible sur Ciné +.

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