Un parcours de festivalier est toujours un processus de curation personnelle, particulièrement dans une sélection dense et dans un festival qui nous permet de rattraper le soir à la maison les séries que l’on a pu rater dans son planning la veille. Alors que la fin de Séries Mania 2023 approche à grands pas, alors que la compétition officielle a multiplié les propositions solides mais sans grandes surprises (l’Israélienne Red Skies sur deux amis séparés par la deuxième intifada, un israélien et l’autre palestinien, ou la dystopie métaphorique post-COVID The Fortress venue de Norvège), une tendance de fond s’est dessinée à travers les principales sélections du festival : le bon état de forme des créations françaises, surtout dans le domaine des comédies. Petit tour d’horizon de quatre d’entre elles, et d’une cinquième qui, dans son genre, s’en approcherait presque.
Besoin d’amour – Compétition Nuit des comédies
Marc a la quarantaine, et vivote en cherchant deux ou trois cachets dans des fictions et en faisant le videur d’une boîte de nuit pour payer le loyer de sa colocation. Car Marc, dans une autre vie, était Marco Delgado, star de films X à l’ancienne, cherchant désormais à s’imposer comme acteur grand public. Son surplace professionnel est aussi affectif : célibataire, il vit aussi sous le poids d’une mère castratrice et vient de perdre son père adoptif. Un jour, Marc commence à être pris de malaises, qui le conduisent régulièrement à l’hôpital. Là-bas, un diagnostic particulier tombe quant à son état de santé : Marc est en manque d’amour, et va devoir y remédier au risque d’y passer.
Marco a besoin d’amour, des bisous des câlins il en veut tous les jours, c’est comme ça (pas de raison qu’il y ait que moi à avoir ce truc en tête depuis cinq jours). Marco, c’est Frédéric Hazan, l’homme-orchestre de l’une des trois comédies OCS dont on va parler aujourd’hui, et dont il est le showrunner, scénariste, réalisateur et acteur principal. Passé notamment par l’école Fanny Herrero sur Dix pour cent et Drôle, Hazan avait déjà signé en 2019 pour la même chaîne Mike, comédie dans laquelle Max Boublil (que devient-il d’ailleurs?) incarnait un chanteur pop one-hit wonder qui n’avait jamais réussi à confirmer. Un personnage au fond pas si loin de ça que celui de Marco Delgado, auquel le comédien parvient à insuffler une bonhomie sincère, plus John B. Root que Marc Dorcel dans l’énergie dira-t-on.
Si Besoin d’amour ne révolutionne pas le genre, il a déjà le mérite de présenter le monde du porno, bien qu’en toile de fond très lointaine, comme autre chose qu’un cloaque putride, malgré toutes les critiques hautement légitimes qu’on puisse adresser à une industrie gangrénée comme tant d’autres par de gros problèmes systémiques, en premier lieu dans son rapport aux femmes. Mais surtout, la série parvient, comme beaucoup de comédies OCS, à développer un savoir-faire indéniable dans l’écriture de personnages, et surtout de petites romances bien troussées débarquant sans qu’on s’attende à s’y attacher autant (Irresponsable, Les Grands, Jeune et Golri…). Dans l’ombre de Frédéric Hazan, et au milieu de quelques guests de luxe comme Clémentine Célarié, Gérard Jugnot ou encore Camille Combal, Besoin d’amour est aussi tenu par deux excellents rôles féminins secondaires portés par Laëtitia Vercken et Anouk Villemin, qui aident à faire de Besoin d’amour une sympathique friandise vite (6 épisodes de 25 minutes, douche comprise) mais bien avalée.
Rictus – Compétition Nuit des comédies
Dans un futur proche dystopique, la France vit sous une règle sociale bien établie : il est interdit de rire. Des brigades de surveillance spéciales se chargent de surveiller la population et de traquer le moindre éclat de rire, pour punir sévèrement les contrevenants à l’ordre public. Steph (Fred Testot), est l’un de ces agents de la « police du rire », le meilleur même. Il accueille alors sous son aile une stagiaire, la fille de son patron, Céline (Ophélia Kolb). Sauf qu’un jour, au cours d’une inspection de routine, Steph provoque chez Céline un fou rire incontrôlé qui les pousse dans la clandestinité…
Création du scénariste et réalisateur Arnaud Malherbe (Chefs, Ogre…), Rictus déploie sa dystopie autour du concept de plus en plus développé de « tyrannie de la bienveillance », dérivé lui-même de tout le business du développement personnel et surtout des techniques managériales made in start-up nation (happiness managers, tables de ping-pong et barbecues du vendredi plutôt que des CDI…). Dans le monde tout bergsonien de Rictus, le rire est autant une difformité du réel qu’un acte de transgression. Thématiquement très riche grâce à la variété de ses personnages et de ses situations, Rictus ne recule pas non plus devant ses ambitions, malgré une économie de moyens évidente que la série s’emploie, généralement avec succès, à maquiller autant que possible.
L’ensemble est un pêle-mêle d’idées foutraques (notamment des chansons originales signées GiedRé), qui ne s’emboîtent pas toujours bien mais qui réussit tout de même à nous questionner sur notre rapport au rire dans un monde toujours plus compartimenté et anesthésié. On a parfois un peu peur que tout ça sombre dans la rengaine « de toute manière on peut plus rire de rien ma bonne dame hein, on aurait crucifié Le Luron pour moins que ça aujourd’hui » mais pour l’instant l’ensemble tient à flots. Reste à savoir si ce sera le cas sur le reste des dix épisodes de la série.
Sous contrôle – Compétition française
Le parcours de Marie Teissier (Léa Drucker) est celle d’une figure modèle de l’humanitaire. Directrice d’une ONG et personnalité populaire dans l’opinion, elle décroche par surprise le poste de ministre des Affaires étrangères de la part du président de la République (Laurent Stocker). Avec son fidèle bras droit (Samir Guesmi), la voilà propulsée au Quai d’Orsay, dans la fosse aux lions des politiciens et des jeux d’influence. Le problème pour elle, c’est que le jour de sa nomination, un groupe armé islamiste kidnappe au Sahel un groupe de cinq touristes, dont font partie deux ressortissants français. Entre une coopération européenne qui patine et des intérêts financiers contradictoires, Marie Teissier va sombrer dans une spirale d’événements incontrôlables.
Alléchant projet de comédie politique s’inspirant ouvertement des mockumentaries anglo-saxons mâtinés de workplace comedy (les comédies de bureau à la The Office), Sous contrôle est une création du romancier et scénariste belge Charly Delwart qui porte plutôt bien son prénom d’ailleurs. Volontiers irrévérencieuse, Sous contrôle est une peinture acide du dysfonctionnement de la bureaucratie française et d’une technocratie européenne, avec une dose d’acidité inattendue de ce côté-ci de la Manche. Prenant ouvertement en référence les hilarantes comédies d’Armando Iannucci (les géniales The Thick of It et Veep en premier lieu), Sous contrôle n’est heureusement pas une version Quai d’Orsay du Bureau, désastreuse tentative d’importation par Canal+ en 2006 des méthodes managériales de David Brent et Michael Scott sous les traits de François Berléand.
Solidement réalisé par le cinéaste Erwan Le Duc (dont vous conseille de découvrir ou redécouvrir le fantastique Perdrix avec les très beaux et très talentueux Swann Arlaud et Maud Wyler) offre un vrai travail de caricature et d’irrévérence dans un esprit Hara-Kiri revendiqué, où des islamistes ubérisés croisent un président narcissique, vulgaire et bien moins distingué qu’il ne voudrait le faire croire (toute ressemblance avec un certain locataire de l’Élysée est purement et absolument non fortuite). Sous contrôle ne mord pas aussi fort qu’elle ne le voudrait, certaines de ses tentatives tombent parfois à l’eau et l’ombre très envahissante de ses modèles lui portera forcément préjudice auprès des sériephiles qui s’attendaient à découvrir l’équivalent d’une Selina Meyer et d’un Malcolm Tucker français. Mais la tentative ne manque pas de panache, ni d’acuité, notamment quand il s’agit de retranscrire cette tradition politique française d’enrober mielleusement ses veuleries les plus perfides. La satire est plus piquante que mordante, mais elle reste plaisante.
Aspergirl – Compétition française
Louison a 38 ans et vient de se séparer de son mari. Dans ce contexte familial compliqué, son fils Guilhem est renvoyé de son école pour avoir agressé un camarade de classe. C’est alors que Louison découvre que Guilhem est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA), semblable à ce que l’on qualifie parfois de manière hâtive de syndrome d’Asperger (qui n’est toujours pas officiellement reconnu par l’ordre des médecins en France contrairement aux États-Unis). Mais ce n’est pas tout car Guilhem n’est pas le seul atteint de TSA : Louison aussi est concernée. Le problème, c’est que le comportement de Guilhem entraîne un signalement auprès des services sociaux. Louison va donc devoir aussi désormais lutter pour la garde de son fils.
Portée par l’humoriste et chroniqueuse radio Nicole Ferroni, Aspergirl tente de s’emparer d’un sujet complexe et propice aux dérapages les plus embarrassants mais réussit à éviter la sortie de piste en prenant son sujet au sérieux. Après avoir consulté notamment des professionnels de santé du Centre de ressources autisme (CRA), organisme spécialisé dans l’accompagnement des personnes atteintes de TSA, les scénaristes Judith Godinot et Hadrien Cousin dépeignent un portrait de femme subtil et touchant, qui saura sans doute trouver des adeptes dans le jury de la compétition. L’ensemble manque peut-être de tenue avec des personnages et intrigues secondaires parfois en-dedans. Clairement la plus classique dans sa facture des comédies présentées cette année en compétition, Aspergirl sera aussi sans doute la moins mémorable, ce qui ne l’empêche pas une nouvelle fois de mettre en lumière le savoir-faire d’OCS, un savoir-faire qui espérons-le, ne sera pas mis en danger par la situation précaire de la chaîne depuis la fin de son contrat d’accord d’exploitation de la licence HBO, partie chez Amazon, et les rumeurs grandissantes ces dernières semaines quant aux risques créés par sa future incorporation en cours par le groupe Canal.
Bonus : Polar Park – Compétition française
Et si la meilleure série comique de ce Séries Mania était, de manière absolument non ironique, un polar ? L’idée a fait son bout de chemin au sortir des deux premiers épisodes de Polar Park, qui marque le retour du cinéaste Gérald Hustache-Mathieu, onze ans après son dernier long-métrage Poupoupidou, entêtant bien qu’imparfait polar mi-lynchien (Twin Peaks) mi-coenien (Fargo) sur la mort d’une Marilyn provinciale sous le froid polaire de Mouthe, la ville la plus froide de France. Douze ans plus tard, c’est comme si rien n’avait changé, le point de départ de Polar Park étant presque trait pour trait celui de Poupoupidou. Un écrivain de polars se rêvant en disciple de James Ellroy, David Rousseau (incarné de main de maître par Jean-Paul Rouve), s’aventure à Mouthe dans la quête du sujet de son prochain livre. Sur place, il se retrouve au milieu d’une affaire criminelle au cours de laquelle il aura maille à partir avec l’enquêteur local incarné par Guillaume Gouix. Sauf qu’ici, la Marilyn doubiste aux cheveux peroxydés de l’original (par ailleurs égérie publicitaire d’une marque de fromage du Jura) n’est qu’une victime parmi tant d’autres d’un serial killer qui s’amuse à faire de ses victimes des œuvres d’art.
Mi-remake mi-suite, Polar Park est un objet sériel passionnant même pour ceux qui n’ont pas vu Poupoupidou, mais gagne en intérêt par la puissance métatextuelle de sa proposition. Par la force de la sérialité, le meurtrier unitaire du cinéma devient un tueur en série dans tous les sens du terme. Si le film d’Hustache-Mathieu était centré sur les longs monologues poétiques et intimes de la défunte Candice Lecoeur (Sophie Quinton), la série déplace le curseur introspectif de sa Laura Palmer vers son Dale Cooper. En quête de ses origines, David Rousseau se retrouve en quête de ses origines, et quelque part de lui-même, dans une quête autofictionnelle (qu’on ne nous fasse pas croire que la référence du titre au Lunar Park de Bret Easton Ellis est feinte) où s’entremêlent croyance et science, complot et déduction. Filmant les deux sur un pied d’égalité, Hustache-Mathieu créé une œuvre délicieusement ouatée, faisant toujours pas de côté avec le réel. Jamais ouvertement comique, Polar Park repose entièrement sur la verve morne de Jean-Paul Rouve, sur le mélange de sérieux et d’absurde sur lequel se construit son système de croyance que n’aurait pas renié Dan Brown.
Visuellement classieuse, Polar Park s’imagine comme une réécriture, un director’s cut de Poupoupidou, qui aurait mûri dans une cuve cryogénique pendant une décennie. C’est visuellement splendide, et porté par un casting cinq étoiles : ajoutons-y entre autres India Hair, Olivier Rabourdin, Firmine Richard, Jean-Claude Drouot (honoré par ailleurs par le festival pour le soixantième anniversaire de Thierry la Fronde), Pierre Lottin, la révélation Soliane Moisset ou encore la plus belle voix de l’acting francophone, Féodor Atkine. Plus que jamais affirmé dans son délicieux grand écart, où un cowboy en Stetson s’hypnotise devant un reportage du 12/13 de France 3 France-Comté, Polar Park est une petite sucrerie glacée qui ne s’impose jamais comme une redite de Poupoupidou, mais comme l’univers étendu d’un film brillant, donnant naissance à une série qui espérons-le le sera encore plus.
Besoin d’amour de et avec Frédéric Hazan, avec Laëtitia Vercken, Anouk Vuillemin, sera diffusé à partir du 11 mai sur OCS Max
Rictus d’Arnaud Malherbe avec Fred Testot, Ophélia Kolb, Youssef Hajdi sera diffusé courant 2023 sur OCS
Sous contrôle de Charly Delwart avec Léa Drucker, Samir Guesmi, Laurent Stocker sera diffusé courant 2023 sur Arte
Aspergirl de Judith Godinot et Hadrien Cousin avec Nicole Ferroni, Carel Brown, Mustapha Abourachid sera diffusé à partir du 6 avril sur OCS City
Polar Park de Gérald Hustache-Mathieu avec Jean-Paul Rouve, Guillaume Gouix, Soliane Moisset sera diffusé courant 2023 sur Arte