Séries Mania 2023 : Donner suite au grand débordement

L’actualité sociale rendrait presque tout cela futile mais dans l’ombre du feuilleton parlementaire de ces derniers jours et ses conséquences bien réelles sur la vie du pays, d’autres séries, bien plus réjouissantes, sont à l’honneur à Lille. Pour sa cinquième édition dans la ville nordiste, le festival était l’occasion de boucler une boucle, celle de son premier chapitre d’existence hors de Paris. Toute première série diffusée dans l’enceinte du Nouveau Siècle pour la cérémonie d’ouverture, Succession était entrée sur la pointe des pieds dans nos existences sériephiles, encore loin de nous douter nous festivaliers que nous avions devant les yeux la future série qui allait marquer les cinq années à venir. Des récompenses en pagaille, des montages à ne plus quoi savoir en faire sur les « Fuck Off! » de Logan Roy ou les cols roulés de Shiv… la série créée par Jesse Armstrong et produite avec Adam McKay est devenue l’étendard des années de révolte à l’ère Trump et d’une génération prête non seulement à manger les riches, mais à cuisiner leurs grands morts pour mieux les savourer.

Alors que la saison 4 du hit de HBO bénéficiera cette semaine d’une avant-première de son premier épisode quelques jours avant ses débuts américains (et son arrivée en France sur le tout nouveau pass Warner de Prime Video), le premier week-end de Séries Mania 2023 fut marqué par le tapis rouge (ou mauve en l’occurrence) déroulé à l’une de ses figures les plus iconiques, Brian Cox aka Logan « L to O. G. » Roy. À l’occasion d’une masterclass qui fit salle comble au théâtre du Nord, le vénérable acteur britannique a livré un tour de force, se confiant comme peu d’acteurs anglo-saxons ont l’habitude dans un exercice parfois corseté par le jeu de l’image hollywoodienne. Évoquant son enfance écossaise à Dundee, bien différente de celle de Logan Roy (qui dans les premiers temps de Succession était d’origine… québécoise), entouré par les femmes dont une sœur qu’il venait à peine d’enterrer quelques jours plus tôt, l’acteur a notamment livré un plaidoyer pour la chute des régimes patriarcaux en Iran et en Afghanistan. La veille, son épouse Nicole Ansari, actrice allemande d’origine iranienne, avait déjà signifié son soutien à cette cause en arborant une étole marquée du slogan populaire « Femme Vie Liberté ».

Volubile sans jamais être verbeux, l’acteur a déroulé plus d’un demi-siècle de carrière et de rôles iconiques : le tout premier Hannibal Lecter sur grand écran (Manhunter de Michael Mann), Deadwood, Adaptation de Spike Jonze et bien sûr le patriarche du conglomérat médias Waystar Co., Logan Roy himself. Souvent drôle (notamment quand il évoque la difficulté de caster des vieux acteurs britanniques dans son projet de film sur une distillerie car la moitié d’entre eux sont des anciens alcooliques), parfois émouvant, Brian Cox a livré un autoportrait d’acteur dense, indispensable à rattraper pour qui s’intéresse un peu au jeu d’acteur. Même lorsqu’il s’attarde sur le sujet du moment, à savoir sa détestation viscérale de la Méthode version Strasberg, à l’origine d’un beef largement amplifié dans des proportions ridicules avec son partenaire à l’écran Jeremy Strong, Brian Cox fait l’étalage d’une érudition et d’une finesse de propos qui valent mille headlines provocatrices du Film Twitter. La masterclass est disponible en ligne gratuitement pour tous jusqu’à la fin du week-end prochain sur la plateforme numérique Séries Mania+, alors n’hésitez pas à la rattraper.

La fin de Succession pose aussi derrière une question d’ensemble qui traverse le début de ce festival : et maintenant la suite ? C’est d’ailleurs sur une suite que s’était ouvert le festival : celle de Salade grecque (sur laquelle on ne se prononcera pas car on ne l’a tout simplement pas vue), dans lequel Cédric Klapisch vient rouvrir en série le livre de la saga L’Auberge espagnole et de ses deux sequels Les poupées russes et Casse-tête chinois. Mais la suite c’est aussi l’après, l’avenir. À l’heure où l’on nous annonce le reflux de la Peak TV et de l’inflation incontrôlée des nouveautés et des plateformes, la tentation du débordement est grande. Ce débordement si incontrôlé qu’on oublie des séries avant même d’en avoir eu envie, plus besoin de se soucier de la FoMo. Comme chaque année, Séries Mania joue la carte du toujours plus : plus de séries visionnées, venues de plus de pays et de plus de plateformes.

Parmi ces nouveaux venus, un pays qu’on n’avait pas imaginé mettre aussi longtemps pour trouver son chemin jusqu’à Lille : la Grèce. C’est là que se déroule la première série présentée en compétition internationale pendant le festival : Milky Way. À sa tête, le cinéaste Vasilis Ketakos, consacré par la Palme du court-métrage en 2019 avec La distance entre le ciel et nous. Pour sa première mini-série, le réalisateur pose sa caméra dans des paysages méconnus des terres hellènes, dans les montagnes du nord du pays, à la frontière des Balkans. C’est dans un de ces villages reculés que vivent Maria (Korina Dullaert), ses copines de lycée avec leurs occupations de lycéennes, son petit ami motard, pompiste un peu raté, ou encore son nouveau camarade de classe venu d’Athènes dont l’homosexualité flamboyante tranche un peu dans la région. Comme beaucoup d’ados de son âge, Maria veut quitter cette campagne où le temps semble figée, partir pour la capitale où elle deviendra danseuse. Sauf que Maria finit par tomber enceinte…

Par son casting de (très beaux) ados semblant sortir tout droit d’Euphoria, Sex Education ou Generation, Milky Way s’avance comme un ersatz de série teen vu et revu mais arrive vite à trouver son ton en s’écartant du cynisme pop de ses homologues anglophones. Moins formaliste et plus sincère, Milky Way séduit en prenant toujours le spectateur à revers au moment où ses personnages menacent de devenir des caricatures d’eux-même. La série offre même de chouettes moments d’émotion dans les deux épisodes diffusés, à l’image d’une scène de danse père-fils dans une étable qui vient totalement déconstruire une dynamique beaucoup plus subtile et complexe qu’il n’y paraît. Dans un genre qui n’est pas toujours connu pour sa finesse, Milky Way joue avec succès la carte de la finesse et de la générosité, à l’image de son prolifique casting, qui avait dans son intégralité foulé le tapis rouge (ou plutôt mauve en l’occurrence) lillois pour sa présentation. Parce qu’au fond il y a toujours du bon à y gagner à écouter une jeunesse qui déborde.

Succession saison 4 débute le 26 mars aux États-Unis sur HBO et sera disponible en H+24 sur Amazon Prime Video via le pass Warner.

Milky Way est diffusée en Grèce par la chaîne privée Mega TV et n’a pas encore de date de sortie française programmée.

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