Je vous parle d’un temps que les plus jeunes d’entre vous ne peuvent pas connaître… Une époque étrange où Robert Rodriguez était encore un réalisateur intéressant. Longtemps avant de se retrouver aux commandes d’horreurs innommables chez Disney et Star Wars (cherchez pas le nom des séries, on a dit « innommable ») ou de saccager avec sa direction paresseuse des projets intéressants (Alita Battle Angel reste sympathique mais quel potentiel gâché…), le cinéaste mexicain avait tout d’une star de l’underground.
Fort du succès de Desperado et surtout d’Une Nuit en Enfer scénarisé par son comparse Quentin Tarantino, le voilà aux commandes d’un film d’horreur sorti chez Dimension Films, les frères Weinstein espérant ainsi surfer sur la mode de la saga Scream de Wes Craven.
Sorti en 1998, The Faculty (connu au Québec de notre chère Pauline comme Les Ensaignants, énième preuve de la supériorité du pays de la poutine sur le notre) est un pur produit des années 90, un véritable trésor archéologique pour quiconque qui voudrait comprendre toute une génération de millenials biberonnés à la pop punk californienne, à l’horreur méta façon Scream et à la rebellion télévisée façon MTV.
Une ouverture sur un morceau de The Offspring, un lycée de petite ville américaine où toute la vie communautaire s’organise autour de l’équipe de foot américain, des cliques et bandes irréconciliables… On est en terrain connu.
L’histoire est plutôt simple : il s’agit d’une énième variation sur le film de Body Snatchers. Des parasites venus d’ailleurs prennent le contrôle des humains un à un, pour les assimiler et les remplacer. Les héros sont un groupe de personnages qui n’ont absolument rien en commun, du geek asocial (Elijah Wood) au rebelle dealer de drogues (Josh Hartnett), en passant par la goth chick (Clea Duvall) et la mean girl (Jordana Brewster).
Puisque les parasites sont indissociables à l’oeil nu des humains, tout le monde devient une menace potentielle. L’une des références et influences assumées du film est donc le remake de The Thing réalisé par John Carpenter, considéré par des personnes de qualité (genre moi) comme le meilleur film d’horreur jamais créé, au point où The Faculty reprend la fameuse scène du test sanguin. Avec un petit twist qui n’est pas sans saveur, puisqu’ici on découvre que les parasites ne supportent pas les drogues que vend le petit dealer. Pour prouver qu’on n’est pas un ennemi venu d’ailleurs il faut donc faire l’inverse de ce qu’on apprend à l’école : say yes to drugs !
Ce passage du film est intéressant, puisqu’il semble concentrer tout ce qu’il fait le sel du cinéma de genre américain des années 90. D’abord parce qu’il repose sur une lecture métatextuelle du film d’horreur, comme Scream avant lui : les personnages vivent dans notre monde et ont vu les mêmes films que nous. Leurs connaissances et leurs moyens d’auto-défenses sont aussi les nôtres, ce qui est particulièrement emblématique de la décennie des nineties. Ensuite parce que son petit côté transgressif bon enfant (on se drogue pour s’en sortir, mais les conséquences de la drogue ne sont pas dramatiques) également solidement ancré dans sa période.
La blonde prude qui se révèle être pas prude du tout, une trope qu’on retrouve dans environ 14561 films de l’époque.
Quand on parle de génération MTV, on parle de ça. Une jeunesse emblématisée par les bandes et les cliques lycéennes, qui veut faire la fête et baiser la cheerleader. Car le point de vue adopté est frontalement et foncièrement masculin dans la majorité des films « pour ados » de l’époque ; si la sexualité de la jeunesse devient un vrai sujet sans tabou à travers les films de cette génération (nous sommes un an avant American Pie), force est de constater qu’elle demeure extrêmement codifiée et rétrograde. Les personnages féminins sont avant tout, et ce même s’ils sont parfois bien écrits et intéressants, des trophées à obtenir ou du moins à convoiter pour les héros masculins et par extension le spectateur (voir ici la relation entre le petit dealer et sa prof de français, ou encore la transformation inexplicable d’Elijah Wood dans la dernière scène du film).
Si ces éléments de The Faculty sont moins amusants à revisionner aujourd’hui, ils demeurent un témoignage fascinant de ce qu’a été la vision de la sexualité dans la culture populaire des années 90. On nous a fait croire à une libération des moeurs en montrant des nichons et des jeunes qui aiment le cul, mais on est en vérité dans un héritage direct du conservatisme des années 80 (la source de tous les maux). On voit par exemple comment le lesbianisme est utilisée comme une insulte ET une protection mystique contre les emmerdes… On est loin de l’intelligence féministe du sous-texte de Scream qui transgresse l’image même de la pénétration masculine pour célébrer son héroïne. Ou de celui de Buffy contre les vampires, qui était diffusé à la télé à la même époque et dont une partie du casting a dû refuser le film de Robert Rodriguez pour lui préférer la série de Joss Whedon.
Malgré cela, il est difficile de ne pas prendre un certain plaisir à revoir The Faculty. La mise en scène de Robert Rodriguez, souvent très inspirée (j’en ai des sueurs froides rien qu’à écrire ces mots en 2023) arrive tout à fait à rendre la manière totalement exacerbée et extrême qu’on a de voir le monde quand on est adolescent. L’uniformisation imposée par les parasites qui s’installent dans les corps humains a souvent été interprété dans les œuvres de Body Snatchers comme une métaphore du communisme, mais c’est au contraire ici une rébellion de la jeunesse contre l’ordre établi par la culture américaine. Là où les plus âgés veulent d’un pays uniforme et bien sage, la génération MTV veut pouvoir mettre des jeans à trous, quitter l’équipe de foot et fabriquer des robots dans sa chambre de nerd. C’est léger, c’est mignon. Mais quand en plus un des grands méchants du film est joué admirablement par ce cher T-1000 Robert Patrick, on ne va pas bouder son plaisir : même en 2023, The Faculty est un bon kiff.
The Faculty, un film de Robert Rodriguez écrit par Kevin Williamson. Sorti en 1998 et disponible sur Ciné +