Après un grand détour vers le théâtre avec la mise en scène de trois pièces, Le Ciel de Nantes (dont il est aussi l’auteur), Les Troyens et Le côté de Guermantes suivi d’un film méta Guermantes en 2021, Christophe Honoré revient au cinéma « pur » avec un grand mélodrame, Le Lycéen. Il y retrouve Vincent Lacoste, y accueille Juliette Binoche et le jeune talent Paul Kircher pour réaliser une histoire presque autobiographique qui suit le parcours d’un adolescent et de sa famille, après le décès brutal du père (joué par le réalisateur lui-même). Christophe Honoré s’est souvent illustré pour sa capacité à employer des genres qu’on pourrait qualifier de radicaux avec la comédie musicale ou le huis-clos de couple et, aujourd’hui, il penche vers Plaire, aimer et courir vite en poursuivant une veine très mélodramatique, ici en hommage à tout un pan du vieux cinéma français comme son esthétique rétro le souligne. L’exercice passionnant et déchirant est réussi, et le film brille d’autant plus dans sa peinture pertinente et même violente de l’adolescence.
En effet, il est difficile de ne pas penser à L’attrape-cœur, le roman culte de J.D Salinger, devant ce jeune personnage, Lucas, qui, par le truchement d’une voix-off ou de confessions directement face caméra, nous dévoile toutes ses pensées douloureuses, immatures parfois, si tristement adultes souvent et surtout presque incohérentes. Dans le roman à la première personne, le protagoniste se définit malgré lui par son caractère fragile, excessif et toujours déçu. Le Lycéen reprend ce même parcours d’un adolescent qui essaie d’être grand, à qui on impose même d’être adulte (surtout après la mort de son père car il a l’impression d’être responsable du bien-être de sa mère pour compenser l’absence de son grand frère) mais qui est constamment frustré et désabusé. Le film parle du deuil, évidemment, mais aussi du fait de grandir. Il en découle presque un propos social assez fascinant sur la différence si drastique en France entre tout ce que les Parisiens considèrent être la campagne et Paris, sorte de lieu saint de la civilisation et de la maturité. Lucas, après sa perte, part vivre deux semaines chez son grand frère Quentin pour prendre l’air. Proche des personnages « qui montent à Paris » à la Balzac ou à L’éducation sentimentale de Flaubert, le film brosse le portrait déceptif d’une ville fantasmée qui pousse au vice, qui offre toutes les libertés mais qui par là-même représente un danger d’autodestruction. Dans ce film, Paris métaphorise presque la déception de l’âge adulte, un temps promis qui ne répond pas à tous les espoirs – surtout au travers du frère artiste et de son colocataire, tous les deux en peine pour vivre de leurs œuvres. La façon dont Christophe Honoré filme Paris est très différente de celle à laquelle on est habitué. Ce sont les petits bars à la bière pas chère, la pluie, les sous-sols de gare et les métiers compliqués pour arrondir les fins de mois qui symbolisent la capitale. Christophe Honoré crée et déconstruit le Parisian dream et parvient à déceler une véritable grâce dans un Paris plus petit où la douceur émerge de lieux loin du tourisme, plus proches de la tendresse.
Le film de Christophe Honoré atteint son acmé dans son troisième acte où – sans en spoiler les raisons – la voix de l’adolescent qui nous plonge dans sa subjectivité et qui produit le rythme étrange et brillamment désordonné du film est soudainement réduite au silence. Ce mutisme libère la parole des adultes et avec elle la bienveillance, la sagesse, la compréhension et, sans répliquer, le jeune ne peut qu’écouter. Le film devient à cet instant comme l’inverse d’un coming of age pour se transformer en coming out of age, puisque ce n’est plus grandir qu’il faut apprendre mais justement rajeunir. Difficile de ne pas encore songer à L’attrape cœur dans le dernier mouvement du film où l’adolescence mène à des actes et pensées que personne ne devrait avoir à éprouver. Heureusement dans Le Lycéen l’issue est plus heureuse et douce.
Car comme tout bon drame, Le Lycéen ne s’empêtre pas dans la tristesse, les larmes et la souffrance. Au contraire, il est en quête de résilience, d’apprentissage et de futur. C’est une œuvre qui s’arrête au moment où les choses paraissent déjà plus belles, où tous les interprètes en état de grâce peuvent sourire de bon cœur. On pleure de joie comme on pleurait avant de malheur. Le Lycéen est le plus beau drame francophone de cette année 2022, un film social, intime, qui ne se complaît jamais là où il est, qui va vers l’avant comme ces personnages qui courent, tout en sachant la beauté et la force de l’immobilité.
Le Lycéen de Christophe Honoré, en salles le 30 novembre 2022.