Maximum Overdrive : dis camion ?

Nous continuons notre exploration du cinéma de genre horrifique en dehors des terrains battus, cette fois pour s’intéresser à la plus singulière des oeuvres de Stephen King portée sur le grand écran, puisque c’est lui-même qui l’a réalisé. Si vous ne saviez pas que le célèbre auteur américain était aussi passé derrière la caméra, sachez que c’est probablement parce que ça l’arrangerait que tout le monde l’oublie… Maximum Overdrive, qui raconte comment lorsque la terre se trouve dans la traînée d’une comète magique les machines se rebellent contre les humains, est un film très largement détesté.

Le mérite-t-il vraiment ? Est-ce que Maximum Overdrive ne serait pas un chef d’oeuvre mesestimé ? N’y a-t-il rien de plus intéressant que de s’arrêter sur ce qui est raté dans le film ? Dans l’ordre : Non, certainement pas, et évidemment.

Il est relativement facile de comprendre ce qui a pu désarçonner dans l’approche filmique de Stephen King sur ce projet ; le spectateur, la spectactrice lambda entre dans une salle de cinéma (ou qui n’y entre pas, petite blagounette d’actu sur la situation française t’as vu) avec des attentes. Et c’est bien normal, nous sommes guidés par de nombreux éléments qui colorent l’image découverte : un titre, une affiche… Un nom. Et c’est bien ce dernier point qui est important ici : Stephen King est une marque. Il suppose donc des attentes, qui si elles se retrouvent insatisfaites, impactent forcément la réception du film.

Et c’est bien là que Maximum Overdrive surprend, pour ne pas dire désarçonne. C’est une comédie. Impossible de ne pas le saisir dès la première scène, où un distributeur de billets se rebelle contre Stephen King lui-même, en l’insultant sur son écran d’une flopée de « Fuck you » totalement gratuits. La note d’intention est on ne peut plus claire : nous sommes ici pour tourner en dérision les récits et marottes de l’auteur. Ainsi on se retrouve encore dans un huis clos habité de personnages hauts en couleur tous plus différents les uns des autres, puisque les protagonistes sont petit à petit rassemblés au sein d’une station essence/diner, encerclés par une ronde de camions rebelles bien décidés à les enfermer ici jusqu’à ce que mort s’en suive. Histoire d’appuyer sur le côté grotesque, voire parodique, la mise en scène insiste énormément sur un camion en particulier qui est étrangement humanisé par un visage démoniaque trônant sur son pare-brises. Visage qui est d’ailleurs très proche de celui du Bouffon Vert, célèbre villain de Spider-Man, pour une raison très simple : il est pompé sur ce dernier de manière complètement assumée. L’intérêt du film vous l’aurez compris sera donc de montrer les machines se rebeller contre les humains, et d’imaginer des scènes de morts plutôt ludiques, encourageant même le public à se méfier de son propre électroménager ou de sa voiture.

Une belle tentative et pas toujours déplaisante donc. Là où le film échoue davantage, c’est dans cette nouvelle promesse humoristique, puisqu’il ne parvient pas toujours à trouver un équilibre juste entre la farce et les stéréotypes habituels de King, notamment dans l’écriture de personnages, tous plus archétypaux les uns que les autres.

Il faut aussi ajouter que son budget limité joue contre lui. Le film est produit par le célèbre Dino de Laurentiis, habitué à trouver des magouilles et arrangements pour rentrer dans ses frais – y a pas de petits profits. Malheureusement pour lui et son équipe, cela n’aura pas suffi à éviter le bide au box-office, ni les critiques assassines dans la presse. Cette dernière comprend par exemple l’intérêt du huis clos dans son aspect microcosme sociétal… Mais note que puisqu’on nous informe dans la diégèse de ce qui se passe dans le monde entier lors de cette crise des machines, on ne peut s’empêcher de penser que King a choisi l’endroit le plus chiant pour explorer ce concept un peu rigolo. Sûrement parce qu’il n’a pas réussi à dévier de la nouvelle qu’il adapte dans le budget alloué, publiée 13 ans avant le film en 1973 sous le titre Trucks, à l’époque où il n’était pas encore le Roi (humour anglais A2).

Le poster ici fait un peu publicité mensongère. Il ressemble plus aux séquences très gores qui auraient été coupées par la MPAA selon King.

C’est la troisième production De Laurentiis autour d’un projet Stephen King, après Firestarter et Cat’s Eyes. On apprend dans un article Slashfilm que c’est pour apprendre le business à sa nouvelle femme et future productrice de talent, Martha Schumachern, qu’il aurait acheté les droits de nombreux écrits de l’auteur américain pour développer ensemble des films. King a l’occasion d’écrire le script sur Cat’s Eyes, et demande aussi à De Laurentiis son accord pour réaliser le prochain : ainsi Maximum Overdrive est né.

Et si le résultat est loin d’être exceptionnel, le film mérite encore d’être vu pour de nombreuses raisons. L’une d’entre elles est évidemment la bande-son signée par le groupe AC/DC, ce qui retire définitivement tous les doutes qui pouvaient subsister quant à l’envie de King de signer une véritable histoire horrifique : les solos de guitare d’Angus Young sont quand même tout sauf terrifiants. Une autre serait la performance d’Emilio Estevez, seul rejeton de la famille Sheen à avoir conservé son nom d’origine, qui sortait tout juste du carton The Breakfast Club… Mais que King ne voulait pas prendre à la base, puisque lui souhaitait absolument donner le rôle à Bruce Springsteen. Pourquoi pas. Mais le plus fun, c’est d’essayer d’imaginer quelles séquences auraient pu être tournées par George A. Romero en secret.

En effet, une des raisons qui font que King désavoue le film aujourd’hui et en garde un mauvais souvenir, en plus du fait que le résultat ne soit pas dingue du tout, c’est qu’il en garde très peu de souvenirs tout court : il était soit sous coke en permanence, soit bourré dès le réveil selon d’autres sources. Totalement paranoïaque et angoissé à l’époque, il noyait ses troubles dans la consommation de drogue et dans son écriture frénétique ; il pouvait passer les matinées avant le tournage à taper des pages entières sur tout et n’importe quoi, absolument incapable de s’arrêter d’inventer. Ainsi on apprend en faisant quelques recherches que Romero, autre grand nom de l’horreur, était probablement présent lors du tournage et aurait servi de conseiller. Tandis que King cherchait à se faire soigner de son addiction à la cocaïne, Romero l’aurait remplacé selon certaines rumeurs… Mais même sans cela, tout semble montrer que King ne comprenait pas comment on réalise un film. Composer un plan, traduire une idée textuelle par un visuel, diriger des comédiens… L’auteur introverti n’était à l’aise que devant sa machine à écrire. Au point d’en être dangereux, puisque lors du tournage d’un plan avec une tondeuse à gazon, son non respect des règles de sécurité necessaires à une production professionnelle et le directeur de la photo a failli perdre un oeil.

Le résultat n’est donc pas fameux mais le film demeure fascinant, tant il ne ressemble à aucun autre. Et puis regarder le film à l’automne 2022, en pleine crise de l’essence, lui donne une saveur particulière.

Maximum Overdrive, un film de Stephen King réalisé en 1986 et disponible actuellement sur Ciné +

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