Nos Cérémonies est le premier long métrage d’un jeune cinéaste. Pourtant, Simon Rieth est loin d’être un inconnu pour la rédaction de Cinématraque. Nous avions déjà eu l’occasion de voir son travail et de discuter avec lui en 2018 au Festival Premier Plan d’Angers où il venait présenter son deuxième court-métrage Saint Jean. Nous avions été impressionnés par son univers et sa maîtrise, mais surtout nous nous étions trouvés un intérêt commun pour la musique rap. Si nous sommes restés en contact grâce au célèbre réseau social de Jesse Eisenberg nous n’avions pas eu l’occasion de se revoir depuis. La sélection de Nos Cérémonies à la Semaine de la Critique cette année, nous a donc donné un prétexte pour discuter un peu au bord de la méditerranée sur la plage du festival. La météo hivernale et capricieuse angevine n’était qu’un lointain souvenir.
D’où viens-tu, Simon Rieth ?
Je suis né à Paris, j’ai grandi un peu en région parisienne et puis j’ai passé mon adolescence à Montpellier. J’ai grandi là-bas et puis je suis revenu à Paris pour faire des études de cinéma après une classe prépa littéraire, avec option cinéma, puis un master pro à la Fac à Paris 1. Mais en gros, toute ma vie était déjà centrée sur le cinéma. J’ai réalisé des courts métrages depuis que je suis enfant, je filmais mon frère, ma famille, puis j’ai commencé à réaliser des films avec mes amis. Puis les films en stop motion dans ma chambre, en pâte à modeler ou Lego, jusqu’à mon premier film autoproduit qui s’appelait Feu mes frères. C’est un film qu’on a fait grâce à l’argent du CROUS, des universités et une association qu’on avait fondée avec des amis. Le film a été sélectionné dans des festivals, ce qui m’a permis de rencontrer ma productrice. J’ai pu ensuite faire des courts métrages un peu plus produits. J’ai fait beaucoup de courts métrages, souvent autoproduits, sauf un où il y avait un peu d’argent. En fait, si j’ai grandi à Montpellier, que j’ai passé 10 ans là-bas, je ne suis pas non plus un vrai sudiste, car je ne suis pas né là-bas. Vu que j’étais à Montpellier, j’ai fait tous mes courts métrages là-bas. C’est des paysages que j’adorais et du coup tous mes courts métrages je les imaginais dans ces endroits que je connaissais, dans la nature, tous mes souvenirs. Avec Nos Cérémonies, on a tourné à Royan, c’est là où je passais tous mes étés de ma vie, de ma naissance à mes 20 ans, avec mon petit frère, chez ma grand-mère. J’ai écrit le film pour tous ces lieux. Et puis j’aime ces paysages grandioses, cette nature un peu sèche, un peu brute. Cela raconte un peu les personnages, ces paysages immenses racontent un peu les histoires de ces personnages, j’ai l’impression que cela les élèves. Cela fait, maintenant, plusieurs années que j’habite Paris, donc peut-être que j’aurais un jour envie de filmer cette ville. Mais aujourd’hui, ce qui m’intéresse, c’est de revenir sur tous les moments importants de mon adolescence.
Tu évoques la nature, et il y a quelque chose qui me frappe à chaque fois, sur tes courts métrages et ton premier long : l’importance des quatre éléments.
Oui, par exemple avec Nos Cérémonies on avait le désir de faire une tragédie, un récit mythologique de ces deux frères. Pour moi, cela est forcément relié par des forces qui nous dépassent, qui traversent le temps : c’est-à-dire la nature. Dans Nos Cérémonies, l’eau, par exemple, c’est un truc qui raconte les émotions des personnages. Ce qui est beau dans la nature, dans la terre, dans les arbres, c’est comment la petite histoire raconte la grande histoire du monde, des éléments. J’ai l’impression que cela donne une trajectoire immense à mes deux héros quand on les met au cœur des éléments. La mer, les arbres qui bougent ou le vent. J’essaie toujours d’amener ça. Le vent est un guide, ce qui me plaît, c’est de voir mes personnages guidés par les éléments. Dans Sans Amour par exemple, il y a les éoliennes qui tournent, c’est un film sur la rotation, sur le cercle. La voiture qui fait le tour, qui tourne dans le vide. Les éoliennes qui tournent et leur histoire à eux qui stagnent, qui n’arrive pas à avancer. Et puis ils sortent du champ d’éoliennes. C’est une sortie de route, lorsqu’il y a l’événement de l’attaque. Les éoliennes arrêtent de tourner, elles sont en feu. Tous les décors racontent les personnages.
Le feu justement, on le retrouve aussi bien dans le titre de ton premier court métrage qu’à travers le rôle du soleil dans Nos Cérémonies. Tu l’utilises, aussi, pour triturer les images qui sont autant de visions psychédéliques. As-tu un rapport particulier au psychédélisme ?
Par exemple, dans Feu mes frères, il y a cette idée d’aridité, ce soleil ultra dur, la canicule. C’était ce que je voulais retransmettre. Pour moi, le soleil, il le regarde et il brûle, c’est une manière de montrer, à la fin, le monstre. Le truc qui est en train de naître, avec ces cornes. De fait, c’est un truc qui n’était pas fait pour avoir des effets spéciaux incroyables. Il est juste tout coloré et il bouge, je voulais un truc un peu naïf, du dessin enfantin, provenant du plus profond de l’enfance. Dans Nos Cérémonies, ces effets viennent, c’est sûr, de Feu mes frères, de mes expérimentations formelles de mes courts métrages que j’ai voulu pousser encore plus. Cela révèle quelque chose. Pareil dans Nos Cérémonies.
Le feu justement, on le retrouve aussi bien dans le titre de ton premier court métrage qu’à travers le rôle du soleil dans Nos Cérémonies. Tu l’utilises, aussi, pour triturer les images qui sont autant de visions psychédéliques. As-tu un rapport particulier au psychédélisme ?
Par exemple, dans Feu mes frères, il y a cette idée d’aridité, ce soleil ultra dur, la canicule. C’était ce que je voulais retransmettre. Pour moi, le soleil, il le regarde et il brûle, c’est une manière de montrer, à la fin, le monstre. Le truc qui est en train de naître, avec ces cornes. De fait, c’est un truc qui n’était pas fait pour avoir des effets spéciaux incroyables. Il est juste tout coloré et il bouge, je voulais un truc un peu naïf, du dessin enfantin, provenant du plus profond de l’enfance. Dans Nos Cérémonies, ces effets viennent, c’est sûr, de Feu mes frères, de mes expérimentations formelles de mes courts métrages que j’ai souhaité pousser encore plus. Cela révèle quelque chose. Pareil dans Nos Cérémonies, Tony il regarde quelque chose au loin, il se retourne et soudain il s’est révélé. Ce truc, je l’ai appelé l’aura. Ce truc qui se dégage de lui, qui imperceptible qui se révèle parfois. Alors psychédélisme, je n’y avais pas pensé. L’idée, c’était surtout de faire des effets spéciaux, un travail formel qui seraient différent de ce qu’on voit d’habitude. Faire un truc de la sensation. Je n’ai pas pensé au psychédélisme, bien que je voie ce que tu veux dire. Je n’ai pas forcément de rapport personnel au psychédélisme.
Quand on s’est rencontrés pour la première fois lors de la présentation de ton second court métrage, Saint-Jean, au Festival d’Angers en 2017, j’ai trouvé que tu avais un rapport singulier à la couleur. Dans chacun de tes courts métrages et également dans ton long premier, la couleur a une place particulière. Peux-tu nous parler de ton rapport à la couleur ?
C’est intéressant que tu dises ça, car au début quand j’ai commencé à parler avec la chef opératrice, Marine (Nos Cérémonies) : je lui disais que je ne voulais pas faire un truc de films français. Dans ma tête, je souhaitais faire un truc différent, j’avais l’impression de ne voir que des films gris. Au contraire, même si l’histoire est sombre, je recherchais l’éclat. Du coup, cela passe beaucoup par le choix des couleurs, dans les vêtements, les costumes et même dans toutes les lumières. Je voulais que les curseurs soient très haut. Je trouve qu’il y a une chose très peureux dans le cinéma à ce niveau-là, moi je désirais quelque chose de généreux. Et puis, aussi, je suis daltonien, donc du coup, je pense que ça, c’est lié.
Dans Saint-Jean, qui est centré sur deux fans de Jul, jusqu’à Nos Cérémonies où tu utilises Kalash Criminel ou Vald, tu sembles avoir un rapport particulier à la musique rap.
J’aime beaucoup Jul, et quand j’ai commencé à préparer le projet, même après que le film soit terminé, tout le monde pensait que c’était une blague. Moi, je disais « mais il n’y a aucune blague ». Les gens, cela les fait marrer parce qu’ils le voient comme un mec un peu con qui fait de la musique. Alors qu’en vrai le gars à une communauté, mais les choses ont évolué aujourd’hui, il est plus respecté. Mais à l’époque, il y avait un truc de blague, alors que pour moi, c’était ultrapremier degré. C’est-à-dire que c’est un mec qui a des fans de ouf, moi j’aime beaucoup, je ne suis pas « fan » comme eux, mais il y avait quelque chose d’ultracondescendant. Alors que moi je retrouve chez Jul quelque chose qu’on avait chez Kurt Cobain. Un truc d’ados totalement fous qui s’identifient, et qui le voient un peu comme un dieu. Et puis le rap, c’est une musique que j’écoute tout le temps, que j’adore. J’ai fait un clip de rap l’année dernière. Tous les morceaux que je mets dans mes films, c’est des morceaux que j’adore. Et aussi dans Feu mes frères, il y a un moment où un des personnages rape. C’est aussi parce que j’aime que mes personnages s’expriment à travers la création : la musique, la poésie, ou même le sport dans Nos Cérémonies. C’est aussi lié à la jeunesse. Dans la scène de la soirée, avec Kalash Criminel et Vald, c’est très intense. En même temps, je voulais un mouvement de caméra très lent. Je voulais aussi arrêter de montrer les soirées comme on les voit au cinéma. C’est-à-dire au cinéma, tu vois des soirées, personne n’a vécu ce genre de soirée dans sa vie : tu as des néons partout, toujours la même musique électro. Moi, je n’ai jamais vécu ce genre de soirée. Moi, mes soirées, bah il y a du rap qui passe, les mecs sont torses nus. Alors, je l’exagère un peu dans le film, pour y exprimer un truc de brutalité.
Tu as parlé de ton frère, la famille est importante pour toi, et dans Nos Cérémonies tu filmes une relation fraternelle étrange, un peu incestueuse.
Il y a ça, mais c’est en retrait, ce n’est pas quelque chose que je veux mettre en avant. On est un peu obligé de penser à ça, qui commence dès l’enfance, qui est un secret. Mais je ne voulais pas que cela soit central, cela peut évoquer plein de choses. Après j’ai un frère avec qui je suis méga proche, on a un an de différence, mais on est extrêmement différent, même si on a un rapport très fusionnel. Mon frère a joué dans mes précédents films, il n’est pas dans celui-là, car le film est sur ça. Pour nous. Alors forcément, le film a un côté très personnel. Je ne le pensais pas au début, mais finalement j’ai pris deux vrais frères pour les acteurs principaux et deux vrais frères pour les enfants. Je voulais vraiment parler de cet amour, et j’avais l’impression que là je n’arriverai pas à mentir. Faire semblant, à créer une fausse complicité. Alors que là, il y avait un amour évident, extrêmement fort, et plus l’amour est fort, plus il est dangereux.
Et il y a aussi ton rapport à la mort, bien que tu sois très jeune.
Il y a plusieurs choses. Ce qui m’intéresse surtout, ce sont les souvenirs : parler des souvenirs, comment grandir avec les souvenirs et dans les souvenirs, y a toujours le traumatisme. Les souvenirs qui grandissent et deviennent monstrueux quand on est grandis. Et forcément, le pire des souvenirs, celui qui est absent de tous mes films de famille, bah, c’est la mort. Puisque je filme des jeunes, une jeunesse, c’est là où la mort n’a pas de place. Ils sont plus que vivants, dans la jeunesse a cet âge-là, y a un truc de vie à 100%, un élan. Et mettre la mort au milieu, il y a un truc terrible et tellement fragile. Et cela m’intéresse. Pour la mort en soi… je réfléchis… il y a des trucs personnels… (il est troublé). Pour Nos Cérémonies, ce n’est pas un film sur la mort, quand tu filmes la mort, tu filmes la vie. Tu filmes un moment de vie de cette jeunesse, et du coup tous ces jeunes qui sont dans le film qui sont en train de vivre et déjà en train de vieillir au moment où tu les filmes. Sur les souvenirs que crée le cinéma et que le cinéma est forcément lié à la mort. Mais après je n’ai pas de crainte particulière face à la mort.
Nos Cérémonies de Simon Rieth avec Raymond Baur, Simon Baur et Maïra Villena