Un petit frère : Une famille française

L’édition 2017 du Festival de Cannes avait consacré par la Caméra d’or le premier long-métrage français Jeune Femme, porté par la folle énergie de son actrice Laetitia Dosch, qui entrait avec fracas dans nos cœurs de cinéphiles. Sa réalisatrice, Léonor Serraille, prenait quand à elle rendez-vous avec l’avenir, et ce fut chose faite cinq ans plus tard pour son deuxième film, Un petit frère, qui fait directement son entrée en compétition, ayant la lourde tâche de clore une compétition qui se sera réveillée au cours de ses derniers jours, mais qui aura eu du mal à emballer dans l’ensemble les festivaliers.

A l’origine d’Un petit frère, il y a de souvenirs d’enfance. Pas ceux de la réalisatrice, mais ceux de son compagnon, fils d’une immigrée ivoirienne arrivée en France dans les années 80. Dans le film, la figure maternelle devient celle de Rose (Annabelle Lengronne), qui de petits boulots en petits boulots fait la connaissance d’hommes qui entrent et sortent de sa vie. Portée par un farouche désir d’indépendance qui la fait refuser le mariage de raison avec Jules César (Jean-Christophe Folly), Rose veut élever ses deux enfants Jean et Ernest à sa manière. On suit alors l’histoire de ce trio fusionnel sur presque trois décennies, entre Paris et la Normandie, pour voir les deux enfants grandir et essayer de s’intégrer à leurs nouvelles vies et le pays qui les a accueilli.

Si Un petit frère questionne en profondeur la question du déracinement et de l’intégration, elle ne le traite pas comme un grand sujet sociétal qui traverse la France dépeinte à l’écran. Léonor Serraille prend ici le parti de faire de son film une épopée intime, essentiellement centrée sur le foyer familial. Le parti pris déroute mais séduit dans un premier temps sur le premier des trois actes du film, consacré à Rose. Portée par une Annabelle Lengronne brillante dans la peau de cette frondeuse éprise de liberté (sa performance rebattra sans doute les cartes pour l’attribution du Prix d’interprétation féminine), Un petit frère commence sur un le portrait d’un vrai personnage de cinéma, plein de fougue et de tendresse, qui constitue le cœur du film et son acte le plus accompli.

Les deux parties suivantes, consacrées tour à tour au fils aîné puis au benjamin de la fratrie, ne parviennent cependant pas à maintenir la cadence des quarante premières minutes de film. Malgré l’énergie de Stéphane Bak et la tranquillité sereine d’Ahmed Sylla, Un petit frère commence à s’éparpiller, la multiplication des points de vue faisant que l’on perd de vue le personnage le plus intéressant du film au profit des deux enfants, dont les trajectoires trop écrites finissent même par sonner faux à l’écran. La cassure nette qui s’opère au milieu du second acte, trop brutalement amenée et trop peu développée, fait dérailler l’ensemble, au point que l’on en vienne à regretter le choix d’une telle structure narrative.

Il y a indéniablement des moments de cinéma qui fonctionnent dans Un petit frère, mais l’ensemble s’étiole tellement qu’il débouche sur un dernier quart d’heure raté, censé confronter les deux visions de l’intégration que sont censées incarner les deux générations qu’elles impliquent, mais qui finit par faire plouf par trop de schématisme. C’est parce qu’il réussit remarquablement à faire exister et respirer un personnage fort dans son premier temps qu’on ressort d’Un petit frère frustré que Léonor Serraille n’ait pas réussi à en faire de même pour les deux suivants. Film plein de cœur mais plein de failles, Un petit frère s’impose comme un rendez-vous manqué, une aventure humaine qui finit par caler sur les rails de son propre scénario. Tellement tiraillé de vouloir tant dire, Un petit frère embrasse trop et étreint mal.

Un petit frère de Léonor Serraille avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Jean-Christophe Folly, date de sortie en salles encore inconnue

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