Showing Up : Tumulte sous vernis sage

Les réalisatrices se sont faites rares au cours de cette 75ème édition du Festival de Cannes, ce dernier ayant eu l’idée étrange de placer la moitié des sélectionnées lors de la dernière journée de compétition, désertée par une partie non négligeable des critiques déjà sur le chemin du retour. Première des deux cinéastes mises à l’honneur ce vendredi, Kelly Reichardt n’est pas une inconnue de la Croisette, elle qui était déjà venue défendre en 2008 Old Joy à Un Certain Regard. Mais celle dont l’œuvre a au fil des ans développé une cohorte de fans cinéphiles fidèles n’était encore jusqu’à cette semaine pas identifié comme un nom cannois, elle dont le cinéma profondément ancré dans l’Amérique profonde a mis du temps à traverser l’Atlantique. L’erreur est aujourd’hui réparée, d’autant plus que la présentation de Showing Up sur la Croisette cette année s’accompagne aussi de la récompense honorifique du Carrosse d’Or de la Quinzaine des Réalisateurs.

Particulièrement fidèle à l’état de l’Oregon au nord-ouest des Etats-Unis où se déroulent la quasi-totalité de ses films (à l’exception d’une petite excursion dans le Montana des Grandes Plaines pour Certaines femmes), la Floridienne de naissance y plante à nouveau le décor de son huitième long-métrage, Showing Up. Associée au très branché distributeur A24, toujours dans le coin quand il s’agit de titiller le Film Twitter, Reichardt reste cela dit dans un sillon très conservateur de son cinéma en s’entourant de quelques-uns de ses plus importants collaborateurs de longue date : l’écrivain Jon Raymond au (co-)scénario, le chef opérateur Christopher Blauvelt à l’image, et surtout l’actrice Michelle Williams dans le rôle-titre, dont c’est la quatrième apparition devant la caméra de Kelly Reichardt.

Showing Up change cependant de décor, délaissant l’Oregon rural pour s’installer dans la grande ville Portland, capitale américaine des hipsters et artistes en sarouel. Ça tombe bien puisque Michelle Williams en incarne une à l’écran : sculptrice en préparation de sa nouvelle exposition dans une galerie de la ville, Lizzie doit gérer le chaos qui s’immisce aussi bien dans son art que dans sa vie personnelle, entre une voisine envahissante également artiste (Hong Chau, toujours impeccable dès qu’il s’agit d’incarner des personnages subtilement agaçants comme dans Downsizing ou la série Watchmen), des parents (Maryann Plunkett et l’immense Judd Hirsch) qui s’ignorent depuis leur séparation et un frère (James LeGros) dont la santé mentale inquiète sa sœur.

Des mots sur les émaux

Et pourtant Showing Up ne parle essentiellement pas de ça. Le film de Kelly Reichardt se résume principalement à un instantané du quotidien de Lizzie et ses petits problèmes : sa chaudière en panne, son chat roux qui n’en fait qu’à sa tête, et surtout ce pigeon blessé qui atterrit chez lui et auquel elle va étrangement s’attacher. Le film de Kelly Reichardt est un petit précis de minimalisme narratif : il s’y déroule quantité de choses absolument insignifiantes, même pour une cinéaste qui n’a jamais été reconnue pour son sens de la bravade. A la manière d’un peintre pointilliste, Kelly Reichardt orchestre une forme d’effet papillon anti-spectaculaire au possible, où l’arrivée d’un minuscule grain de sable confronte immédiatement l’artiste aux affres de la création.

Showing Up est un film à infusion très lente, dont le rythme s’écoule comme un ruisseau calme, qui plongera dans un ennui profond ceux qu’un tel cinéma de l’épure rebute. Vient cependant un moment où le spectateur, bercé par le courant, se laisse emporter par ce film de pure matière, où même les silences deviennent presque palpables. Filmant l’art comme une forme d’obsession contemplative et paralysante, Kelly Reichardt fait de son Showing Up un grand théâtre du rien, dont se dégage une forme de majesté sereine lors de son épilogue. Embrassant le grand sentiment (la mesquinerie, la jalousie, l’envie), le film demeure tout en suggestion, portant avec lui un message simple mais toujours important à rappeler : dans l’art comme dans la vie en général, c’est parfois un grand effort que de simplement « être là », comme le suggère le titre Showing Up.

S’avançant dans une torpeur routinière avec une pointe d’acidité, Showing Up livre en pâture son spectateur au beau milieu du territoire intime de son héroïne, le poussant à se l’approprier à son tour. On ne sait même pas à quel moment s’opère la bascule, mais toujours est-il que le film parvient avec une grâce certaine à nous y entraîner. Faut-il y trouver une forme d’autobiographie, de confession de la part de la cinéaste, où une réflexion sur le milieu de l’art et la vanité qui le hante ? A vrai dire on n’en sait foutre rien, et ce n’est guère l’important. En dépouillant encore un peu plus son cinéma, Kelly Reichardt vise à dépeindre quelque chose de plus ineffable mais de plus universel. D’Armageddon Time à Nostalgia en passant par La femme de Tchaïkovski ou Les Amandiers, nombreux auront été les films à essayer de faire la radiographie de leur protagoniste, artiste ou non, dans ce festival. Et peu d’entre eux auront autant réussi à l’accomplir que Showing Up.

Showing Up de Kelly Reichardt avec Michelle Williams, Hong Chau, Judd Hirsch…, date de sortie en salles encore inconnue

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