L’été de ses 14 ans Bastien débarque dans la vie champêtre de Chloé, de deux ans son aînée. Il est français, elle est québécoise. Au bord d’un lac, une véritable alchimie va naître entre eux. Si ce mince fil conducteur rappelle Une sœur de Bastien Vives, on est très étonné que le bouquin serve d’argument à la promotion du premier long métrage de Charlotte Le Bon. Car à vrai dire avec Falcon Lake nous sommes très loin de l’univers mascu de l’artiste français. Si l’on met à part ses positions antiféministes et l’agressivité dont il a pu faire preuve contre d’autres autrices de son art, Bastien Vives est surtout connu pour son boulot sur les fantasmes masculins, les siens, parfois borderline. Charlotte Le Bon avec intelligence, tourne le dos au travail du bédéiste pour s’approprier totalement l’histoire originale et en faire un récit plus que personnel.
Si on entre dans le monde de Chloé à travers l’arrivée de Bastien dans cette lointaine forêt québécoise, c’est bien la jeune fille qui est le centre de l’attention de la cinéaste. Si elle partage avec le garçon la découverte de sa sensualité, de la sexualité et la naissance de ses sentiments, Charlotte Le Bon propose d’étoffer le coming of age à l’aide d’une ambiance sombre et ésotérique. Bien obligés de placer Bastien quelque part dans la maison, les adultes lui suggèrent de dormir dans la chambre de Chloé qui n’a toujours pas pointé le bout de son nez. Il faut attendre la nuit pour que la gamine apparaisse enfin. La première image de Chloé, elle se fait à la lumière de la pleine lune surgissant en ombre chinoise au pied du lit de Bastien. De la jeune fille, le garçon et le spectateur ne distinguent que la silhouette féline et sa longue chevelure mouillée. La sorcière comme l’appelle sa mère va dès lors fasciner le gosse qui va chercher à comprendre le monde, fait de fantômes, dans lequel elle vit.
Si Charlotte Le Bon a voulu utiliser le 16 mm, c’est pour s’imposer une rigueur de tournage. Elle souhaitait réduire autant le temps de travail qu’être exigeante quant à ce qui a ce qui allait se retrouver imprimé sur la pellicule. Un choix payant qui magnifie les paysages forestiers et la poésie du lac, élément central de l’histoire. Cela donne à cette première œuvre le charme d’une chanson folk et rend palpable la nostalgie qu’implique ce regard en arrière sur la tendre jeunesse de la cinéaste. Il est en effet très dur de ne pas voir dans l’excentricité de la gamine un portrait d’une Charlotte Le Bon adolescente, prisonnière de ses névroses et douleurs tout en étant intéressée par la découverte des garçons. Si le personnage a pris conscience de ses atouts de séduction, elle apprend avec ce petit couillon de Bastien ce qui la touche profondément chez l’autre. Les « grands » auront beau faire les intéressants pour la conquérir, c’est bien le naturel plein de maladresse de Bastien qui va emporter son cœur. La fraîcheur des dialogues et la candeur remplie de sensualité qui se dégage de certaines scènes nous font comprendre qu’avec Falcon Lake une cinéaste est en train de naître. La très belle fin, très habile, finit par nous y convaincre. Si à l’instar de Virginie Efira on ne limitait plus la Québécoise à ses premiers pas à la télévision, il n’était pas assuré qu’elle puisse réussir l’essai dès son premier long-métrage (ses courts sont très bien, ndlr). Il faut croire qu’en travaillant avec des réalisateurs aussi talentueux que divers, tel Michel Gondry et Robert Zemeckis ou reconnus comme Lasse Hallstrom, elle a pu retenir quelques très bons conseils. On lui souhaite, en tout cas, de continuer dans cette voie.
Falcon Lake de Charlotte Le Bon avec Joseph Engel, Sarah Montpetit, Monia Chokri, Arthur Igual, Karine Gonthier-Hyndman, Thomas Laperrière, Anthony Therrien, Pierre-Luc Lafontaine et Jeff Roop