C’était la belle histoire de l’annonce de la Compétition officielle : à 76 ans, Claire Denis faisait son grand retour à Cannes dans la sélection principale, trente-cinq ans après y être apparue pour la dernière fois avec la présentation de Chocolat, son tout premier long-métrage. Invitée régulière du festival, notamment en 2017 à la Quinzaine des réalisateurs avec Un beau soleil intérieur, la cinéaste récidive cette fois-ci en langue anglaise, quatre ans après avoir envoyé Robert Pattinson dans l’espace avec High Life. Longtemps pressenti pour être à nouveau à la tête du casting de ce Stars at Noon, l’acteur s’était finalement désisté pour des soucis d’emploi du temps, le rôle transitant par Taron Egerton avant de finalement échoir à Joe Alwyn, remarqué notamment dans le fantastique Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee.
Stars at Noon est l’adaptation d’un roman Des étoiles à midi de Denis Johnson, qui racontait l’histoire d’amour naissante entre un businessman anglais et une journaliste américaine essayant chacun de fuir le Nicaragua en pleine révolution sandiniste. Les personnages sont restés, Margaret Qualley (The Leftovers, Once upon a Time in Hollywood) incarnant la journaliste, mais la cinéaste décide (avec l’aide notamment de Léa Mysius à l’adaptation) de transposer l’action dans le Nicaragua contemporain aux mains de l’héritier du mouvement sandiniste Daniel Ortega, à la tête d’un régime autoritaire en conflit régulier avec les Etats-Unis. Nous voilà donc transporté dans les années 2020, en pleine période COVID, Stars at Noon étant d’ailleurs le premier film de la compétition à intégrer pleinement un monde contemporain fait de masques, de tests PCR et de certificats de vaccination COVID. Une manière de rappeler la petite bulle cannoise et le monde du cinéma à la réalité des deux dernières années, toujours aussi curieusement écartée des écrans.
Pour le reste Stars at Noon reprend les prémisses du roman de Denis Johnson : Trish et Daniel sont jeunes, beaux, ils sentent bon le sable chaud, ils passent leur temps à boire et faire l’amour en attendant de trouver une porte de sortie d’un pays de plus en plus dangereux pour eux : pour elle de par un article critique envers le gouvernement nicaraguayen, pour lui de par ses activités industrielles nébuleuses pour une compagnie pétrolière. On le fera cependant court : l’intrigue de Stars at Noon n’a aucun intérêt, notamment parce que Claire Denis ne lui en accorde quasiment aucun. Ce qui fascine la réalisatrice, c’est la dynamique d’amour, de désir et de crainte qui se crée autour des deux tourtereaux, qui semblent constamment errer dans un purgatoire à ciel ouvert, au cœur d’un étau qui se referme toujours plus sur eux.
Il se dégage de Stars at Noon la sensation d’un flottement, la petite musique lancinante d’un film qui semble faire du surplace permanent, toujours quelque part un peu à côté de ce qu’il devrait être. Enveloppé dans des nappes de jazz entêtant composées par les Tindersticks, toujours au rendez-vous du cinéma de Claire Denis depuis de nombreuses années (le titre phare de la bande son composée pour le film est une petite douceur mielleuse pour les tympans d’ailleurs), ce long-métrage moite et poisseux avance sur un faux rythme en permanence. Pour les critiques amassés en salle Debussy lessivés par le rythme des projections depuis plus d’une semaine, l’expérience d’accueillir Stars at Noon l’antépénultième jour de la compétition à 22h30 fut à coup sûr un moment particulier, comme une sorte d’exutoire ouaté, à se demander si ce n’était pas en quelque sorte le moment, l’endroit, et la disposition mentale idéale pour accueillir une œuvre pareille.
Car l’expérience sensorielle proposée par Stars at Noon ne saurait faire oublier les trop nombreux défauts d’un film boiteux qui en a exaspéré plus d’un en salle de projection, quand il en a propulsé d’autres dans un sommeil bien mérité voire bien sonore. Excellente dans le rôle de cette journaliste complètement paumée mais bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les sandales (Claire Denis semble d’ailleurs la même fascination pour ses pieds nus que Tarantino dans OUATIH), Margaret Qualley tient le film sur ses épaules tandis qu’Alwyn, devant se débattre avec un rôle beaucoup plus falot pour ne pas dire tristement fadasse, a parfois plus de mal à exister.
Comme une sorte de croisement entre les thrillers érotiques de la fin des années 80 et les clips d’Indochine de la même époque, le film donne lieu à des scènes de sexe (beaucoup de scènes de sexe) sensuelles voire très drôles. Mais celles-ci ne sauraient faire oublier l’alchimie douteuse que le couple forme à l’écran, un problème quand le film repose à ce point dessus. Et si le charme hypnotique qui émane de Stars at Noon vous laisse de marbre, on se retrouve alors devant un interminable thriller au scénario anémique, assez finement mis en scène mais au propos tellement inconséquent qu’il laissera à sa porte ceux qui n’y seront pas réceptifs. La proposition de cinéma de Claire Denis, à double tranchant, ne restera en tout cas comme la plus mémorable de son autrice.
Stars at Noon de Claire Denis avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Danny Ramirez…, date de sortie en salles encore inconnue