Les Amandiers : Le théâtre et son double

1987 : Patrice Chéreau vient présenter au Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard Hôtel de France, adaptation francisée et contemporaine de la pièce Ce fou de Platonov, une œuvre de jeunesse de Tchekhov. Le casting est quasi intégralement composé des élèves qu’il forme dans les cours d’art dramatique du théâtre des Amandiers de Nanterre, qu’il dirige avec son ami Pierre Romans. Devant sa caméra, on assiste aux débuts cannois d’une génération entière d’acteurs, dont certains vont s’illustrer dans une longue et belle carrière : Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Thibault de Montalembert, Vincent Perez, Eva Ionesco… Et dans le rôle aux côtés de Laurent Grévill en Platonov, on retrouve une jeune débutante venu de la grande bourgeoisie industrielle italienne, une certaine Valeria Bruni-Tedeschi.

Trente-cinq ans plus tard, l’actrice revient à Cannes, cette fois en compétition officielle, pour évoquer par la fiction ses souvenirs de l’époque tumultueuse de sa promo des Amandiers, avec l’aide à l’écriture de Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy. Valeria, Agnès, Thibault, Laurent, Eva deviennent Stella, Juliette, Stéphane, Frank ou Adèle sous la direction du fantasque Chéreau, qui apparaît ici sous les traits de Louis Garrel tandis que Micha Lescot prend ici les traits de son comparse de toujours Romans. Apprendre à devenir acteur auprès d’une figure iconoclaste du théâtre français, découvrir l’Actors Studios chez Lee Strasberg à New York, mais aussi apprendre à devenir adulte à l’époque de l’émergence du SIDA… Les Amandiers s’avance comme un récit d’apprentissage collectif doublé d’une étude cinématographique sur le métier d’acteur, proposition qui trouvera toujours un écho très fort chez certains festivaliers et membres du jury.

Pour donner vie à son double à l’écran, l’actrice-réalisatrice fait appel à Nadia Tereskiewicz, l’une des jeunes actrices montantes de la nouvelle génération du cinéma français, révélée par le très bon Seules les bêtes de Dominik Moll et récemment vue dans le Babysitter de Monia Chokri. Jeune femme un peu nunuche et privilégiée, elle va s’éprendre du beau et mystérieux Etienne (le débutant Sofiane Bennacer), archétype du jeune acteur intense et du jeune homme problématique bourré de démons, l’alcool et la drogue en premier lieu. Le reste du casting alterne jeunes premiers et visages plus connus, qui ne brillent jamais autant que quand Les Amandiers auscultent les dynamiques de groupe entre ces acteurs à la fois amis et rivaux, qui doivent travailler ensemble pour des rôles qu’ils vont devoir se disputer.

Au fond, et c’est son postulat, Les Amandiers est un pur exercice de témoignage, malgré la distance de la fiction, avec ce que la démarche peut avoir d’un peu narcissique et vain. Réservé à ceux que les films sur les acteurs et leurs petits états d’âme ne rebutent pas, le film de Valeria Bruni-Tedeschi est un film à l’image de sa réalisatrice : un grand barnum excessif et chic, généreux et parfois un poil irritant. Pour une bonne trouvaille, le film s’égare parfois sur une sous-intrigue nettement moins inspirée. Quand on s’éprend d’un personnage (celui d’Adèle par exemple, allusion évidente à Eva Ionesco fiévreusement incarné par la révélation Claire Bretheau), il peut arriver que celui-ci disparaisse du champ pendant tout le reste du film. C’est un film d’amourettes, auquel on s’attache et se détache, sachant pleinement que l’aventure est inconséquente, mais pas au moins d’avoir envie de s’en détacher avant la fin.

Résolument français (à en croire les grommellements d’exaspération des voisins journalistes étrangers en projection presse) par sa sophistication littéraire, Les Amandiers reste néanmoins le théâtre de quelques moments très attachants : une séquence poignante sur Le Chanteur de Daniel Balavoine, la confirmation que Louis Garrel devrait beaucoup plus souvent choisir la voie de la vraie et pure comédie, les moments de pure terreur qui traverse le groupe quand vient peser sur le film la menace encore méconnue à l’époque du SIDA… Sans doute un peu poseur et affecté, le film n’est cependant pas la caricature qui en sera faite çà et là. Toujours est-il qu’en effet, il n’est pas dit que le film de la compétition qui parle en long et en large de Tchekhov en 2022 nous marquera autant que celui qui l’avait fait l’été dernier

Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi avec Nadia Tereskiewicz, Sofiane Bennacer, Louis Garrel…, en salles le 9 novembre

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