Series Mania : Rencontre avec l’équipe de Transport (Finlande)

Alors que le festival Series Mania touche presque à sa fin (un copieux papier bilan qui débriefera l’intégralité de cette édition 2022 arrive), nous avons pu au milieu des nombreuses projections, conférences professionnelles et tables rondes critiques, nous poser quelques minutes avec l’équipe d’une des séries les plus intrigantes de la compétition internationale : Transport. Un peu passé sous les radars des festivaliers, ce thriller financier nous vient d’une région plutôt bien habituée de la série de prestige, les pays nordiques, mais pas du pays auquel on s’attend. Voisin qui fait encore parfois figure de petit poucet des séries en comparaison des mastodontes scandinaves que sont la Suède, le Danemark et la Norvège, la Finlande a émergé ces dernières années dans le sillage d’un cinéma national ragaillardi par l’émergence de Juho Kuosmanen (l’allusion n’est pas anodine, vous allez comprendre) et son Grand Prix du Jury lors du dernier Cannes.

Pour parler de Transport, il faut avant tout parler d’un fait divers qui a fait la une des journaux en l’an de grâce 2013. Chez le voisin suédois, une petite start-up locale émergente du nom d’IKEA déchaînait la polémique à cause de ses fameuses boulettes de viande. Non contents d’y retrouver additifs et conservateurs en tous genres, certains consommateurs eurent la mauvaise surprise d’y retrouver quelque chose qui n’y avait absolument pas sa place. Non, pas un Nutriscore A, mais de la viande de cheval (on passera rapidement sur l’épisode des traces de caca dans les tartes au chocolat quelques mois plus tard). Si l’histoire des boulettes de cheval IKEA est resté dans les mémoires d’Internet, elle a inspiré quasiment dix ans plus tard une série sur un autre fait divers du même acabit, Transport, situé cette fois-ci en Suède.

Lorsque une assistante pédagogique retrouve dans un pot pour bébés la puce de traçage d’un animal, un engrenage s’enclenche autour de trois intrigues reliées à un mystérieux trafic de chevaux à travers l’Europe. Une journaliste en quête de vérité, une banquière associée malgré elle à des schémas financiers douteux, et la mère d’un inspecteur des douanes disparu sans laisser de traces : trois personnages vont chercher à défaire un système qui les dépasse et a prospéré au détriment des règles de santé les plus élémentaires pendant des années. Mais le mieux pour parler de Transport, c’est d’écouter ce qu’ont à en dire Auli Mantila, showrunneuse, réalisatrice et scénariste de la série et Jani-Petteri Passi, chef opérateur qui est également celui d’un certain… Juho Kuosmanen.

D’où est venu votre intérêt pour le sujet de la série? Vue du côté français, cette histoire nous rappelle forcément l’histoire des boulettes de viande contaminées en Suède, mais une situation du même genre est-elle survenue en Finlande?

Auli Mantila : Tout ce qui se déroule dans la série se fonde sur des événements qui se sont déjà produits, même si on a pris des libertés dans le déroulement des événements et les personnes concernées. Concernant le scandale de la viande de cheval de 2013, c’est évidemment présent en filigrane dans l’histoire. Moi-même je suis cavalière à titre personnel, ça a vraiment été l’élément déclencheur de cette histoire.

La série se structure en trois axes autour de trois personnages qui explorent chacun un pan de ce scandale : l’investigation politique, financière et humaine. C’était un choix de départ nécessaire pour offrir plus de vérité?

A. M. : J’ai tout de suite compris que c’était nécessaire pour l’intrigue. Je suis une grande fan de Traffic de Steven Soderbergh, et je voulais avoir la même approche. D’ailleurs Traffic devait être au départ une série, donc du point de vue intertextuel, c’était presque un effet miroir.

Un processus d’investigation aussi fouillé que celui de Transport implique forcément une part considérable de recherches. Avez-vous fait appel à des consultants, des journalistes, pour la rendre à la fois crédible et digeste pour le spectateur ?

A. M. : Ca a été un vaste travail de recherche, mais qui est surtout passé par de la pédagogie. Je voulais écrire des personnages qui ne donnaient pas l’impression d’avoir des super-pouvoirs ou des talents hors normes. Alors à chaque étape de l’intrigue, je me posais les questions que se poserait quelqu’un d’extérieur qui serait projeté dans ce monde, et je suis allé là où un individu lambda aurait eu l’idée d’aller. C’est avant tout un effort de véracité pour permettre de s’identifier de manière naturaliste aux personnages et à l’intrigue, à la manière du cinéma des frères Dardenne. Évidemment on travaille sur de la fiction, donc pour faire éclater la vérité, on doit souligner davantage certaines choses.

Jani-Petteri Passi : C’est crucial d’accorder une place importante à la vie réelle dans ce genre de fiction, c’est quelque chose que tout processus de recherche doit garder en tête. Je sais qu’Auli a notamment rencontré un assureur, mais pas forcément de journaliste ou banquier, ce qui ne l’a pas empêché de faire un travail considérable sur les législations sur le blanchiment d’argent, la Constitution européenne, les questions douanières dans l’espace Schengen…

A. M. : Ma sœur travaille dans la finance et elle m’a été d’une grande aide là-dessus.

Cette question de croyance en la véracité, cela passe aussi par le choix des acteurs. La plupart sont inconnus chez nous, mais ce sont pour l’essentiel des vétérans de la télévision finlandaise…

A. M. : J’ai écrit les rôles précisément pour les acteurs qui les interprètent dans la série, donc au niveau du processus de casting ça a été plutôt simple!

J-P. P. : C’était presque comme un casting à la maison en fait!

A. M. : Les nombreuses lectures qu’on a fait étaient très importantes pour l’avancée de l’écriture. À chaque lecture, on lisait l’intégralité de ce qui était disponible et je composais non seulement en fonction de leurs retours, mais aussi de leur manière d’interpréter.

Transport met au cœur de son intrigue la question du secret et du non-dit, ce qui implique des considérations formelles particulières. Comment cela se traduit-il en terme de mise en scène?

J-P. P. : C’est un peu embarrassant de le formuler dans ces termes car ça peut apparaître simpliste, mais les gens simples doivent une manière simple de penser. Plus les gens ont de choses et de secrets à cacher, et plus ils nous paraissent ombrageux, mais l’inverse est aussi vrai. Regardez la scène d’ouverture de la série (celle où la puce est retrouvée dans un petit pot pour bébé dans une école maternelle) : c’est un endroit d’une parfaite innocence, alors quoi de mieux que de travailler avec une lumière naturelle et frontale?

A. M. : D’un autre côté, le challenge le plus excitant, c’était de réussir à créer du suspens en plein jour. On parle ici aussi de gens qui commettent des crimes en pleines heures de bureau, comme dans L’argent de Robert Bresson.

La série est construite autour de trois histoires, chacune portée par un rôle féminin fort. Ce choix de confier ces rôles pivots à des héroïnes prend un sens tout particulier dans un milieu du crime financier fortement connoté comme un monde d’hommes.

A. M. : C’est avant tout venu parce que j’ai écrit les rôles pour des actrices avec qui j’avais envie de tourner et que je voulais absolument. Mais c’est évident que ça m’a permis d’être plus à l’aise dans mon écriture. En tant qu’autrice, je suis toujours à la recherche de suspens et d’intensité dramatique. Et une femme qui entre dans un monde si masculin a toujours plus à perdre qu’un homme.

En parallèle de la projection de Transport, le festival Series Mania met un accent particulier sur la création finlandaise, notamment par la présentation d’une dizaine de projets en cours de développement au forum professionnel. Pensez-vous qu’on puisse parler d’un boom des séries finlandaises ou est-ce simplement l’ensemble de l’Europe qui se met à jour et rattrape le temps perdu?

A. M. : Je pense que c’était avant tout un regain d’intérêt. On a toujours été plus ou moins dans l’ombre, et peut-être que maintenant c’est notre tour! Nos voisins ont déjà eu le droit à leur moment, et je pense que maintenant c’est à nous de jouer.

J-P. P. : La Finlande a déjà fait cet effort du côté du cinéma, notamment avec Juho, pour rattraper le reste des pays nordiques, et le reste de l’Europe. Et maintenant les séries suivent le pas.

Prochainement diffusée en Finlande sur la chaîne publique YLE, Transport n’a pour l’heure par encore de diffuseur français.

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