Outsiders : Life Socs

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C’est un récit très simple, un film de bande vendu comme moyen de satisfaire une tranquille nostalgie qu’on recherche un peu tous. On y suit le parcours initiatique de Ponyboy (C. Thomas Howell) le plus jeune rejeton d’une fratrie orpheline ayant rejoint le gang des Greasers, des voyous des quartiers populaires. Si ses frères sont pareils aux gamins de son âge, attiré par les filles et les belles bagnoles, Ponyboy leur préfère le cinéma et la littérature. Il sera pris malgré lui dans l’affrontement qui oppose son clan à celui des Socs provenant de la bourgeoisie US. Premier volet du diptyque de l’adolescence, avec Rusty James, également adapté d’un livre de Susan Eloise Hinton, The Outsiders est surtout un moyen pour Francis Ford Coppola de se racheter. Il lance le tournage de sa nouvelle œuvre, alors qu’il a beaucoup de mal à se remettre du monumental échec de One from the Heart : un projet qui lui tenait beaucoup à cœur. Bien qu’on puisse y voir une lecture facilement politique, la lutte des classes que filme l’auteur d’Apocalypse Now n’est peut-être pas le véritable sujet du long métrage. Plus exactement, Coppola n’est sûrement pas si attaché aux origines prolétaires de ses héros, et ne s’intéresse pas plus que cela à l’origine de leur oppression. L’énergie qui se dégage de ces personnages, leur fougue lui évoque par contre une autre bande qu’il connaît très bien. Celle de Michael Cimino, Martin Scorsese, Georges Lucas et Brian de Palma, dont il peut être considéré, à l’instar de Darrel (Patrick Swayze) comme le grand frère.

Cinématraque

Plus qu’une réflexion marxiste sur la société étasunienne, il s’agit pour le réalisateur de jeter un œil désabusé sur l’industrie hollywoodienne. The Outsiders est une façon pour Coppola d’oublier ses déboires financiers qu’il a dû gérer suite à l’échec de One From The Heart ; il fait suite surtout à un immense fiasco commercial de son ami Cimino, La porte du Paradis. Ces metteurs en scène aux univers singuliers à l’époque pensaient avoir trouvé la formule secrète permettant aux créateurs du cinéma de déployer leur art sans être tributaires de banquiers qui commençaient à imposer leurs billes à Hollywood. En pariant sur le succès des ambitieux One From The Heart et La porte du Paradis, ils imaginaient sans doute pouvoir faire du Studio Zoetrope (appartenant à Coppola et Lucas), une structure suffisamment solide pour réaliser leurs rêves tout en se passant des exigences économiques de Hollywood. Donner à sa génération ce que Chaplin, Griffith, Fairbanks et Pickford avaient réussi à faire avec United Artists. Il n’en fut rien. Les prétentions de ces outsiders ont dû être revues à la baisse et s’arranger avec le système capitaliste américain en pleine mutation reaganienne.

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L’histoire de The Outsiders peut être perçue ainsi : il faut composer avec un monde violent, mais demeurer digne et surtout faire en sorte de conserver de beaux restes. C’est ce à quoi s’applique Coppola avec ce film. L’œuvre n’en fait pas mystère, il s’agit pour lui de répondre à une commande. L’idée n’est pas la sienne, mais il se plie étonnamment au désir d’un lycée étasunien. Lors d’un concours, ses élèves avaient choisi Francis Ford Coppola comme le cinéaste idéal pour porter à l’écran le roman de Susan Eloise Hinton, qui avait eu un énorme succès auprès de la jeunesse du pays. De la même manière avec The Outsiders, il s’appuie sur un casting de vedettes débutantes, acquises au public adolescent, mais qui vont exploser avec le film de Coppola. À Rob Lowe, Emilio Estevez du Brat Pack, le réalisateur ajoute leurs satellites Matt Dillon, Patrick Swayze, Diane Lane, C. Thomas Howell et Tom Cruise encore gamin. Si ce dernier est finalement en retrait, son charisme flagrant lui permet de frapper la rétine à chaque apparition, dont une où, évidemment, il nous gratifie d’une cascade (un salto arrière) : déjà, décidément.

Dans cette recherche du corps mythique, le metteur en scène va piocher son univers visuel baroque dans l’histoire de l’industrie hollywoodienne. The Outsiders est, en effet, construit comme une parenthèse fantasmée. Il débute par une séance de cinéma, se place plus tard ans un drive-in et va jusqu’à citer de nombreux grands moments du récit hollywoodien (L’Arnaqueur, La Nuit du Chasseur, ou forcément La Fureur de vivre). Il va même reproduire une des séquences mémorables d’Autant en Emporte le Vent où Ponyboy et Johnny prennent la pose en lieu et place de Vivien Leigh et Clark Gable. À ce moment surprenant, il ajoute les formes masculines qui se mélangent, lors d’affrontements sous la pluie. Et, en s’inspirant autant de James Dean que du Marlon Brando de Sur les Quais, crée malgré lui une icône gay en sublimant la plastique de Matt Dillon. On nage en pleine esthétique queer. On n’est pas étonné, dès lors, que Gus Van Sant fasse ensuite appel à Matt Dillon pour Drugstore Cowboy. Cette fascination pour les corps correspondant aux archétypes de la beauté de l’époque est tout à fait assumée.

Elle est d’ailleurs magnifiée par le cinéaste qui utilise pour illustrer sa composition un éventail de standards de la pop allant d’Elvis Presley à Them. Pour finir de canoniser ces corps mis en image et en musique, Coppola en fera définitivement des héros à l’occasion d’une scène. Témoin de l’incendie d’une école, ils feront en sortent de sauver les enfants au son d’Out of Limis de The Markets. Johnny succombera des suites de ses blessures, et face à cette injustice Dallas osera un dernier acte de rébellion, et se fera tuer par les flics. Des véritables figures de martyrs. Ponyboy, le plus important protagoniste du film bénéficiera d’un destin bien meilleur que sa bande. Après bien des péripéties, il choisira de se transformer physiquement, et d’écouter son professeur qui lui conseillera, pour rentrer à l’université de rédiger une dernière dissertation : une commande en quelque sorte. Le titre qui ouvre et ferme l’œuvre résonne en écho à cette métamorphose : Stay Gold, interprété par Stevie Wonder. Rester classe, en toute circonstance, de la même manière que la coloration des cheveux de Ponyboy passant du casque laqué, au blond platine. Tout dans le long métrage est une évocation de la puissance du cinéma comme exercice artistique capable de pulvériser ses chaînes financières, pour aller au-delà du programme annoncé.

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Si Coppola, Lucas et leur bande n’ont pas réussi à établir les conditions économiques pour avoir une totale liberté créative, ils ont su s’adapter aux modalités imposées par le box-office et le public visé : les adolescents. Le nouvel Hollywood, en s’accommodant du système en place, va tout de même dicter son style et ses chefs-d’œuvre. Coppola, a également, avec The Outsiders à permis à toute une génération d’acteurs de devenir des stars, ce n’est pas rien. Outre Tom Cruise et Matt Dillon, on lui doit aussi la trajectoire de Patrick Swayze dont on découvrira à une autre occasion son corps chorégraphié dans Dirty Dancing, Ghost, Point Break et nous marquer une dernière fois dans Donnie Darko. D’autres auraient pu avoir une carrière équivalente s’il n’y avait pas eu des erreurs de parcours. C’est le cas du fils de Martin Sheen (Apocalypse Now) Emilio Estevez, qui sera parmi les têtes d’affiche de The Breakfast Club, mais qui va se perdre ensuite dans des parodies et des films de seconde zone. Rob Lowe, lui aura une interminable traversée du désert suite à un scandale sexuel. Il trouvera refuge plus tard à la télévision dans des programmes devenus cultes : The West Wing et Parks and Recreation. Quant à Winston Ralph Macchio, il aura ses moments de gloire (Karaté Kid et aujourd’hui Cobra Kai sur Netflix). Diane Lane rejoindra Matt Dillon dans Rusty James et répondra présente pour une troisième collaboration avec Coppola : Cotton Club. Dorénavant, elle reste associée à l’univers superhéroïque de Zack Snyder en incarnant la mère de Superman. Il y a dans The Outsiders comme une odeur de victoire pour Francis Ford Coppola. Il part d’un échec financier pour créer les conditions d’un long métrage prophétique et personnel qui va marquer le cinéma moderne. Est-ce si étonnant qu’il y place sa fille, Sofia, le temps d’une scène et qu’il ait proposé à son père d’en composer la musique ?

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Il y a une œuvre que l’on n’a pas évoquée et qui hante pourtant The Outsiders : West Side Story. Robert Wise a marqué le cinéma en donnant une vision opératique du film de bande. Est-ce si étonnant, de la part du réalisateur du Parrain et de Dracula d’avoir suivi le même chemin ? Omniprésence de la musique, esthétique baroque (la fontaine dans laquelle se fait agresser Ponyboy) et affrontement chorégraphié : tout y est. Si l’on ne l’a pas rappelé jusqu’à présent, c’est qu’il nous semblait plus intéressant d’observer comment les outsiders du nouvel Hollywood continuent de se répondre et se soutenir. Car comment ne pas voir l’hommage de Spielberg à son ami Coppola lorsque l’on se retrouve avec sa propre version (tout aussi baroque et musicale que The Outsiders) de West Side Story. Étrangement, ce qui a permis à Coppola de s’adapter à une ère hollywoodienne, aux mains des financiers, West Side Story est devenu le plus beau revers du golden boy (Stay Gold) du nouvel Hollywood. C’est un échec qui tombe à un moment particulier de l’histoire du cinéma. Ces dernières années voient l’avènement des plateformes de SVOD et la fermeture des salles suite à la pandémie de la covid-19. Le paysage de l’industrie hollywoodienne est sur le point de chavirer, tout comme il avait basculé au début des années 80. Une ère inédite arrive, avec de nouveaux Outsiders.

Outsiders de Francis Ford Coppola, avec Diane Lane, Tom Cruise, Tom Waits, C. Thomas Howell, Patrick Swayze, Matt Dillon, Rob Lowe, Leif Garrett, Ralph Macchio, Emilio Estevez. Disponible sur Ciné +.

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