Vous prendrez bien une double dose de Ridley Scott ? Coupé en plein vol par l’épidémie de Covid-19, le réalisateur de 83 ans n’en reste pas moins productif. À quasiment un mois d’intervalle sortiront Le Dernier duel et House of Gucci, dont les tournages se sont quasiment enchaînés (le premier s’est terminé en octobre 2020 pour que le second commence en février 2021). Le Dernier duel pouvait sonner comme un chant du cygne – renvoyant inévitablement au titre du tout premier long métrage du réalisateur Les Duellistes, mais il n’en est rien. Scott enchaînera ensuite avec Kitbag, son biopic sur Napoléon Bonaparte avec Joaquin Phoenix pour Apple. Il y retrouvera également Jodie Comer, déjà sa tête d’affiche dans Le Dernier duel !
Inspiré d’une autre histoire vraie, Le Dernier duel narre l’affrontement entre Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Le Gris (Adam Driver), dans le Royaume de France au XIVe siècle. L’objet de leur combat ? Marguerite de Thibouville (Jodie Comer), femme de Jean, qui accuse Jacques de l’avoir violée. L’accusé clamant son innocence, l’affaire doit se résoudre par le combat… et la grâce divine.
La vérité, rien que la vérité ? Face à la gravité de son récit, Le Dernier duel tient une structure tripartite et nous fait revivre ses événements sous le point de vue de chacun de ses trois personnages principaux. D’abord sous l’œil de Jean de Carrouges, fier chevalier et mari. Celui de l’accusé ensuite, Jacques Le Gris, rapidement montré comme un coureur de jupons, s’adonnant bien rapidement aux plaisirs que la vie lui offre. Enfin viendra le regard de la victime, Marguerite de Thibouville, femme bafouée par ce qu’elle a vécu, mais aussi par la manière dont elle est considérée lorsqu’elle prend la parole…
Très rapidement, on comprend que le film va jouer sur son effet Rashōmon, certaines séquences étant rejouées à l’identique. Ou presque. Comme chaque personnage détient sa vérité, la mise en scène connaîtra quelques petites variations : un changement du positionnement de la caméra, quelques répliques qui différent, un geste qui n’a pas la même portée. Par le cadre, Ridley Scott nous fait tout simplement comprendre que tout est affaire d’interprétation. Ce procédé culmine lors d’une scène de fête, où les trois personnages se retrouvent : là où Jacques pense trouver un geste d’affection de la part de Marguerite, on découvre dans sa partie qu’il ne s’agit que d’apparences et de faux semblants. Idem pour la scène de l’agression, qui partira sous l’angle de l’ambiguïté chez l’accusé et de la détresse chez la victime… et où tout se comprend à travers un seul plan, ou plutôt un seul objet : les chaussures de Marguerite.
Le dernier duel doit davantage son salut à l’interprétation de son trio principal, littéralement impeccable, plutôt qu’à sa mise en scène un peu plus classique. En deux heures et demi, on sent parfois l’ennui poindre, et la confrontation des points de vue aurait peut-être pu être davantage creusée… plutôt que de marteler de façon un peu trop facile quelle est la vérité dans un carton. Ridley reprend cependant du poil de la bête quand il s’agit d’arriver au duel, où il démontre qu’il n’a toujours pas perdu son sens de l’épique et du suspense. On savourera aussi particulièrement (ou pas) les scènes de jugement, où les arguments théologiques de l’époque seraient démontés un à un aujourd’hui. Si de Carrouges perd le duel, alors cela signifie que sa femme a – forcément – menti. Si on se place du côté de l’Église, alors on peut obtenir protection… De quoi grincer des dents quand on voit toujours certaines réponses à des accusations de viol aujourd’hui. On retiendra la prestance de Jodie Comer, debout non seulement pour elle mais pour toutes les autres.
Le Dernier duel, de Ridley Scott. Avec Jodie Comer, Matt Damon, Adam Driver. Sortie française le 13 octobre 2021.