Le temps passe vite quand on s’amuse et on a à peine le temps de se retourner qu’on est déjà à mi-chemin de cette édition de Séries Mania. Avant d’entamer une séquence marquée par l’ouverture du Forum professionnel avec son lot de conférences côté coulisses, passionnantes à écouter mais sans grand intérêt à retranscrire, il est temps de se poser pour faire un premier bilan de la cuvée et sur les coups de cœur des premiers jours.
À mi-parcours, trois séries, chacune dans leur catégorie respective, ont pour l’instant marqué cette première moitié de Séries Mania. Trois séries d’horizons, de diffuseurs et de tonalités radicalement différentes qui brossent ensemble un beau tableau de l’éclectisme d’une programmation qui n’a pas encore fait émerger un « classique instantané » (grosses attentes à ce titre pour la danoise Furia ce lundi), mais qui ne manque pas de fulgurances.
Anna, le nouveau miracle de Niccolo Ammaniti
La première nous vient d’Italie, de la Compétition internationale, et nous réunit avec un nom bien connu des suiveurs de Séries Mania : Niccolo Ammaniti. L’écrivain romain, qui avait par le passé adapté plusieurs de ses romans pour le grand écran, notamment pour Bernardo Bertolucci (Moi et toi, 2012), avait effectué une transition en tout point réussie vers le petit écran avec Il Miracolo. Récit de la découverte au sein d’un petit village de l’Italie du Sud d’une statue de la Vierge pleurant du sang sans discontinuer, la série co-produite par Arte et Sky Italia avait raflé deux prix lors de l’édition 2018 de Séries Mania : le Prix spécial du Jury et celui d’interprétation masculine pour Tommaso Ragno. Trois ans plus tard, Ammaniti s’attaque à l’un de ses propres livres, Anna, publié en 2016.
Dans une Italie dévastée par une épidémie de « fièvre rouge » (la série, bien que faisant un clin d’œil au COVID dans son pilote, a débuté son tournage six mois avant le début de la pandémie), tous les adultes meurent, laissant le monde aux mains de leurs enfants jusqu’à leur propre majorité. Dans un monde en ruines où les survivants se planquent ou s’organisent en clans violents pour survivre, Anna et son frère grandissent à l’abri de l’extérieur, dans la maison de leurs parents au beau milieu de la forêt sicilienne. Jusqu’au jour où le petit garçon disparaît, victime d’un enlèvement…
On comprend très vite ce qui a pu pousser Niccolo Ammaniti à se frotter à l’adaptation de son propre roman, outre l’aspect tristement contemporain de son sujet. À la fois œuvre d’apprentissage et allégorie riches en images de cauchemar, Anna offre un matériau idéal à la fiction télévisée. On y retrouve très vite des marottes de l’écrivain déjà très présentes dans Il Miracolo : la question de la croyance et la transmission, comment celle-ci nourrit la violence, la quête de sens quand le monde perd ses repères… Le tout cette fois-ci filmé à hauteur d’enfant, autre obsession de l’œuvre d’Ammaniti, reflet de celle de son propre père, psychiatre de l’enfance et psychanalyste réputé de l’autre côté des Alpes.
Comme pour Il Miracolo, Anna frappe par sa maîtrise formelle, ses fulgurances artistiques (une charge d’enfants peints tout en blanc, un escalier envahi par des vêtements de toutes les couleurs…), le contraste entre la douceur solaire du paysage sicilien et la dureté de son récit. Ce qui frappe surtout, c’est le jeu tout en assurance de son actrice principale, Giulia Dragotto, jeune palermitaine de 14 ans dont Anna est le tout premier rôle, sorte de mini-Thomasin McKenzie transalpine tantôt effrontée tantôt guerrière. Elle est l’âme de la série d’Ammaniti, ainsi que le témoin privilégié de son formidable talent de conteur, qui en font l’un des créateurs les plus intrigants de l’Europe des séries actuellement. Et la bonne nouvelle, c’est que l’intégralité de la série sera disponible dès le 10 septembre sur le site d’ARTE, ce qui ne nous laissera pas trop le temps de cogiter en attente de la suite.
Wakefield, l’Australie au sommet
Partons ensuite pour une destination plus lointaine, et vers les rivages du Panorama international pour découvrir l’envoûtante Wakefield, probablement le plus beau tour de force narratif de ce début de festival. Wakefield, c’est le nom d’une clinique psychiatrique, juchée sur le haut des Blue Mountains, massif recouvert de forêts au cœur de la Nouvelles Galles du Sud, à quelques kilomètres de Sydney. On y retrouve entre autres un homme d’affaires qui continue de mener son business en cachant à ses collègues qu’il est interné, une mère en dépression post-partum incapable d’aimer son bébé, une femme érotomane incapable de contrôler ses pulsions sexuelles… mais aussi le groupe d’aides soignants chargés de les accompagner au quotidien.
Parmi eux, il y a Nikhil, alias Nik (Rudi Dharmalingam), dont les qualités d’écoute et d’empathie en font l’infirmier le plus compétent du service. Le problème, c’est que le jeune homme, enfant d’immigrés indiens, porte aussi en lui les traumatismes d’un passé qui se dévoile peu à peu, et qui commence à lui faire perdre pied avec le réel. Alors qu’il aide ses patients à aller chaque jour un peu mieux, sa santé mentale, quant à elle, se détériore peu à peu. Résumé comme ça, ça sonne un peu comme une série médicale de seconde partie de soirée sur NBC, mais la grande force de Wakefield, outre ses décors dépaysants, repose sur sa narration et sa capacité à mettre sur le même pied l’expérience des patients et celle de leurs soignants.
Chacun des deux épisodes diffusés sur le festival tourne autour d’un événement ou d’un patient bien précis, en montrant comment celui-ci se répercute sur chacune des personnes impliquées, et notamment Nik. Le premier est à ce titre un vrai modèle d’écriture ciselée, réflexion sur la parentalité traumatisée au son d’un Come on Eileen (intemporel banger) maltraité et disséqué dans ses moindres accords ; tandis que le second fait résonner en écho les expériences communes d’une soignante qui n’arrive plus à jouir avec celle d’une patiente qui à l’inverse ne peut s’en empêcher. Tout est toujours dans une justesse de ton et un rapport d’empathie qui font de Wakefield un drama particulièrement efficace. Diffusée au printemps en Australie, la série n’a pas encore de diffuseur en France mais devrait passer au mois d’octobre outre-Atlantique sur Showtime, ce qui laisse de l’espoir pour le marché hexagonal à court terme.
Jeune et Golri, (seule en) scène de la vie conjugale
Enfin, la Compétition française a elle aussi offert son petit bonbon de rentrée du côté d’OCS, qui brille encore une fois là où elle s’est toujours démarquée : la comédie. La chaîne d’Irresponsable, Les Grands ou encore de la très chouette 3615 Monique l’an dernier, s’attaque ici à la comédie de stand-up, ce qui tombe particulièrement bien vu que c’est le thème d’ensemble de Séries Mania cette année. Avec Jeune et Golri, la chaîne va ouvertement lorgner sur la comédie américaine contemporaine des Girls, Crashing ou bien évidemment Louie (à l’époque où on pouvait la regarder en ignorant tout des agissements de son créateur). Lancé en 2018 par le réalisateur et scénariste Victor Saint-Macary dans la foulée de son premier long-métrage, le très mignon Ami-Ami, Jeune et Golri est finalement tombé dans les mains de Fanny Sidney, la Camille Valentini de Dix pour Cent, réalisatrice des huit épisodes de la série (et par ailleurs également aux manettes d’une autre comédie présentée sur le festival, Brigade Mobile, pour ARTE).
Aux côtés de Saint-Macary depuis le début du projet et de l’autrice Léa Domenach, on retrouve l’humoriste et chroniqueuse radio Agnès Hurstel, qui se taille un double de fiction qui ne dépaysera pas les connaisseurs de son humour. Hurstel devient ici Prune, une stand-uppeuse de 25 ans qui peine à faire décoller sa carrière sur la scène ouverte du bar qu’elle a l’habitude de fréquenter. C’est là qu’elle fait la connaissance de Francis (Jonathan Lambert, parfait en boomer au grand cœur), qui a le double de son âge et dont elle tombe amoureuse. Sauf que Francis a déjà une fille de six ans, Alma (Jehanne Pasquet). Alors que sa carrière est sur le point d’enfin décoller, Prune va aussi se découvrir un nouveau rôle : celui de belle-mère, elle dont l’âge de maturité émotionnelle ne dépasse guère celui de sa nouvelle belle-fille.
Si Jeune et Golri ne brille pas toujours pas son pitch un poil balisé, son énergie repose entièrement sur son casting savamment travaillé, et sur l’alchimie immédiate qui se forme entre le duo féminin de la série. Entre la grande enfant qu’est Prune et cette Alma en apparence revêche et beaucoup trop en avance sur son âge, les apparences éclatent vite et ce qui aurait pu passer pour un tic d’écriture devient rapidement le terreau de très belles scènes d’apprentissage, où l’on ne sait pas trop qui apprend de l’autre. La solidité du casting se retrouve également sur le reste des seconds rôles, souvent cruciaux pour l’équilibre comique de ce genre de comédies. En s’entourant de quelques beaux noms de la nouvelle génération de créateurs français, de Marie Papillon à Paul Mirabel en passant par Lison Daniel, dont les Caractères avaient cartonné sur Instagram en plein confinement, Jeune et Golri est comme une scène ouverte de huit épisodes où chacun a la liberté de composer sa propre partition.
Sachant gérer avec autant de précision les deux pendants de son scénario, équilibre parfois compliqué à trouver dans ce genre de fiction, Jeune et Golri ne révolutionne sans doute pas son créneau comique mais trouve son sillon en rejoignant celui du savoir-faire des meilleures comédies de l’écurie OCS. Rendez-vous désormais dès le 2 septembre sur OCS pour le début du spectacle.
brossent ensemble un beau tableau