Quelques semaines après Cannes, c’est au tour de son équivalent télévisuel de lui emboîter le pas en renouant avec son public. Après une édition 2020 passée à la trappe pour cause de pandémie de COVID-19, Séries Mania a fait son grand retour dans les rues de Lille. Décalée de quelques semaines comme le fut le Festival de Cannes, le principal festival français consacré aux séries télévisées ne se heurtait cela dit par aux mêmes contraintes que celui de la Croisette. Vu que dans le Nord il fait toujours gris et frais, caser un festival au mois de mars ou fin août avait un impact nettement moindre sur le contenu des valises des festivaliers (surtout ceux qui, hasard du destin n’ont même pas besoin d’en faire une vu qu’ils vivent sur place).
Légèrement rabotée d’une journée et privée de certains invités de marque retenus de l’autre côté de nos frontières pour causes de restrictions sanitaires et autres décalages d’emplois du temps du fait des tournages impactés par le COVID, la onzième édition de Séries Mania (la troisième dans la ville des champions de France en titre de Ligue 1) s’ouvrait donc cette année dans un climat de relative incertitude. Certes, la quatrième vague de l’été 2021 se tasse en attendant que les exploits d’une rentrée scolaire préparée par Jean-Michel Blanquer n’augure de la cinquième. Mais c’est tout de même pass sanitaire en main que les spectateurs lillois ont pu retrouver le chemin des salles en espérant dégoter la nouvelle série qui incarnera le « renouveau de la fiction française » ou « la nouvelle addiction de vos dimanches après-midi » (marronniers dont on ne sait trop lequel des deux est le plus insupportable).
Mais plus encore qu’une incertitude sanitaire, c’est une relative incertitude créative qui entoure cette cuvée 2021. Car ce paysage audiovisuel bouleversé comme tous les autres secteurs culturels par la pandémie espère retrouver cet automne un coup de fouet bienvenu. Certes, la télévision continue à débiter des séries à un rythme effréné, tel qu’on a bien compris que lutter contre sa FOMO (peur de passer à côté) était aujourd’hui un combat encore plus ardu qu’un candidat de gauche espérant faire plus de 5% à la prochaine présidentielle. Oui, le dernier trailer de Stranger Things a fait exploser les compteurs, oui l’annonce de la saison 3 de Succession nous fait compter les jours jusqu’au mois d’octobre. Mais on peut dire sans trop se tromper que cet été 2021 fut particulièrement mollasson, ne tressaillant qu’occasionnellement au rythme de The White Lotus sur HBO (et encore, on est loin d’un phénomène) et des maigrichonnes pirouettes scénaristiques de Loki. Alors c’est avec beaucoup d’impatience qu’on attendait le retour de Séries Mania et de l’engouement si particulier qu’il procure, à découvrir des échantillons de deux ou trois épisodes de séries dont on n’est pas toujours certain qu’on pourra un jour voir la suite.
Après une cérémonie d’ouverture qui ouvrit les choses exactement comme il le fallait (une diffusion sur Culturebox, des jolies chorégraphies de danseurs, des blagues inoffensives sur le confinement de Daphné Bürki, zéro discours de Xavier Bertrand pourtant présent dans la salle), place à la série de lancement de ce Séries Mania 2021 : Vigil, nouvelle création de la BBC dont le premier des six épisodes était présenté quelques jours avant son lancement à la télévision anglaise le 29 août. Un bon whodunit mâtiné d’espionnage comme on les aime, nous embarquant ici à bord d’un sous-marin de la Marine britannique chargé d’orchestrer la dissuasion nucléaire au large de l’Écosse. Ayant passé une demi-heure quelques heures plus tôt à triompher avec des collègues journalistes locaux de l’escape game du festival sur le thème du Bureau des Légendes, autant dire que Vigil avait intérêt à assurer question mystère.
La moitié du casting vient de Game of Thrones (Rose Leslie, Stephen Dillane, Daniel Portman), l’autre d’autres séries bien connues (Suranne Jones de Gentleman Jack, Connor Swindells de Sex Education, Paterson Joseph de Peep Show/The Leftovers). Ca n’a pas la moindre once d’originalité, les rares VFX piquent un peu les yeux mais sur les polars d’espionnage, personne (hormis les Israéliens, allez) n’est capable de contester la suprématie de la Perfide Albion dans l’exercice. Fausses pistes, complots politiques, vérité qui dérange, regards sombres et intenses dans des pièces exiguës, tout y est, c’est pour ce genre de bingo qu’on signe toujours des deux mains, et à ce petit jeu le pilote de Vigil remplit chaque case avec une remarquable application. On le dévore comme on avait dévoré Bodyguard et consorts, et on espère juste maintenant qu’Arte, qui diffusera la série dans l’Hexagone, n’attendra pas trop pour envoyer la suite. Et en plus ça parle la moitié du temps avec l’accent écossais, le plus bel accent du monde.
Pour se plonger dans le bain de la première journée complète du festival, le planning avait eu l’idée intrigante de proposer une programmation mettant en lumière les personnalités de la communauté LGBT+. Trois séries de trois pays et trois horizons différents se sont en effet succédé dans la journée, avec des fortunes très diverses. En soirée, la websérie créée par Sullivan Le Postec Les Engagés refermait son aventure débutée en 2017 par une troisième et dernière saison, sous-titrée XAOC. Une conclusion efficace (visionnée par l’auteur de ces lignes en amont du festival, et non in situ) sous fond de géopolitique européenne, prenant comme toile de fond la traque et la persécution des homosexuels en Tchétchénie par le régime de Ramzan Kadyrov avec le soutien de son allié dans la région, la Russie de Vladimir Poutine.
En complément, Séries Mania nous emmenait découvrir la dramédie canadienne Sort Of (8x22min, 4 épisodes diffusés) et le drame colombien Vida de Colores (8x25min, 4 épisodes diffusés). La première, création de l’acteur d’origine pakistanaise Bilal Baig, s’inscrit dans le prolongement de sa pièce Acha Bacha et poursuit l’exploration de sa propre identité sexuelle. Iel incarne ici Sabi Mehboob, jeune personne non-binaire qui jongle entre ses jobs de babysitter et de serveur, sa relation amoureuse tumultueuse, sa relation compliquée avec sa mère depuis l’aveu de sa véritable identité de genre et son envie de suivre sa meilleure amie, artiste en partance pour une résidence berlinoise. Lorsqu’un drame frappe la famille dont iel s’occupe, la vie de Sabi s’en trouve à son tour bouleversée. À la fois drôle et tendre, la série repose en grande partie sur l’abattage comique deadpan de Bilal Baig, et s’avère pleine de surprises et de promesses. À voir si les quatre derniers épisodes, qui seront prochainement diffusés en France sur Téva, pourront confirmer la tendance.
Vida de Colores, elle, nous emmène en Amérique du Sud, à nouveau au côté d’une personne non-binaire. Yerit (Camilo Ochoa), est un danseur qui a trouvé en Alma ), femme trans de son village, une mère de substitution dans une société encore très corsetée moralement. Un jour, Alma est victime d’une violente agression transphobe, qui va faire exploser la vie de Yerit, qui va tout faire pour protéger sa famille d’adoption. Parfois chatoyante à l’oeil, la série du réalisateur David David montre cependant assez rapidement quelques limites autant scénaristiques (le récit s’avère assez balisé à mesure qu’il se développe) que techniques (l’ensemble fait parfois assez amateur malgré quelques chouettes trouvailles de set design). On saluera l’effort de représentation et l’ouverture du festival sur un pays dont la production télévisuelle mérite qu’on se penche dessus, mais Vida de Colores ne laissera néanmoins pas un souvenir impérissable derrière elle.